La Chienne + La Rue rouge : Drôle(s) de drame(s)
Suite à leur visionnage sur le site d’ARTE et en ligne, retour sur les
titres de Jean Renoir et Fritz Lang.
La Chienne (1931)
Le film d’une émancipation. Une
tragi-comédie entichée de théâtre, en distanciation-émotion. Un vaudeville
réinventé, un ouvrage très français. Le son, la profondeur de champ, le point
de vue extérieur, littéralement, la caméra portée, tout concourt à créer un
réalisme cinématographique, donc une recréation porteuse de vérité. Tout
conspire à nuire contre des pantins humains, trop humains, victimes d’eux-mêmes
et d’un destin trivial. Le fait divers remplace la tragédie, liquide la
causalité naturaliste : plus de généalogie dégénérée, Zola en émule de
Lombroso. Un portrait vitriolé du milieu de la peinture, peuplé de critiques
faisant ou défaisant les peintres, de marchands d’art cyniques et juifs,
inutile de revenir ici sur l’antisémitisme opportuniste du cinéaste, d’artistes
prostitué(e)s au sens propre et figuré. Une réflexion sur la toile peinte,
voire filmée, perçue en moyen d’évasion, de transposition, d’identité, de
commerce, de réussite. Le peintre amateur, du dimanche, désabusé, bourgeois, rêveur
et tel un avatar irrévérencieux de Renoir père. La fiction abreuvée de réalité,
marivaudage biographique entre l’actrice et ses deux complices. Un film encore
un peu méconnu, adoubé en chef-d’œuvre, restauré en 4K. Une cartographie de
bistrots, d’argot parigot, de chambres à coucher. Un éloge du corps, de la
chair, du désir et de l’idéal. Un spectacle de la parole, du ménage à trois ou
quatre, de la scène de ménage incessante. Un film de la fin des héros, y
compris ceux de la Grande Guerre. Un film de fric, de gifles, de fenêtre sur
cour intérieure avec gosse au piano, de chauffe-eau et de bidet. Une harmonie
de contrastes et d’oppositions, meurtre silencieux en huis clos tressé à une chanson
des rues pour le supposé populo. Un métrage au montage co-établi par Paul
Fejos. Un miaou fluet de chatte masochiste bientôt injuriée-récupérée par Raimu
l’amer boulanger.
La Rue rouge (1945)
Le film d’une damnation. Un mélodrame
déguisé en film noir. Un déploiement d’accessoires : montre offerte,
parapluie défensif, canotier à la Maurice Chevalier, sac à main à spirale
hypnotique, imperméable transparent et robe noire du soir, nappe à carreaux de
restau récupérée par les incorruptibles de Brian De Palma, fleur d’au revoir et
du trottoir, tablier de cuisine domestique, serpent de peinture sans
perspective, pic à glace repris par Sharon Stone. Une composition de studio, de
géomètre et d’architecte quadrillant des rues pluvieuses et nocturnes en
plongée. Un beau brûlot subversif qui sabote de l’intérieur les races, la
police, la justice étasuniennes, avec nettoyeur noir, flic corrompu, noyé,
idolâtré, ressuscité, son cache-œil de pirate en clin d’œil à Ford, pour lequel
Dudley Nichols, ami et hôte de Renoir, signa plusieurs scénarios, avec tribunal
abstrait, aveuglé, expéditif, relecture assourdie, écourtée, de l’impitoyable démonstration
de la furie collective inaugurale, du lynchage à la mode US de 1936, source
d’inspiration pour le châtiment ensanglanté de Friedkin. Une bande tombée dans
le domaine public de néon d’hôtel stroboscopique, après Clouzot flanqué de son
corbeau, avant Hitchcock psychotique et Lynch en face d’effacement. Un opus à la coda en contre-Capra, neige
sale, banc esseulé, uniformes qui se foutent du vieux fou confessant son crime
impuni, foule supprimée par un fondu enchaîné. Un film d’amour dont le dernier
mot, ironique hantise sonore, revient à l’irrésistible Joan Bennett, partenaire
financière, muse et peut-être plus. Une immanence de transparence
hollywoodienne envahie par l’expressivité d’une psyché. Dix orteils vernissés à
la Nabokov relu par Kubrick. Une fable de faux coupable hitchcockien et de vrai
criminel tourmenté par sa conscience à la Monsieur Madeleine, bon comme le pain
rassis de la jalousie et de la folie.
"En 1957, Max Ophuls s'apprête à tourner un film sur le peintre Modigliani dans le Montparnasse de l'après-Première Guerre mondiale. Le projet est interrompu par la mort d'Ophuls quelques semaines avant le début du tournage. Mais le cinéaste viennois avait pu confier son souhait de voir son ami Jacques Becker prendre la suite."
RépondreSupprimerhttps://www.cinematheque.fr/article/996.html
Comparaison plutôt convaincante, jamais trop tard pour (re)dire que du scénario la carte n'équivaut de facto du film au territoire.
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/07/alphabet-city-haro-sur-le-scenario.html
Vu jadis ce petit biopic, valant surtout pour le grand Philipe.