Brainscan : Les Deux Papas et la Maman
Game over ? Plutôt la partie d’une vie…
Il existe des films de scénariste.
Diplôme universitaire en poche, Andrew Kevin Walker signe son tout premier
scénario (de long métrage), dans lequel, de manière rétrospective, il semble
aujourd’hui facile de lire les Seven, The Game, 8
millimètres, Sleepy
Hollow et Wolfman à venir (sans omettre ses participations officieuses à Fight
Club ou Hypnose). Bien sûr, on peut aussi
penser aux Griffes de la nuit (croque-mitaine de cauchemar), à Dreamscape
(exploration onirique), à Vidéodrome (CD-ROM versus VHS), à Scream
(dimension méta) et à Ring (transmission de malédiction). Brainscan
(sorti en 1994) porte bien son nom : il s’agit à la fois d’une
radiographie cérébrale, donc d’un « film-cerveau », de façon
littérale, et d’un duplicata virtuel
de « genres ». Faux film fantastique, faux film d’horreur, faux film
policier, voici en réalité (virtuelle, augmentée) un vrai drame psychologique, réflexif
et freudien (molto œdipien), basé sur la problématique de la virtualité au
carré, voire au cube. Michael vit seul dans le luxueux manoir paternel. Geek et otaku, il possède un PC baptisé
Igor, auquel il ordonne, avec lequel il dialogue (en bon solipsiste). Sur les
murs de sa chambre, des posters de
groupes de hard rock (AC/DC, Aerosmith, Metallica) et des affiches de films
(classiques horrifiques de la Universal). Lorsqu’il sort sur son scooter, il tombe sur un inspecteur de
police (adjoint occis par une milice US) et une scène d’accident, rime sinistre à celui dont il rêvait au début, réminiscence
déformée d’orphelin, de handicapé, sueurs froides et jambe blessée. Le plus
clair de son temps, il le passe dans l’obscurité de son cocon, à lire des
numéros de Fangoria, le fameux magazine spécialisé, à mater sa voisine dévêtue,
en ersatz de James Stewart dans Fenêtre sur cour. Comme dans Body
Double, l’intimité ne s’avère pas violée mais complice : Kimberly
se sait observée, elle accomplit son chaste strip-tease
à son attention.
Voyeur, Michael Brower ? Disons
vidéaste, enfant illégitime et guère illégal de Mark Lewis dans Le
Voyeur de Michael Powell & Leo Marks. Le monde (lointain) et le
corps (féminin) se réduisent à des images visionnées à demeure, en circuit
fermé (à double tour). Le père, en déplacement, aimant et maladroit, se limite
à un message de répondeur, le lycée, à un ciné-club vampirique (spectateurs vampirisés par le pieu enfoncé), à un
proviseur/censeur in fine puni (itou puritain, il criminalise
la pornographie). Quand il appelle le jeu interactif (l’argument s’inspire
apparemment d’un jeu existant), suite à une annonce dégotée par son alter ego, frérot par procuration (buddies forever en sésame d’amitié), il croit tomber sur une machine,
tandis que son guide lui promet, sans lui laisser le choix, d’expérimenter un
sommet de la terreur, mon cœur. La galette en plastique envoyée par la poste,
insérée dans l’UC, le voilà projeté illico
dans un giallo, à zigouiller en POV, main gantée de cuir noir, arme blanche et
coupante, un quidam endormi. Cerise
(atroce et castratrice) sur le gâteau, il lui coupe un pied, bientôt retrouvé…
au frigo (possible clin d’œil au Hitchcock télévisé de Coup de gigot). Sorte de
Caligari teen, hypnotisé à l’insu de
son plein gré, notre protagoniste découvre « avec horreur », en
effet, que le meurtre, avéré, fait la une des médias, suscite une enquête
rapprochée (de sa petite personne). Cela ne suffisait pas, il doit affronter de
surcroît un adversaire singulier, matérialisé, le Trickster (plus d’un tour
dans son sac d’Iroquois narquois, indeed),
qui évoque davantage le clown livide de
Ça
(montagnes russes psychanalytiques, dès le titre) que Freddy Krueger ou
Alice Cooper, malgré ses plaisanteries acides et ses goûts musicaux bruyants
(pas de country, surtout !).
Il doit également se débarrasser du
membre encombrant, l’enterrer au creux d’une forêt de conte de fées, éclairée
dans la nuit bleue caractéristique de l’horreur produite durant les années 80.
Hélas, un berger allemand emporte la relique ; le clébard reviendra lors
du générique (de fin), une mimine dans sa gueule, ultime rictus en codicille de la diégèse (ni ce plan ni le précédent, rire
démoniaque du démon socratique assis au bureau du dirlo, ne figurent dans
le script de Walker, par ailleurs
ouvert sur une scène cinéphile, le jeune Michael, épouvanté,
ravi, regardant en famille, à la TV, un film de loup-garou, à proximité tactile
de sa rassurante maman). Si la réalisation de John Flynn – naguère loué par nos
soins à l’occasion de Pacte avec un tueur, similaire
variation schizophrène sur le contrat faustien avec un monstre en miroir,
co-écrite avec Larry Cohen –, soignée, sincère, jamais cynique ou méprisante,
pèche un peu par ses allures de téléfilm de luxe, si Edward Furlong brille par
sa transparence, sinon son insipidité (les plus magnanimes affirmeront que son
manque évident de talent procède du somnambulisme du personnage, contribue à le
servir), si le thème musical de George S. Clinton vire vite au minimalisme
monotone, Brainscan séduit par un acteur (Frank Langella, impassible et
empathique) et une actrice (la rousse Amy Hargreaves, fille d’à côté crédible,
sensible), par un scénario (constamment stimulant). Outre la présence assez
électrisante (et marrante) de T. Ryder Smith (comédien issu de Broadway) –
j’invite le lecteur anglophone à parcourir ses plaisants-vivants souvenirs,
assortis des critiques de l’époque, je lui pique quelques photographies
d’illustration, bon –, père pulsionnel, indigne, immoral, revers de la figure
(d’autorité, de rationalité) du flic, les deux pôles principaux du combat en
soi, dans un esprit divisé, piégé entre rêve et réalité, l’opus mérite son exhumation de saison (estivale), car il parvient à
dire deux ou trois choses intéressantes et sensées sur l’adolescence, le deuil,
la violence, le cinéma (dit d’horreur et au-delà), sur la résilience et l’adieu
(provisoire, différé, puisque la cinéphilie, même la plus adulte, participe
encore de la satisfaction juvénile du spectacle sensoriel, du mythe subjectif)
à l’enfance.
Oui, les « films d’horreur »,
en tout cas les meilleurs, nous font grandir, tournés vers la vie, la survie,
claire victoire dans le noir sur nos ennemis familiers, sur des terreurs très
réalistes nommées mortalité, maladie, solitude, finitude. Oui, regarder un film
(ou un programme, au sens informatique du terme) de ce type revient à se
confronter à ses propres Ténèbres (ciao, caro Dario Argento), à sa part d’ombre (à
la James Ellroy), où s’animent en toute liberté transposée les envies
d’effraction, d’assassinat, de viol, de suicide (je suis l’ordre du récit). Tout ceci
relève de la fête foraine (train fantôme à la Tobe Hooper) et du questionnement
existentiel, des farces et attrapes (émule de Val Lewton, admirateur de
Jean-Pierre Melville, Flynn ne s’intéresse pas au gore, on peut l’en remercier) et des fondamentaux (d’une pensée
consciente d’elle-même). Dramatique et ludique, triste et joyeux, tourné à
Montréal (simulacre d’Amérique) et Los Angeles (effets spéciaux évocateurs,
discrets), Brainscan identifie à la perfection, avec ses défauts, ces
tensions, ces courants contraires, à des années-lumière des décérébrations
d’épiciers, des aveuglements de commentateurs, moralistes (les juges du « genre »
mésestimé) ou régressifs (les fanatiques de l’inoffensive imagerie). Il se
termine, à l’instar de The Game, en fiction dédoublée,
déceptive, révisionniste et optimiste (hypothétique cadeau secouant du papa
absent, avant le jeu de rôle impitoyable et charitable offert par le frère de
l’homme d’affaires). Le film-rêve visait à purger le héros passif de ses pires
penchants, petit exercice sympathique de catharsis en ligne, à lui redonner le
goût de vivre, d’agir, de sortir de sa réclusion et de lui-même, d’aller sonner
à la porte de l’énamourée, lui demander de sortir avec lui, de croiser son ami
ressuscité, de l’enlacer en tendresse de virilité, de se moquer du représentant
borné de l’éducation à la con (on ne parlera pas de l’enseignement du cinéma,
en France et ailleurs, afin de ne pas somatiser à coup d’ulcère).
Walker élabore ainsi, lui-même
débutant, d’après une histoire de l’obscur Brian Owens, un attachant (et juste)
portrait d’adolescent, à la croisée des mondes, des perceptions, des scénarios
(de CV, de personnalité). Michael ne deviendra pas un salaud, ni un héros, du
reste, il vient de s’évader sous nos yeux (le film de frissons conçu en évasion
formulée, explicite, en réponse à la question du directeur d’établissement
scolaire), dans les replis de son esprit, hors de sa prison de déréliction
(Flynn assista John Sturges sur… La Grande Évasion), il vient de
grandir, de refuser le pire, de se projeter (peut-être que je sortirai avec
toi, en attendant, reçois sur tes lèvres cette jolie bise prometteuse) dans l’avenir, le sien,
qui lui appartient. Le passage par la virtualité (du jeu, du cinéma, du cinéma en
tant que jeu sérieux et joyeux) débouche sur (la bouche d’une jeune fille en
fleur et en nuisette) la réalité réconciliée, allégée, apaisée – vive le cinéma
d’horreur et vive Andrew Kevin Walker !
L'horreur ça hérisse le poil ou le piquant, le hérisson en boule parfois se fait tout de même écraser...je suis moins optimiste que vous sur le côté aide à grandir, voir catharsis, de l'horreur filmée, un soupçon que ça renforce l'idée que le plus fort gagne, même dans le monde animal il y a de l'entraide étonnante, l'augmentation des suicides chez les jeunes souvent abreuvés par ailleurs d'images d'horreurs réelles ou fictionnelle me fait me poser beaucoup de questions à ce sujet-là, il est vrai que vous connaissez bien mieux le domaine d'étude en tant que cinéphile littéraire et même parfois sociologue selon la lecture de centaines de vos billets toujours instructifs pour l'ouverture d'esprit.
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