Remorques : L’Honneur d’un capitaine
La Bretagne vous gagne, la traversée vous sied…
À Brieuc Le Meur,
homonyme amical
Est-ce que désormais tu me détestes
D’avoir pu un jour quitter Brest
La rade le port ce qu’il en reste
Le vent dans l’avenue Jean Jaurès
Je sais bien qu’on y était presque
On avait fini notre jeunesse
On aurait pu en dévorer les restes
Même au beau milieu d’une averse
Nolwenn Leroy & Christophe Miossec
Évitons vite de revenir sur une
genèse agitée, puisque les estimables spécialistes Jean-Pierre Berthomé &
Raymond Chirat s’en chargent à notre place, de façon reflétée, sinon
exhaustive. Préférons plutôt préciser pourquoi Remorques (Jean
Grémillon, 1941) demeure aujourd’hui, presque quatre-vingts ans après sa
sortie, si beau, si vivant, si bouleversant. Tel L’Atalante (Jean Vigo,
1934), autre mélodrame maritime, Jean Dasté partagé, il commence par une mariée
immaculée, non plus sur mer mais à terre, noce nocturne flanquée d’un phare, repas
programmatique de discours idoine, d’adultère guère discret, de bonheur triste
à la Luc Dietrich, de départ intempestif puis de sauvetage en pleine tempête,
longue séquence séduisante, artisanale, musicale, rythmique de la mécanique,
harmonie du montage, réalisée en bassin, avec trois maquettes, amitiés au
Wolfgang Petersen pareillement sentimental, différemment spectaculaire, de The
Perfect Strom (2000). Si les travellings
enivrants du restaurant évoquaient Max Ophuls, adoubez la densité du décor
d’Alexandre Trauner, élisez l’élégance infinie de la direction de la
photographie d’Armand Thirard, l’assistance à distance rappelle quant à elle
Abel Gance (La Roue, 1923). Plus tard, la célèbre scène de la plage
reprendra cette maestria, l’atténuera, l’opus
appréciable aussi en démonstration d’unisson, entre les intérieurs et les
extérieurs, c’est-à-dire entre le studio et la météo, le set et l’espace, les transparences et l’expérience. Grémillon
accomplit donc un miracle laïc, esquive l’écueil de la « solution de
continuité », pas seulement celle du script,
réconcilie ainsi la schizophrénie du ciné français, multiplie les Lumière par
Méliès, voire l’inverse.
Menacé par l’asphyxie, tramé à
proximité du pire, Remorques pourtant respire, parce que son réalisme se base sur
l’artifice, s’autorise à l’aérien, frôle la frontière du fantastique, surtout
lorsque Catherine se souvient, cependant en plein jour, d’un « film
d’épouvante », au milieu des meubles couverts de suaires d’une visite
immobilière. Au terme de The Ghost and Mrs. Muir (Joseph L.
Mankiewicz, 1947), encore un conte magnifique de mer, d’amour et de mort, Lucy,
doucement décédée, retrouvait in extremis
son capitaine d’outre-tombe complice ; ici et maintenant, les futurs
amants marchent, se décoiffent, se confient, se défient, finissent au lit. Le transparent
Jacques Prévert peut s’auto-citer en clin d’œil, le temps d’une réplique
oculaire, placée pendant la danse liminaire, il n’écrit pas la suite du Quai
des brumes (Marcel Carné, 1938). Au-delà de sa sidération de saison, de
son incrédulité d’actualité, le « C’est pas possible » d’un André
endeuillé, dessillé, son alliance caressée, geste déjà effectué par la rescapée
mal mariée, fissa séparée, lors de leur première rencontre au sec,
méconnaissable, main serrée, comme adressé à soi-même, au citoyen Gabin, soldat,
USA, au seuil du massacre mondial à nouveau déclaré, rejoué en terrible replay, ce métrage d’immanence manifeste
sa transcendance, à chaque instant, à chaque plan, n’en déplaise à Paul
Schrader, essayiste la réservant à sa sacro-sainte trinité des chers Yasujirō Ozu, Robert Bresson et Carl Theodor Dreyer. Rétif au moindre naturalisme,
néanmoins pas au documentaire, au contraire, cf. les quelques inserts in situ,
Grémillon filme en musicien, de formation, de vocation, une aura immatérielle et sensorielle, une
série d’accords et de désaccords, de dissonances et de souffrances.
La façon dont son film se finit
stupéfie, bien sûr déplut au scénariste-dialoguiste, porte à son point de
fusion, d’effusion, le lyrisme surnaturel du cinéaste, sa perspective personnelle,
radicale, saluée ou mise à mal, présente, par exemple, dans Gueule
d’amour
(1937) et L’Amour d’une femme (1953), précieux diptyque antithétique.
L’oratorio raccourci de Roland-Manuel, que l’on pourrait rapprocher de celui d’Arthur
Honegger & Paul Claudel, ensuite illustré par le Roberto Rossellini de Jeanne
au bûcher (1955), autre auteur majeur, artiste à sensibilité sociale, à
cinéma populaire et expérimental, fonctionne sur deux niveaux. Ce chant de
délivrance, d’élévation, d’assomption, apposé en surplomb de la descente
d’escalier d’André, doublement damné, dirait un critique religieux, en tout cas
perdu, éperdu, les deux femmes de sa vie désormais disparues, ne lui reste plus
qu’à se sauver, au propre, peut-être au figuré, à sauver une nef en détresse,
navire rival, hollandais, il s’en fichait, affligé, au contenu biblique, aux
prénoms sémites, constitue de surcroît, en effet, un camouflet pour l’occupant
allemand, qui toutefois le laissa passer, sans doute par surdité. La
détermination de Grémillon, sa volonté de capturer, à l’instar de Cassavetes,
les « courants d’amour » et de désamour qui nous entourent, le
mystère du monde, des êtres, des forces et des faiblesses, l’alchimie des
énergies, la croisée des destinées, tout ceci, acte de foi dans les puissances
du cinéma, sa capacité à l’épiphanie, à l’intériorité révélée, mystique
romantique, poésie supérieure de sensation, d’élucidation, de transformation,
ne saurait dispenser de témoigner de l’économique réalité, de la concurrence,
de la finance, du licenciement non plus causé par du déficit, plutôt étudié par
l’administrateur de la compagnie afin de se faire davantage de fric, stratégie
d’ignominie du capitalisme cynique, pardon du pléonasme.
Moins communiste que son confrère
Renoir, quoique, Grémillon expose l’exploitation, la personnifie, à la
périphérie, au moyen de Marc, mari minable, capitaine coupable, entrepreneur
calculateur, tant pis pour le caméo de matelot d’Alain Cuny, Claudel, bis. Avec le matériau du scénario
pouvait advenir un film falot, de vaudeville inversé, de maladie
instrumentalisée, de moralisme assumé. Le regard aristocratique écarte la
redite, le casting choral donne une
âme au drame. Remorques doit beaucoup à son très beau trio, à Jean Gabin, au
cri caché incroyable, à Michèle Morgan, sirène acide, soleil lucide, à
Madeleine Renaud, « sociétaire » pas sectaire, ni sainte, ni
sacrifiée, juste épouse juste, à l’époux pas assez près, par le métier, les
années, un long balcon, éloigné. Il doit en outre sa part à des partenaires
importants, mentionnons, pas uniquement par chauvinisme sudiste, les Marseillais
Blavette & Poupon, compagnons de Marcel Pagnol, Fernand Ledoux en « bosco » énigmatique,
mélancolique, littéraire, aux lectures suicidaires, du malheur émissaire, et
même un Marcel Duhamel costumé, de deux doigts amputé, ça ne l’empêchera pas de
diriger par la suite une collection de renom, pont pour polars
d’outre-Atlantique, chic. En 2020, le charme magique, cinématographique, de Remorques
revient, au moins durant la fin du « confinement », remercions la
restauration et la « curiosité » de Marin Karmitz, en sus éditeur de son
DVD. Ouvrage adulte, rempli de stimulant tumulte, il continue à questionner les
couples, à magnifier le climat, à savoir suggérer une étreinte interdite, une
parenthèse éphémère, au bord de l’amer, via
la grâce d’un passage de nuage sur une plage. Pudeur déplacée, dépassée ? « Explication
orphique de la Terre », de la mer, des mouvements émouvants du cœur et de
la marée, à la Mallarmé, allez.
https://books.google.fr/books?id=ihHGDwAAQBAJ&pg=PT194&lpg=PT194&dq=remorques+georges+simenon&source=bl&ots=vGYXCMypTB&sig=ACfU3U0pKB6Q5GZp2fAJ2L0Um5ko7CuWGg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiUiIrM0cXzAhWSHhQKHZxxBGQQ6AF6BAgYEAM#v=onepage&q=remorques%20georges%20simenon&f=false
RépondreSupprimerLa Bréhatine, cinéma-drame , Apollinaire, Guillaume (1880-1918)
Description : Manuscrit autographe et allographe de la main d'André Billy.
Ciné-drame écrit avec André Billy. Le manuscrit se répartit ainsi : Prologue de la main d'Apollinaire au verso d'une dépêche datée du 29 avril 1917 ; 1 ère partie de la main d'André Billy, 11 feuillets ; 2 e partie de la main d'Apollinaire, 8 feuillets au verso de dépêches de l'Agence télégraphique Radio datée du 9 avril 1917 ; 3 e partie, de la main d'André Billy, 10 feuillets ; 4 e partie, de la main d'Apollinaire, 9 feuillets de dépêches de l'Agence télégraphique Radio datées du 29 avril 1917.
http://bljd.sorbonne.fr/ark:/naan/a011436523839LZy9je/07948709ac
http://bljd.sorbonne.fr/ark:/naan/a011436523839LZy9je/241652b13c