Suicide Club : Shinjuku Incident
Stoïcisme, individualisme, capitalisme et table rase cartésienne où
s’attabler afin de dévorer des « sandwiches de réalité »
à la sauce Allen Ginsberg.
Aujourd’hui, maman, nous allons
mourir. Il vient pour nous, le vraiment dernier métro, pas celui de Truffaut,
pas le train solaire des Lumière – sidérante horreur du réel –, il nous emmène,
express de minuit loin de la Turquie,
vers le grand sommeil d’un rôle sur mesure, vérifiable imposture propice aux
masculines conjectures, spectacle spectral en traumatisme de masse. Vous ne
nous oublierez pas, suprêmes actrices liminaires et mortes alertes, sereines, fracassées
par la rame triviale, chthonienne, transformées en geyser découpé-prolongé par
le montage, sublime et salissant outrage sur les murs, les parures, sur fond de
partition mélancolique, de requiem oriental.
Ces jeunes filles en fleurs et en pleurs paraphent l’immolation mécanique d’une
nation, la comédie sinistre du suicide assisté, dirigé, orchestré dans les
coulisses et même sur scène par des gosses démiurges, comme surgis de l’Espagne
assassine d’un Narciso Ibáñez Serrador. Contemplez les révoltées du mois de
mai, en plein émoi du moi, paradoxales comédiennes à la Denis Diderot dans leur
happening collectif, définitif. Les
marmots, amateurs de sabot pour raboter, tressent avec la peau des élues des
rouleaux horribles et subtils aux faux airs de bobines de film, manière de
miroiter les masques multiples, d’égarer dans le dédale d’un hôpital – beau
frisson d’un rideau d’adieu deviné –, le cinéphile épris des fantômes languides
de Kiyoshi Kurosawa, du puits infanticide de Hideo Nakata, des perfides
batailles royales de Kinji Fukasaku, en sus des flics vite floués par les
fausses pistes. En ligne, le décompte précède l’hécatombe, les cercles rouges
ou blancs, globules sexués à la Jean-Pierre Melville, fatalité de ficelles
tirées, s’accumulent en relecture visuelle du Puissance 4 de notre adolescence, car tout se recoupe et fait sens
au sein de l’absurdité généralisée, puisque la colère poétique du réalisateur
fait écho au lyrisme consécutif de nos mots.
Dans ce Japon-là, on se jette
ensemble, tous ensemble et en chœur, du haut d’un toit, ou bien en solo droit
sur l’oreille de sa girlfriend, en
rime féminine avec les paroles cryptées d’un girls band probablement adoré par les pédophiles, tant la mise en
scène, le message et sa moralité demeurent inaudibles aux autorités, aux
petites amies, aux parents absents (ou trop présents). L’inspecteur Kuroda n’y
survivra pas, terrassé par l’extermination de sa famille, par un coup de fil,
par une voix d’enfant toussotant, hermétique et eschatologique. De son côté,
une geek capable de pianoter les yeux
fermés assiste au concert très privé d’un ersatz de Bowie/Ziggy/Charlie
(Manson), animaux écrasés, viol et meurtre en musique à la Kubrick guéri du
traitement Ludovico ou en mode Dario Argento, mémorable géomètre des draps immaculés
déflorés au couteau. La rescapée au papillon tatoué sur l’épaule, van Gogh
nippone, résoudra une partie de l’énigme au moyen d’un téléphone fixe à touches
en rébus numérique, avant de répondre avec brio, énergie, aux questions
existentielles d’une théâtrale assemblée prépubère, avant de croiser un
policier énamouré sur le quai fatal, de le dévisager dans le compartiment en
partance. De la première Mitsuko, pas encore réincarnée avec un nouveau visage
dans la suite déceptive, pas décevante, il ne reste qu’un bout de chair à l’encre,
une blessure de guerre, un effet spécial, un hymen de kaléidoscope cohérent, patient, prometteur d’une riche
filmographie, la trace fugace d’une semaine de massacre et d’impasses, de
seppuku urbain en série et de groupe décérébré ou acidulé en sursis, in extremis dissous, merci aux fans de leur soutien. Pour se libérer,
il faut, paradoxalement et logiquement, renouer le lien, avec soi-même, autrui
et le monde – CQFD, partout et à Shinjuku itou.
Merci pour cette émouvante lecture de votre billet sensible et instructif.
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