Cinéphilo : Le Monde de Sophie
Philosopher avec une caméra, sinon un marteau, tenu par Friedrich ou
alors Thor.
Vivre libre et expérimenter
l’éternité, grâce à la pensée autant qu’à la joie : l’auteur, normalien,
agrégé, enseignant, conférencier, fan
de foot, essayiste, romancier,
réalisateur, avant de connaître quelques mésaventures lucratives de chroniqueur
silencieux sur Canal+, commenta Descartes et Spinoza (amusants remerciements
« à René et Baruch, pour rien ») entre deux séances de cinéma. Dialectique
davantage que didactique, son ouvrage agréable et discutable fait assez fertilement
dialoguer la philosophie supposée première et l’art classé septième, quand bien
même il convoque un corpus de titres
très américain et restreint. Des métrages signés Zack Snyder, Martin Scorsese,
Sam Mendes, Mel Gibson, Ridley Scott, Michael Mann, David Fincher, Robert
Zemeckis, Russell Mulcahy, Clint Eastwood, Terrence Malick, les Wachowski,
Nathaniel Kahn, M. Night Shyamalan, Richard Fleischer, Jason Reitman, Peter
Weir, Oliver Stone, Leon Gast, Bryan Singer ou Kathryn Bigelow voisinent ainsi avec
ceux, peu nombreux, de Liu Chia-liang, Wim Wenders, Luis Buñuel, Claude
Chabrol, Serge Ioan Celibidache, François Truffaut, Terry Gilliam & Terry
Jones. La volonté, la raison, Dieu (trompeur) et le doute, la liberté
(incompréhensible aux machines), les passions (tristes ou non), la générosité
(au sens cartésien du terme), moi et autrui, soi-même en devenir (voire
l’inverse), le désir en clair-obscur, l’imagination, la mort (vaincue) – les
concepts se succèdent et s’enchaînent, tandis que l’on croise Nietzsche,
Leibniz, Bergson, Alain, Walter Benjamin, Gilles Deleuze et André Bazin,
Mohamed Ali et Michel Platini. Tout ceci stimule, au risque, parfois, du
truisme et de la tautologie, via un
texte fluide tissé à d’éloquents extraits retranscrits de scènes et de
répliques, malgré une expressivité minorée.
S’il fallut apparemment six mois à
Goethe, retiré exprès, diantre, pour se nourrir des définitions-démonstrations éthiques,
si la cogitation des méditations métaphysiques implique, en effet, une certaine
familiarité avec l’imparfait du subjonctif, ce livre se lit vite, en moins
d’une petite semaine, biblique ou laïque. Finalement, tout ne tient qu’à un
fil, pas celui du rasoir contre la gorge, puisque la question camusienne du
suicide se voit illico congédiée,
mais au préfixe/suffixe en commun, philia, voilà, alliage de plaisant partage.
S’aimer, aimer l’autre, a fortiori
ennemi, aimer le monde, aimer le cinéma en miroir, là résiderait le meilleur
moyen de (re)trouver le goût du bonheur, ou de la cerise à la Kiarostami. La
discipline et le divertissement, divergents et pourtant convergents, presque au
sens optique du mot, sachant que les deux totems de l’intellect cités supra se piquèrent d’œil mécanique
hypothétique et de polissage professionnel de lentille, ni appendice ni bonus en vis-à-vis, nous permettraient
d’accéder aux idées, à la vérité, à l’humanité, à leur universalité, amen. N’ironisons pas trop à propos des penseurs
salariés, des cinéphiles inoffensifs, des exégètes œcuméniques, prenons acte
d’un raccord incomplet à défaut d’être totalement faux entre deux perceptions
de l’existence et du cinématographe, d’un appétit scopique en partie opposé (Les
Femmes de Stepford de préférence à Blade Runner, Carnival of Souls plutôt
que Sixième
Sens, Vidéodrome au lieu de Matrix et les women du X à la place des X-Men, merci). N’en déplaise au
passeur de puissance et de jouissance, le libre arbitre et la fraternité
connaissent moult limites mélancoliques au quotidien de la polis et l’absolu
(du sujet dessillé, de la béatitude contemplative) relève encore d’une
relativité, vécue, filmée.
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