Balade entre les tombes : La Source des femmes
Suite à son visionnage sur le site de C8, retour sur le titre de Scott
Frank.
Comme dans un Bond, le meilleur
réside dans le générique : un corps féminin morcelé paraît caressé dans
une éternité immaculée, avant que deux visages masculins ne suscitent le
soupçon, avant qu’un court panoramique ne révèle un bâillon en chatterton,
avant que les doigts ne s’enfoncent dans la chair trop claire de la victime
terrorisée, condamnée. On reverra plus tard, brièvement, la jolie finlandaise
Laura Birn à l’arrière d’une camionnette, torturée par les deux ravisseurs,
filmée en vidéo et observée dans le rétroviseur par un amoureux armé de bonnes
intentions infernales. Le témoin suicidaire sort aussitôt du véhicule et le
film fait de même, pour ainsi dire, comme si sa propre noirceur l’effrayait,
comme s’il se retrouvait au bord de l’irreprésentable. Ailleurs, plus tôt et plus
tard, une épouse et une fille, toutes les deux idéalisées au ralenti, mannequin
chic ou Chaperon rouge à chaperon, se font enlever, la première découpée en
morceaux calés dans un coffre de voiture, la seconde libérée in extremis,
contre une rançon de contrefaçon, dans un cimetière nocturne, sa main gauche
amputée des deux derniers doigts. Quant à Scudder, le privé sans licence,
l’ancien flic autrefois porté sur la bouteille, il rumine depuis huit ans un
traumatisme apparenté à une bavure : lors d’une fusillade en pleine rue, en
plein jour, une balle ricochée vint se loger dans l’œil, gauche again, d’une gamine, la tuant sur le
coup, cadavre de hasard en pietà
entre les bras de sa mère en larmes. Que le lecteur et surtout la lectrice ne
se méprennent pas, si l’on cite et décrit cette violence envers le sexe dit
deuxième, cela ne saurait signifier un goût particulier de notre part, ni même
une complaisance figurative de celle du réalisateur.
Pareillement, le duo de tueurs
crapuleux et psychotiques, l’un violeur, l’autre dépeceur, saisi le temps d’un
plan en plongée dans son quotidien inquiétant, à base de sous-vêtements blancs,
entre lecture de journal et petit-déjeuner, pouvait s’étayer d’une manifeste
homosexualité, contenu désormais tabou, y compris sous la forme d’un sous-texte
latent, depuis les soucis de Friedkin flanqué de Pacino et Demme de son Buffalo
Bill à leur époque. En l’état, l’auteur, habile scénariste pour Jodie Foster,
Steven Soderbergh ou Steven Spielberg d’après Philip K. Dick, se contente de
livrer un produit soigné, à succès, impersonnel, inoffensif et finalement assez
insipide, certes pas financé par la NRA, quoique, et quasiment au service des
AA, décalogue d’ivrogne rédimé inclus. À l’instar de Hal Ashby, pourtant
accompagné d’Oliver Stone & Robert Towne, naguère, au siècle dernier, voici
trente ans, Frank adapte un roman de Lawrence Block et ne s’en sort guère
mieux, la faute à un scénar faiblard, à des personnages bien creux, à une
double moralité de maternelle – les trafiquants de drogue éprouvent aussi des
sentiments, la bourgeoisie se bâtit à partir d’argent sali – et à une absence
de regard, à une démission de cinéaste, ironiquement à l’image de la fuite
professionnelle du policier commun aux deux métrages. En sus d’allusions
religieuses, patronymes transparents ou Abel & Caïn camés, vite décryptées en
bon cinéphile athée, il fallut se consoler avec la présence précieuse et
sous-exploitée de Liam Neeson, l’un des acteurs les plus attachants de sa
génération, sorte de spectre mélancolique et justicier errant dans une New York
cosmopolite, fantomatique, automnale, létale, sur le point de basculer dans une
nouvelle ère, informatique et terroriste.
Au terme de son voyage au bout de la
nuit, plutôt correctement éclairé par Mihai Mălaimare Jr., collaborateur de
Coppola et Paul Thomas Anderson, Neeson/Scudder rentre chez lui, trouve un fils
adoptif et dessinateur assoupi sur son canapé puis s’endort doucement du grand
sommeil de l’absolution. Le spectateur indulgent, même admiratif des talents
évidents de Liam, roupillait déjà un peu, tant pis ou tant mieux...
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