The Blob : The Thing
Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur
le tire de Irvin S. Yeaworth, Jr.
Communisme ? Œcuménisme. L’Invasion
des profanateurs de sépultures (Don Siegel, 1956) ? La
Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955). En 1958, « Steven
McQueen » devient Steve Andrews et semble atteint de démence, comme
l’indique « le film dans le film » Dementia, aka Daughter of Horror (John Parker,
1955). Lui aussi, en Pennsylvanie, va vivre une nuit éprouvante, va tenter de
convaincre la petite ville d’un Danger planétaire, retitrage de
ressortie so seventies, affiche fallacieuse à la Frank Frazetta en sus, en
vérité très stellaire, in extremis refoulé en Arctique, pas encore
touché par le réchauffement climatique, déjà exploré par The Thing from Another World
(Christian Nyby, 1951). D’une chose à l’autre : en 1982, John Carpenter
localise son eschatologie en Antarctique, à l’exact opposé géographique,
amusante manière de se démarquer du modèle. Mais retournons vite dans la small town d’Americana, où
Steve & Jane, pas Janey, please,
tant pis pour le paternalisme patriarcal, souligne la co-scénariste Kate
Phillips/Kay Linaker, se bécotent et papotent sous la voûte étoilée, débarrassée
des lumières de la cité. Pour passer de Shooting Stars (Anthony Asquith
& Albert Victor Bramble, 1928) à The Blob, il suffirait de faire un vœu,
cinéphile au lieu de sentimental. Jane soupçonne Steve de venir souvent sur
cette colline, et pas seul. Les deux ados, leur minorité largement dépassée,
passons, assistent soudain au spectacle spatial, l’habitacle de la bagnole en
métonymie du drive-in,
production-destination, en ersatz de salle de cinéma, on y reviendra. Une
météorite atypique vient de traverser l’horizon, allons voir de plus près. Un
vieil ermite décoiffé, réveillé, à toutou rendu fou, fait les premiers frais de
cette couleur tombée du ciel, salut à Lovecraft.
Ensuite, un toubib succombe, flanqué
de son infirmière préférée, dévouée, sinon insomniaque. Les flics du coin, good guy
magnanime, vétéran de WW II irascible, amateur d’échecs à distance, croient au
canular, découvrent le bazar, mystère de pièce close et vandalisée à la Gaston
Leroux. Vive et vorace, la masse ne se prélasse pas, file fissa à l’épicerie du
papa de Stevie, histoire de la dévaliser, d’avaler le pauvre préposé au
rangement, et vlan. Elle s’avère cependant frileuse et s’enfuit du refuge de la
chambre aussi froide que la guerre homonyme. Steve loupe l’indice, trop transi.
Plus tard, encore réfugié, cette fois-ci à la cave d’un diner incendié, olé, il comprend comment se défendre et réfrigère
la peste céleste à l’aide d’un extincteur, bientôt supporté par ses
condisciples et un proviseur casseur de vitre, fichtre. Le CO2, mon vieux, pas
mieux pour sidérer l'adversaire, y compris rougi comme un coco refroidi.
Auparavant, une nuit thématique sur grand écran, Béla Lugosi en bonus, finit d’affirmer aux incrédules
que l’horreur se déroule pour de bon, ici et maintenant, dans ton quartier
natal, où tout le monde se connaît, ah ouais. Que nous disent et inspirent ces
sympathiques meurtres de parasite, coucou Cronenberg, en 2018 ? Que
garagiste et projectionniste constituent des métiers à risque. Que partir avant
la fin du film évite de trépasser en série, en hystérie. Que la folie
individuelle prophétise la collective. Que les klaxons pas cons et les alarmes martiales permettent d’ameuter la
foule, plus difficile de l’informer. Qu’une ligne à haute tension vaut bien un
envoyé de Washington. Que l’armée de l’air survole la calotte glaciaire et que
la mention THE END se métamorphose en point d’interrogation suspendu, adressé
au spectateur.
On sait que Steve faillit s’enrichir,
que la future star se vit offrir
l’étoile de Au nom de la loi (1958-1961), hourrah. Et que Yeaworth, jadis gosse chanteur pour radio de
Pittsburgh, amitiés à Romero, porté sur le prosélytisme filmé, la gestion de
parc d’attractions en Jordanie, ne s’entendit pas avec lui, ne prisa guère le
résultat. Pourtant, son « pâté » ne manque pas de qualités, citons
les contributions de Ralph Carmichael à la musique, son score sérieux à tout prendre préférable à la chansonnette
guillerette et suspecte du générique à la Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958),
signée de l’habile Burt Bacharach ; de Bart Sloane aux effets spéciaux ;
de Thomas Spalding à la direction de la photographie. Le producteur indépendant
Jack H. Harris récupéra du pognon, la Paramount empocha le pécule de la
distribution et l’auteuriste maison Criterion se fendit, diantre, d’une
édition. Tourné sur place, The Blob ne s’avère jamais
dégueulasse, dérisoire, et l’on sourit avec lui, pas contre. La réalisation,
point paresseuse, fichtrement fonctionnelle, réserve quelques secondes
d’expressivité, cf. le travelling
liminaire autour des tourtereaux, le surcadrage du docteur et de l’infirmière
affolés, la famille recomposée, un chouïa incestueuse, de Steve, Jane et son
frangin au sein du souterrain, sur fond de brasier coloré, rosé, on se croirait
presque dans La Guerre des mondes de Byron Haskin (1953) plutôt que de
Steven Spielberg (2005). Ici, on fait la course motorisée en marche arrière,
jusqu’au feu rouge à l’envers, on alterne investigations, argumentations et
actions, on croise une logeuse âgée fan
de ménage. Tout ceci respire ou empeste, suivant la perspective, les années 50,
la ruralité reconstituée, la crainte du scandale, les robes-ballons, les
escapades nocturnes. Mister McQueen
se permet même de fumer en plein dialogue, cf. la volute absurde dans son dos.
Le pudding s’amplifie au fur et à mesure de ses (més)aventures, alors
Steve l’imite, son intensité, son talent, ce mélange instable, séducteur, de
colère et de candeur, se décuplant au cours des scènes, des plans. Aneta Corsaut, débutante de ciné, ne démérite pas, ne pleurniche pas, réconforte et
escorte, néanmoins McQueen porte le film, anime à chaque apparition cette fable
intergénérationnelle sur la nécessité de la solidarité, de l’entraide, de la
confiance au-dessus des pitreries et des a
apriori. Disons, pour résumer, que Pierre
et le Loup (Sergueï Prokofiev, 1936) rencontre Fantasia chez les ploucs
(Charles Williams, 1956), que l’uniforme immaculé d’un pompier se substitue aux
célèbres « blousons noirs ». La foi fait la force, repousse
l’envahisseur : le temps d’un film, divertissement pédagogique de/pour ses
teenagers, l’Amérique se réunit, se
rassemble, se raffermit, et au final, tout le monde s’étreint, se remercie,
adieu au « rebelles sans raison » de James Dean. Un opus politique, The Blob ?
Assurément un métrage de communication, de concorde, d’enfantillages et de
passage à l’âge adulte, merci à l’ennemi venu de loin afin de nous diviser,
faire grandir, rendre sereins – un peu moins soixante ans après, puisque la
glace et les scissions, au cinéma, au-delà, se mettent désormais à surchauffer,
pas vrai ?
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