Blood Fest : Traitement de choc


Le Voyeur (Michael Powell, 1960) inversé ? Davantage un hommage, dommage.


À Noémie Fisher, moins sombre que Betty, plus vivante que Terence.

Financé par les Texans indépendants de Rooster Teeth, Blood Fest (2018) débute bien. Le soir de Halloween, une mère trentenaire et son fils déguisé en squelette savourent ensemble, à domicile, les frasques souriantes de Béla Lugosi, selon White Zombie (Victor Halperin, 1932). Moment immédiatement émouvant, séquence de justesse, de tendresse, d’allégresse, avant de vite virer vers la détresse. En effet, un tueur masqué, massif, mutique, attend la cinéphile au sein de sa cuisine, caméra placée à la David Fincher, à l’intérieur du réfrigérateur. Le blondinet découvre illico le cadavre, tandis que l’intrus, motif très américain du home invasion, succombe au père armé, olé. La séquence, soignée, à la fois douce et sèche, séduit d’emblée, rappelle le prologue réussi de Scream (Wes Craven, 1996), alors on se dit que voici une surprise à notre guise, nous réconciliant, au moins un instant, avec une imagerie désormais essorée. Hélas, la suite déçoit un chouïa, sorte de téléfilm de luxe gentiment méta, à base de trauma, d’abord survival rural, collectif, puis drame paternel individuel, d’émancipation adolescente, merci à l’amante combattante. L’un des personnages, acteur de serial killer arboricole, bigre, détestant la vue du sang, auparavant méprisant et refroidissant, s’imagine jouer Hamlet pour sauver sa peau, mais nul ne confondra une seconde Blood Fest avec la tragédie shakespearienne. Le décor du parc thématique horrifique reste sous-exploité, hormis un pastiche poussif de Saw (James Wan, 2004), la critique du sadisme en ligne demeure timorée, à des années-lumière de la fureur réflexive, effrayante, d’un Brian De Palma en mode militaire (Redacted, 2007).



Lettre d’amour et d’humour adressée à une discutable « catégorie » d’items, encore, à tort, largement méprisée, « genre » peu judicieux de « mauvais genre », je résume, le métrage manque d’audace et d’originalité, de rythme et de crédibilité. On sait depuis Pulsions (De Palma, 1980) qu’il faut toujours se méfier des psychiatres, surtout détenteurs d’un discours conservateur, moralisateur. Quant à celui du film, certes sympathique, assez lucide, il ne dépasse pas le stade des truismes pro domo, à savoir que l’horreur filmée rassure, permet de surmonter sa propre peur, ordonne à coup de règles à la truelle le chaos et l’absurdité de nos vies parfois violentes, affirme la mort immanquable, incite donc au carpe diem scolaire de John Keating (Le Cercle des poètes disparus, Peter Weir, 1989). Quid de la beauté des atrocités, transcendées par le ciné ? Quid du changement de perspective, opéré par l’étrange mélange du physique et du métaphysique, du matérialisme et de l’idéalisme, du corps et de la métaphore ? Persiste pourtant un questionnement pertinent, localisé dans le speech introductif d’Anthony Walsh, organisateur-réalisateur-manipulateur du festival fatal, accessoirement incarné par Owen Egerton, scénariste-cinéaste-acteur semblant beaucoup s’amuser avec son armée de tarés masqués, de fans décimés, cochons et clients réunis dans le même bain sanglant, déconnant, excessif et festif. Devenu un pur produit tout public, une inoffensive banalité à consommer, même en pleine minorité, la mythologie paraît bel et bien décédée, dévaluée. Comment la ranimer, la ressusciter, sinon en passant par la réalité du récit, sinon en mettant un terme à tous les « films d’horreur » grâce au titre ultime, déroulé dans la supposée « vraie vie », Gérard de Nerval se récrie ?



Maître des marionnettes, des zombies asservis, électrifiés, connectés, des deux côtés de l’écran, Walsh, émule de Raoul pas si cool, dirige son remake de Une nuit en enfer (Robert Rodriguez, 1996), au sommet de sa Tour sombre (Nikolaj Arcel, 2017) à lui. Précisons qu’il agit sous les ordres du papounet endeuillé, ulcéré, tailleur de bonsaï, amateur de John Coltrane, matez la pochette bleutée en hauteur, fournisseur déterminé de patients trépanés, décidé à transformer son fiston, voyageur de vidéo-club vintage, orphelin apeuré, en survivant apostat, plus jamais ça, no more, voire nevermore, de tes conneries gore, art (de) dégénéré(s) pour ados attardés, pour patient d’asile in fine assassin de ma moitié. Rajoutons que la sœurette suspecte l’assiste, repeinte en Red sans merci. Perdre sa virginité, perdre la vie, en se sacrifiant pour autrui, pour une jeunesse qui se blesse, progresse, qui admire et soupire : Blood Fest pose l’équivalence et donne une « seconde chance » à des personnages lestés, cernés, par les outrages, les ratages. Comme chez Agatha Christie, les participants à la danse macabre décèdent l’un après l’autre, victimes de monstres eux-mêmes victimes de traitements indécents, d’un calibrage de leur comportement. L’hécatombe ? Une confusion de déraison. Le vampirisme ? Un folklore de porphyrie. Film déceptif et optimiste, en dépit des pertes d’amis, d’amoureuses, l’ouvrage démystifie les mensonges ludiques d’une industrie lucrative et ceux d un géniteur fasciste, au fond obsédé par la terreur, son exercice rigolard. Adepte du massacre définitif, avéré, aux vertus a priori curatives, le géniteur indigne périra transpercé par sa fifille, ensuite enfuie. Le couple de rescapés, la jeune femme enfin revenue de son épisode enragé, pas merci au bracelet, contemple l’explosion phallique, finale, dit adieu au ranch infernal.



Puisque le Mal ne saurait trépasser, Michael Myers ne nous contredira pas, revoyez la coda de La Nuit des masques (John Carpenter, 1978), la main du créateur destructeur et moqueur in extremis ressaisit son sceptre funeste, sucrerie express, ironique, de post-générique. Avec ses multiples références, son absence de cadence, son casting motivé, son second degré dénué de cynisme, sa sincérité pédagogique, son doué directeur photographique, le bien baptisé David Blue Garcia, Blood Fest ne mérite ni félicitations ni lamentations, s’apprécie, fissa s’oublie. Cependant, a fortiori au Texas, on préférera privilégier un certain Tobe Hooper, qui répondit de manière mémorable et remarquable aux interrogations supra, via sa comédie noire, existentielle et sensorielle, dénommée, vous le devinez, Massacre à la tronçonneuse (1974)…

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