Le Corsaire noir : Sympathie pour le diable


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Sergio Sollima.


Un film de flibustiers, inoffensif, pour enfants ? Un item politique, au filigrane fantastique, aux tonalités tragiques et drolatiques. En partie porté par l’impeccable Kabir Bedi (Octopussy, John Glen 1983 ; La Bête de guerre, Kevin Reynolds, 1988), quasi converti, Le Corsaire noir (Sergio Sollima, 1976) s’avère aussi un divertissement in fine euphorisant, où trois femmes fréquentables ne font pas tapisserie, Dieu du ciné des seventies et Déesse du MLF merci. Dès le début, presque en forme de snuff movie à la Scarface (Brian De Palma, 1983), pont de longue-vue, aux pauvres et multiples pendus, « fruits étranges » de saison, à la François Villon, le métrage se place sous le signe d’un réalisme transalpin, européen, inaccessible à l’esprit américain, a fortiori selon cette imagerie pas si jolie, point infantile, enfin. Récit de fraternité individuelle, endeuillée, puis élargie, capable de pardonner, d’oublier, de renoncer, de laisser la vie sauve, de préférer la vie à la mort, une fois encore, parce que l’amour se substitue à la haine, dixit l’Indienne, au moins dans le cœur du « justicier » in extremis exilé, embarqué au côté de la fille forte et fragile de son meilleur ennemi, en fieffé enfoiré, Mel Ferrer paraît s’emmerder, dommage, Le Corsaire noir affiche ainsi sa moralité très chrétienne. Il fait davantage, il relit Le Radeau de la Méduse en mode cosmopolite, utopique, il adresse un clin d’œil romantique aux mains mortelles des amants de Duel au soleil (King Vidor, 1946), il réussit, doté de modestie, à sa belle et cruelle échelle, là où le soporifique, pas une seconde philosophique, Terrence Malick se viandait via Le Nouveau monde (2005), à savoir donner au spectateur complice une petite leçon de géopolitique, pertinente et stimulante.

« Si ce massacre continue, je vais avoir honte d’être blanc » déclare le vrai-faux corsaire vêtu en noir, aristocrate italien s’entendant parfaitement avec son homologue espagnol, jusqu’à le suicider à sa demande souriante, amitié immédiate, reconnaissance de caste, en écho aux combattants accordés de La Grande Illusion (Jean Renoir, 1937). Si le « sang bleu pourrit », nécessite un sang neuf, une renaissance au sein d’une autre société, plus juste, plus solidaire, éprise de liberté, de grand air iodé, les conquistadors occidentaux caracolent à la Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato, 1980), génocide d’indigents indigènes. Pourtant pas de dimension méta chez Sollima, plutôt une voyante agonisante, médium d’éden. La vaine vengeance évacuée, cercle vicieux et vicié de la violence, de sa cité (La Cité de la violence, Sollima, 1970), il reste à s’inventer ensemble un destin serein, assurément sien, loin des lignées à pleurer ou à liquider, pour l’infernale éternité, comme naguère les Grecs antiques, dramatiques, les Atrides peu magnanimes. Aveuglé par sa perte intime, en tandem, le protagoniste s’en remet à Satan, lui promet son âme en échange de la tête abjecte du fielleux Flamand, auparavant opposé, dans le même plan bifocal, De Palma adoube, ne voit pas double, aux fringants frangins. Sous sa veste de western, de vendetta dédoublée, Le Corsaire noir poursuit un second projet, à l’écart du manichéisme, du dolorisme. L’opus peuplé de cadavres, avérés, rusés, parvient à portraiturer un optimisme lucide, résilient, à relier l’ardeur du documentaire, admirez le sens du réel de la séquence de la forteresse assaillie, et la douceur de la mer, immensité féminine, cf. Solaris (Andreï Tarkovski, 1972), sur laquelle voguer à deux, survivants audacieux, rescapés heureux.


Dans le sillage de son estimable Sandokan télévisuel, dont il reprend le couple principal, formé par Carole André & KB, le sieur Sollima itou transpose et « réduit » Emilio Salgari, romancier mythomane à l’exotisme anticolonialiste, propose des rôles intéressants à des actrices de talent, outre celui de la précitée, citons les noms de Sonja Jeannine & Dagmar Lassander en marquise courtisane atteinte du fameux syndrome de Stockholm. À sa façon, Le Corsaire noir renverse Le Dernier Face à face (Sollima, 1967), éloge de l’illégalité, adoucit La Cité de la violence, autre récit de vengeance, constitue par conséquent la troisième partie d’une agréable, apocryphe trilogie. La chasse au trésor de l’aimable Morgan duplique le gros succès mérité du film et donne envie de (re)découvrir le reste, assez bref, une douzaine de titres en une quinzaine d’années, allez. Au final, Emilio sauve son âme, tandis que Sergio conserve la sienne, surtout du côté de Carthagène, en Colombie, ou alors à l’intérieur d’un studio, je pense à la surprenante séquence d’abordage, dirigée sur fond noir, aux flambeaux, sans une seule goutte d’eau, quel beau culot. Redisons-le : voilà un cinéma de valeur(s), doué d’un cœur et d’ardeur, populaire et précis, ludique et adulte, qui transforme la noirceur programmatique, symbolique, en lumière salutaire, en appel à la résistance, à l’enfance, alchimie laïque, cinématographique, destinée à dynamiser nos temps troublés.


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