Evil Baby : Elle voit des nains partout !


Pardonner les parturientes, se délivrer de leurs ventres…


« Ne me tue pas ! Je suis ta mère ! » : à nouveau, comme souvent, le sublime s’associe au risible, et inversement. Piloté en mode automatique par Peter Sasdy, jadis prouvé plus inspiré, cf. La Fille de Jack l’Éventreur (1971), fracassé par la critique locale en dépit du « plaisir coupable » post-moderne, Evil Baby, aka I Don’t Want to Be Born, The Devil Within Her, The Monster et même Sharon’s Baby, une pensée d’épicier pour le tandem Tate & Polanski, mérite néanmoins un article. Il s’agit, en résumé, d’un conte de culpabilité, d’une parabole puritaine, d’un bibelot britannique, aussi sérieux que tongue-in-cheek. Ex-effeuilleuse, la svelte Lucy épouse un Italien nanti, of course catholique, dont la sœur, scientifique, s’avère en sus... une bonne sœur, Seigneur. Après une naissance au forceps, la mère amère, détestant sa belle-mère, s’aperçoit fissa, jusque dans sa chair, que quelque chose ne va pas, avec ce bébé-là. Puisque Le Monstre est vivant (Larry Cohen, 1974), il convient de requérir L’Exorciste (William Friedkin, 1973) ? Presque, pas tout à fait, Evil Baby davantage singulier qu’un simple ersatz, capable d’être apprécié en farce macabre et non en mélodrame familial. Un souvenir salace entre filles point saphiques dévoile vite la raison de la désillusion. Sa poitrine pelotée par son partenaire sur scène, un nain prénommé Hercule, Lucy se voit sauvée par son boss, un bellâtre la culbutant sans perdre de temps, idem avant son mariage, par conséquent peut-être le vrai père du violent enfant. Lestée de ce suspense spermatique, La Malédiction (Richard Donner, 1976) s’accomplit à la maison, du côté de Kensington, où gouverne une gouvernante avenante, nommée Mrs. Hyde, guère amatrice de souris morte dans sa tasse de thé, désolé.


Si la nurse se noie, à proximité d’un landau d’ébène probablement piqué à l’accessoiriste gothique de Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968) + Plus grandir (Laurent Boutonnat, 1985), le mesquin Tommy se reçoit une mandale de folie, le romantique Gino s’agite au bout d’une corde, disparaît subito presto au sein d’un drain, et l’obstétricien, croyant plutôt que crétin, car « Nous sommes tous des créatures de Dieu », amen, se fait décapiter à coup de pelle, again au garden, diantre. Quant à la maman, désormais esseulée, une paire de ciseaux se plantera illico dans son cœur brisé. Assemblée en montage alterné, la coda consacre la secourable, sinon (con)sacrée, sister Albana, chasseuse de (petit) démon, opératrice de purification, exécutrice par procuration de l’artiste funeste, alors en pleine représentation, en train de décéder en direct devant un public insouciant, inconscient, puis sidéré, conclusion de confusion funèbre relisant celle de Phantom of the Paradise (Brian De Palma, 1974). Signé par Stanley Price, le scénariste de Arabesque (Stanley Donen, 1966), ce surréaliste récit doit vous faire frémir et sourire. Le visionnage de Evil Baby devrait provoquer le même effet, mais ce film délesté de soleil repose en partie sur une idée essentielle, exprimée par le titre d’origine. Quatre ans plus tard, David Cronenberg mettra au monde le psychodrame intime de Chromosome 3 (1979), l’Anglaise Samantha Eggar en canadienne Médée divorcée. Certes, Evil Baby ne se situe une seule seconde à ce haut niveau, cependant il somatise aussi, il renverse le discutable « miracle de la vie », il donne à voir une volonté véhémente et régressive de rester à l’intérieur de la matrice maternelle, du rassurant territoire de l’utérus.



En ceci il s’inscrit parmi la pédophobie (et la démonologie) cinématographique des seventies, période de crise(s), la développe à rebours, jusqu’au point zéro de l’in utero. Ainsi, Sasdy illustrerait Cioran et son De l’inconvénient d’être né, paru en 1973, ouvrage joyeux au sujet de la « catastrophe de la naissance » et de ses conséquences ? Cela reviendrait à lui accorder un honneur immérité. Cela n’interdit en rien de lire Evil Baby en mauvais rêve évocateur, équivoque, radical et ridicule, en fantasme fatal d’une femme au foyer, d’une bourgeoise BCBG rattrapée par son piètre passé, par la responsabilité de sa sexualité. Au mitan d’une décennie permissive, émancipée, suivant le point de vue adopté, le portrait de dame tourmentée ressemble à une leçon de moralisation un brin cynique, spectacle topless inclus. Au-delà de l’hypocrisie intéressée de cette attraction-répulsion à la con, particularité datée de la « prude Albion », pensez aux réactions disproportionnées, assez scandaleuses, causées par le scandale du bouleversant Voyeur (Michael Powell, 1960), se dessinent à la discrétion de l’observateur curieux une ode curieuse à la non-procréation, une fable horrifique et prophétique, on renvoie vers les compatriotes Inseminoid (Norman J. Warren, 1981) et Xtro (Harry Bromley Davenport, 1982), débarrassée de semence stellaire, dédiée idem à la terreur de la Mère, une traversée de la maternité perçue en monstruosité, de la gynécologie apparentée à la tératologie. Cauchemars masculins et misogynes, s’indignent les féministes, toutefois face à un film féminin, aux hommes malaisants, condescendants ou impuissants.


N’en déplaise aux « personnes de petite taille », appellation politiquement suspecte, Evil Baby possède quelques éléments intéressants, excède la question de la dépression (estampillée post-partum), le blues en noir du « baby blues », compte dans son casting des gens de talent attachants, énumérons les noms de Mesdames Eileen Atkins, Joan Collins, Caroline Munro, de Messieurs Ralph Bates, Donald Pleasence, John Steiner, accessit à George Claydon, amusant et in extremis étrangement émouvant. Ponctué de répliques drolatiques, de plans touristiques, de morceaux d’une musique exotique (et sexy), Evil Baby constitue un opus patraque et plaisant, une tragédie happy, inaboutie, qui jamais n’ennuie. À défaut d’affoler les sages-femmes, il distraira les cinéphiles, a fortiori anglophones et anglophiles.


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