Pumpkinhead : A History of Violence


Tête de citrouille-potiron pour trouille de saison.


Imaginez Simetierre (Mary Lambert, 1989) avec du moto-cross, Les Raisins de la colère (John Ford, 1940) avec une vieille sorcière, Planète interdite (Fred M. Wilcox, 1956) avec des légumes, voire des légendes, d’automne et vous pourrez vous faire une idée assez claire de ce « film culte » méconnu, dû au maquilleur renommé Stan Winston, alors à ses débuts de réalisateur. Pumpkinhead (1988) possède au moins trois éléments majeurs : l’interprétation intense de Lance Henriksen ; la direction de la photographie remarquable de Bojan Bazelli, collaborateur d’Abel Ferrara sur China Girl (1987), The King of New York (1990), Body Snatchers (1993) et de Jennifer Lynch sur Boxing Helena (idem) ; sa nature de conte moral à contre-courant. Il commence comme Le train sifflera trois fois (Fred Zinnemann, 1952), par un portrait au passé, sis en 1957, de la lâcheté ordinaire, en nocturne Americana. On refuse une première fois de secourir un fugitif, d’ouvrir sa porte à la nuit maléfique – le geste se reproduira plus tard, au présent du récit. Quant à lui, petit témoin désormais grandi, l’épicier ouvre celle de son magasin aux fermiers du coin, « retour du refoulé », du débraillé, du paupérisé, au sein des USA reaganiens, tache de miséreuse obscurité apposée sur le soleil californien. Ici, dans l’arrière-pays en autarcie, presque pré-industriel, propice au surgissement des sortilèges d’un autre âge, un groupe d’adolescents citadins, friqués, oisifs, vient emmerder le monde en deux-roues, accessoirement tuer par accident le fils unique d’Ed Harley. S’il ne dispose point d’un véhicule homonyme, à la Marlon Brando (L’Équipée sauvage, László Benedek, 1953), le père endeuillé, inconsolé par sa femme absente, inexistante, devient fissa un son of a bitch et s’en va trouver l’ancêtre locale, afin de ressusciter le fruit de ses entrailles.



Hélas, les morts ne se relèvent pas, à part au cinéma, le temps d’une hallucination accusatrice en automobile. Au final, cruel, cohérent, l’intermédiaire solitaire, sorte de mère maudite, portera en pietà le cadavre du géniteur en écho à celui de sa progéniture, l’enterrera en prévision d’une prochaine vendetta. Le sang se nourrit du sang, littéralement, le cercle vicieux ne s’interrompt qu’au moyen d’une balle dans la tête, d’un suicide adulte. De Dieu, il ne demeure que les ruines d’une église désaffectée, déconsacrée. Des hommes (et des femmes), il n’en restera que trois, assistant, actifs, solidaires, au climax du dénouement, à la chute en montage alterné de la créature aristocratique, racée, dépourvue de pitié, et de son créateur vampirisé, peu à peu dépouillé de son humanité, au propre, au figuré. Au creux du cadre horrifique, faustien, cours la sombre rivière de la mélancolie, dans le sillage de Un justicier dans la ville (Michael Winner, 1974), Vigilante (William Lustig, 1983) ou du récent, davantage amusant et violent, Quiet People (Ognjen Sviličić, 2014). Que coûte une vengeance en série, tant pis pour les remords tardifs du tueur alcoolisé, sans permis, rétif à la prison, geôlier de compagnons ? Elle vaut mille souffrances et une âme en errance. Winston, avec une maladresse pardonnable, une sincérité estimable, parfois au steadicam, s’affaire à une fable sur la perte, l’absurdité, la rage et le salut. À terre, Harley ressemble au scientifique méconnaissable de La Mouche (David Cronenberg, 1986), implorant sa tendre et chère de mettre un terme à sa métamorphose morose, à sa mutation atroce. Les femmes nous enfantent et nous inhument, leur sexe à la fois matrice et tombeau, je vous renvoie vers ma prose à propos de Inseminoid (Norman J. Warren, 1981).



L’une des filles de la ville photographie la pauvreté toujours photogénique, ersatz bien-pensant de Dorothea Lange, cependant la Grande Dépression se situe dorénavant à l’intérieur des consciences, elle sacrifie sur l’autel de la paternité une portée désordonnée, trop propre sur elle, en rime aux victimes ensommeillées de Freddy Krueger (Les Griffes de la nuit, Wes Craven, 1984). De l’assassinat en direct de JFK au trépas routier du juvénile Gage Creed chez Stephen King, l’Amérique ne cesse de (se) raconter des contes moraux guère à la Rohmer sur son enfance, sa violence, ses croyances (sens du patronyme du protagoniste de Pet Sematary) et ses origines émerveillées, ensanglantées, de Frontière européenne à la dure, à la souillure de génocide. Dans Pumpkinhead, pas de nécropole indienne, pas d’hôtel mémoriel (Shining, Stanley Kubrick, 1980), juste un mélodrame intergénérationnel, dont le charme fragile, malhabile, singulier, évanescent, persiste à nous serrer la gorge et démanger les doigts en 2018, dix ans après le décès de Stan et trente après la sortie en catimini, aux bons soins de la MGM, de son bébé produit par le DEG de Dino De Laurentiis. Film américain, film des années 80, il parvient pourtant à s’extraire de son espace-temps puis à nourrir le nôtre, moins radieux, moins miséricordieux, salut au Brésil, de son désespoir et de son espérance, de ses imperfections et de ses puissances. Un chef-d’œuvre à l’oubli injuste ? Une curiosité séduisante et digne d’être miroitée, CQFD.


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