Olivia : Le Vice et la Vertu
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de
Jacqueline Audry.
Si le reste ressemble à ceci, il
convient de vite (re)découvrir la filmographie de Jacqueline Audry. Disons-le
d’emblée, puis passons à plus intéressant : la principale intéressée, jadis
puissante, ensuite renversée, pas uniquement via la Nouvelle Vague, destin de réalisatrice doublant « l’absence
» de la directrice, la vie imite l’art, vous allez finir par le savoir, se voit
désormais adoubée par le lobby LGBT,
fissa transformée en figure pure mais obscure du fatigant féminisme. Projetée
en festival spécialisé, dénommé « de films de femmes », fichtre, son parcours,
supposé exemplaire, repeint par des expertes portées sur les « études genrées
», elle mérite mieux, elle n’appartient à personne, elle s’adresse aussi et
heureusement aux hommes. N’en déplaise aux déplaisants communautaristes, aux
thuriféraires de l’identitaire, à ceux et surtout à celles qui classent,
cassent, cadenassent, qui, au lieu de lutter ensemble, avec/en intelligence,
unisson singulier des diverses sexualités, contre les insultes sexistes, les
inégalités salariales, les clichés des psychés, pendant ce temps, le
capitalisme unisexe ricane, active « l’écriture inclusive », pratique la parité
des exploit-é-es, décident d’associer le manichéisme à la victimisation,
l’hypocrisie à la misandrie, le cinéma dépasse cela, cette discutable, sinon
déplorable, doxa, nous excite toi et moi, peu importe notre sexe, nos réflexes,
nos contextes. Républicain plutôt qu’universel, œcuménisme à la truelle, il
doit se ficher des niches, s’émanciper des perspectives, déjouer les idéologies
– ou alors s’y soumettre, se démettre, de façon infecte, il le fait souvent,
hélas. Ainsi, saluer Olivia (1951), méconnu succès
d’autrefois, en suprême démonstration de saphisme subversif, enfin
débarrassée(s) de la moindre « domination masculine », amen, relève de la médiocre myopie, de l’instrumentalisation de
saison.
Contrairement à sa consœur
contemporaine Ida Lupino, (re)lisez-moi, voilà, Jacqueline Audry ne filme pas
des mecs, c’est-à-dire filme leurs silhouettes suspectes, leur dos, leur caméo,
cf. celui, souriant, silencieux, d’un juvénile Philippe Noiret, déguisé en
fugace officier à la Ophuls, flanqué de la fidèle Danièle Delorme, voire
l’inverse. Ça signifie qu’elle les
méprise ? Davantage que ces fadasses représentants de la justice et de la
médecine ne disposent d’une place ni d’un espace ici, au sein de l’autarcie,
intrus à peine entrevus, en trio vite repartis, « accident » au chloral létal
décrété, OK. Film féminin, en raison de sa transposition, ses personnages, son
récit, sa dramaturgie, Olivia, toutefois, doit beaucoup au
dialoguiste Pierre Laroche, par ailleurs époux et partenaire professionnel de
Jacqueline Audry, au directeur de la photographie Christian Matras, au
décorateur Jean d’Eaubonne, tandem
sorti de La Ronde (Max Ophuls, 1950). Magnifié par le maestro de la
lumière, ressuscité par la restauration-numérisation, ce gynécée divisé,
délesté d’idéalisme, sait encore séduire aujourd’hui, admirons sa précision, sa
lucidité, son intensité. Colette Audry, sœur et scénariste, s’affirmait
féministe, s’assumait socialiste, et à ce niveau-là, Olivia s’avère en sus
une satire, consacrée à une finishing
school sur le point de périr. En
effet, toutes ces filles de Fontainebleau, censées se perfectionner dans l’art dérisoire
des « bonnes manières » de naguère, devenir en accéléré de parfaites petites
VRP de l’autoproclamée « bonne société », frisent le risible, kiffent le
clanisme, manquent de personnalité, de profondeur, déjà dressées, bien élevées,
bien délavées, Brigitte Bardot (Et Dieu… créa la femme, Roger Vadim,
1956) & Jean Seberg (À bout de souffle, Jean-Luc Godard,
1960) acquiescent.
Chez Ophuls ou Zweig, pareil portrait
d’une passé, d’une classe, même muni d’ironie, se teintait de nostalgie, d’une
conscience du déclin, pas seulement impérial, européen, en présage d’un
supérieur désastre, d’une insanité annoncée, in extremis survenue en 39-45. Chez les Audry, voisinage de
Visconti, l’institution cosmopolite, en apparence démocratique, décrite avec
une douceur sarcastique, périclite, comme un effet collatéral du conflit
franco-allemand de 1870, hantise de statue parisienne en souvenir de
Strasbourg. La refroidissante et intrigante « Frau Riesener » incarne quant à
elle le caractère classé austère des voisins d’outre-Rhin, rappelle un brin
l’Alida Valli de Suspiria (Dario Argento, 1977). Histoire d’attraction et de
répulsion, de transmission et de passion, Olivia présente des êtres en
perpétuelle représentation, qui se donnent en spectacle, qui donnent un spectacle,
costumé, de fin d’année. On lit à haute voix, on s’y voit, on s’y croit, on
médite sur Le Cid, on descend, escortée, l’escalier de Sunset
Boulevard (Billy Wilder, 1950), on se mire, en regard caméra réfracté,
au miroir illusoire, forcément narcissique, de The Servant (Joseph
Losey, 1963), auparavant on pénétrait à l’intérieur du microcosme amical et
morose à cheval, à l’instar de La Résidence (Narciso Ibáñez
Serrador, 1969). « Mademoiselle Julie » délaisse Strindberg et déclame Andromaque,
se lamente au côté de Lamartine, récite du Hugo auprès du tombeau. Elle
s’exprime, se déplace en star, parmi
son public de fanatiques pas si lubriques, quoique. Parfois, la façade
s’effrite, les femmes défaillent, instants assez sublimes d’érotisme subit,
irrésistible, citons un accessoire vestimentaire caressé, humé, une paupière
ensommeillée + une épaule dénudée, fissa embrassées, embrasées.
Face à l’altière Edwige Feuillère, la
soyeuse Simone Simon simule sa migraine, joue une jalouse, se suicide esseulée,
bienséance en coulisse, cadavre somptueux à contempler en privé. Au couple
séparé, « divorce » validé, parts cédées, départ au Canada, oui-da, répond à
distance celui de la dame « d’arithmétique », sans fin affamée, sans cesse
désabusée, de la cuisinière solidaire, en introduction et en coda cochère,
dialectique dynamique, antithétique, presque à la Renoir, repensons à La
Grande Illusion (1937), à La Règle du jeu (1939). Ancienne
assistante de Max, de Pabst, de Delannoy, quelle jolie voie, Jacqueline Audry
dirige en cinéaste dotée d’une empathie amusante, amusée, émouvante, remuée, un
impeccable casting choral,
individualisé, au propre, au figuré, comparez les compétences complémentaires,
les talents différents, d’Edwige & Simone, théâtralité tragique versus spontanéité physique, les
tonalités particulières des vétéranes Yvonne de Bray & Suzanne Dehelly, de
l’éphémère (Marie-)Claire Olivia, revue dans L’Auberge rouge (Claude
Autant-Lara, 1951), Sa caméra mobile manœuvre avec maestria au milieu des
remous, des amours, du désamour, des sens, de la décence, arrive à révéler la
valeureuse et fiévreuse vérité de ses adolescentes attardées, de ses
souveraines vaillantes et vaines. Car Olivia ouvrage les contrastes,
jamais figé, décoratif, toujours animé, perceptif, dommage pour les miro Truffaut and Co. Intellectuelle et
sensuelle, « vicieuse » et vertueuse, victorieuse et défaite, Julie fascine et
refoule une Olivia rêvant éveillée, en écho de huis clos à Pierre Vaneck,
hypnotisé idem par Marianne
de ma jeunesse (Julien Duvivier, 1955), autre conte d’éducation
sentimentale, certes hétéro, aux limites du fantastique, tandis que l’item de Mademoiselle Audry se contente
d’une patine onirique, en partie produite par une transparence d’exposition,
une discrète postsynchronisation.
Au terme des événements éloquents,
Victoire, sans ailes, sans elles, rassure la pensionnaire ramenée en
Angleterre, lui promet qu’elle appréciera plus tard, paradoxe temporel, cette
époque si cruelle. Lectrice des Malheurs de Sophie et de La
Princesse de Clèves, redoutable duo, l’Indienne d’un soir d’espoir, de
désespoir, secret sucré à l’oreille murmuré, quitte en fiacre le parc
paradisiaque, nouvelle Laura, second catalyseur de rancœur. Romantique et
pragmatique, ludique et lyrique, Olivia évoque et esquive Les
Dames du bois de Boulogne (Robert Bresson, 1945) et The
Duke of Burgundy (Peter Strickland, 2014), enchante et désenchante
durant une heure trente. On le voit, on le devine, il ne s’agissait pas, loin
de là, de verser vers le révisionnisme, même marxiste, de « mettre à
l’index » misogyne l’homosexualité féminine, imagerie multiple, d’ailleurs
abordée sur ce blog par mes soins
sereins, pas malsains, d’évacuer les évidences des attirances, des résistances,
de l’abstinence, de la repentance. Il s’agissait, en résumé, d’éviter de rendre
à Olivia
le mauvais service d’en faire un film de/sur/réservé à des femmes, parce que ce
cinéma ne fonctionne pas comme ça, parce qu’il peut captiver, bouleverser, à sa
mesure mesurée, n’importe quel cinéphile, par sa beauté, sa sincérité, sa
délicatesse, sa tendresse. Répétons un truisme, au risque de froisser les
partisanes sensibilités : la validité d’une œuvre ne saurait dépendre de « l’orientation
sexuelle » des artistes, des critiques, des publics, et même « hopelessly
heterosexual », ne s’excuse la narratrice du Cat’s Eye de Margaret
Atwood, exposante polémique en marge de l’entourage des descendantes du MLF,
lesbiennes ou non, on prise sans malice, par exemple, le corpus explicite, authentique, du cher Rainer Werner Fassbinder, on
ne se soucie de savoir la bisexualité de Dorothy Bussy, romancière British, traductrice d’André Gide,
éditée par Virginia Woolf, de la précitée Yvonne de Bray, caractéristique
intime, anecdotique, en-deçà du prix poétique et politique du précieux, pas
ridicule, Olivia.
Jacqueline Audry pensait, pourquoi
pas, que chaque spectatrice s’identifierait à l’héroïne candide. Corrigeons en
paraphrasant Flaubert, papa de la songeuse et souffreteuse Emma : « Olivia,
c’est moi », en tant que spectateur de cinéma, au courant du courage à cet âge,
vibrant aveu à genoux, « Je vous aime », m’aimerez-vous, en train de traverser,
en train méta, une image mirage, ramage, ah, la voix d’Edwige, un visage
paysage, vivant vestige, viral vertige, d’expérimenter une parenthèse
importante, stimulante, avant de revenir à la « vraie vie », elle-même
nervalienne. Julie ou Cara ? L’existence ou la séance ? Mesdemoiselles ou messieurs ? On ne choisit,
on applaudit, on écrit un ressenti, on referme l’album autonome, fortes, fragiles et fréquentables photographies
tout sauf flétries.
Sombre Dimanche, un film réalisé par Jacqueline Audry,
RépondreSupprimer"Peu avant la guerre, Jan Laszlo, un jeune musicien hongrois, réfugié en France, éprouve des déconvenues sentimentales. Un jour de cafard, il compose une chanson Sombre Dimanche qui plaît à l'éditeur Max. Pour lui assurer un bon lancement, Max, que n'étouffent pas les scrupules, a recours aux services de Bob, son complice en cas de coup tordu. Bob a une maîtresse, Michèle, qu'il persuade de simuler un suicide provoqué par la nostalgie du morceau. Tout réussit. À cette occasion, Jan rencontre Michèle et s'en éprend. Mais Bob lui apprend que toute l'affaire n'était que simulacre publicitaire .."
https://www.youtube.com/watch?v=9dZj7YW5oFQ&feature=emb_logo
https://www.youtube.com/watch?v=g3G8scTgmo0
SG, CQFD :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/05/gloomy-sunday-je-hais-les-dimanches.html
Interviews d'André CAYATTE et Jacques BREL à propos du film "les risques du métier" par Léon https://www.youtube.com/watch?v=ZSLp0l2-OqQ
SupprimerMerci pour ceci...
SupprimerDe l'aviateur vers le chanteur, la chanson en solo, en effet, le ciné comme équipe, chic...
Sujet toujours d'actualité, sinon plus que par le passé...