Paterson : Speed
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Jim
Jarmusch.
La « petite musique » de Jim, on
commence à la (re)connaître, presque à la trouver suspecte, on aimerait juste
que Jarmusch, au moins une fois dans sa filmographie, prenne des risques, please. Après le plantage de l’à peine
supportable Only Lovers Left Alive (2013), où le cinéaste mélomane ressemblait
à un ersatz d’Anne Rice, (re)voici une chronique impressionniste, dont la
torpeur impénitente, sinon impertinente, surtout en période de précipitation,
cinématographique ou non, s’impose dès le premier plan, plongée d’aplomb sur
les amants endormis. Au cours de sept jours, mon amour, en fin de semaine, Dieu
se repose aussi, tant mieux pour Lui, on assiste par conséquent, cent dix minutes durant, à la routine répétitive d’un chauffeur d’autobus – classique,
pas « articulé », tant pis – incarné par le bien nommé Adam Driver.
L’admirateur de William Carlos Williams vit dans la ville homonyme de son
patronyme et partage le lit, la vie, de la gracieuse Golshifteh Farahani (My
Sweet Pepper Land, Hiner Saleem, 2013), épuisante émule de Valérie
Damidot, qui en sus cuisine et joue au musico. Encore sans enfants, « des
jumeaux, ça te dirait ? », demande l’ensommeillée, le couple possède
cependant un « bouledogue anglais », certes moins pétomane que celui de
Clint Eastwood dans Sudden Impact (1983), néanmoins sournoisement
emmerdant, car il ne cesse de renverser le support de la boîte aux lettres, car
il finira, un soir de sortie au cinéma, « on croirait vivre au vingtième siècle
» susurré devant les affiches de Abbott and Costello Meet Frankenstein
(Charles Barton, 1948) et de Island of Lost Souls (Erie C.
Kenton, 1932), femme panthère cinquante ans avant La Féline (Paul Schrader,
1982) d’hier, par déchiqueter le « carnet secret » de son rival impavide,
supposé le promener à chaque fin de journée, crochet au bar cosy inclus.
D’ailleurs dédié au clebs décédé,
récompensé à Cannes « à titre posthume », Paterson (Jim Jarmusch, 2016) paraît un « doux rêve »,
éclairé en mode ouaté par Frederick Elmes, jadis DP sur Blue Velvet (David Lynch,
1986). On y (re)trouve même une scène à main faussement armée, revisitant son
homologue sidérant et dessillant de A History of Violence (David
Cronenberg, 2005). A contrario de ses
confrères, exécuteurs d’une Americana
trop sympa, trop propre sur soi, Jarmusch ne manie le sarcasme ni l’ironie. Il
réalise toutefois, à sa façon, un film fantomatique, où les automatismes
déshumanisent, où la réalité se réduit à un reflet, glissant sur un pare-brise
en mouvement. Mis à part les incidents précités, du suicide mis en scène,
accompli avec des projectiles en mousse, du manuscrit massacré, dimanche
désabusé, il ne se passe pas grand-chose parmi Paterson, et le vain véhicule, because panne électrique, « n’explosera pas en boule de feu »,
triple réplique apocalyptique. Co-écrit par Ron Padgett, vers non rimés
incrustés, un brin karaoké, l’opus
repose sur l’importance a priori
poétique des « petits riens », hédonisme minimaliste à la Philippe Delerm,
l’immortel auteur de La Première Gorgée de bière et autres
plaisirs minuscules. Franchement, on l’avoue, on se contrefout de ce
type de haïkus, de ce pitoyable optimisme, de cette rance volonté de rassurer,
de célébrer l’instant, macéré dans l’auto-contentement. Si certains considèrent
ceci comme de la poésie, pourquoi pas, je préfère et j’en reste à Baudelaire.
Revenons vite à Jim : la spectralité de Paterson dialogue avec celle de Dead
Man (1995), Johnny Depp rebaptisé... William Blake, et Down
by Law (1986), idem en noir
et blanc, itou languissant, embarquait dans le bayou Robert Frost & Walt
Whitman.
Quant à la concorde conjugale, quasi « bonheur insoutenable » à la Ira
Levin, elle corrige à domicile l’errance sentimentale masculine du féminin et
fané Broken
Flowers (2005). Dans Ghost Dog : La Voie du samouraï, son
meilleur film so far, Jim Jarmusch
relisait Jean-Pierre Melville (Le Samouraï, 1967). Ici, il suit le
sillage de la paire Paul Auster & Wayne Wang (Smoke + Brooklyn
Boogie, 1995), le premier lui-même originaire du New Jersey. Conduit
par un « modèle » bressonien,
le picaresque Paterson prend congé du spectateur indulgent, ou impatient, au
moyen d’une rencontre nippone, le Masatoshi Nagase de Mystery Train (1999) et des
Délices
de Tokyo (Naomi Kawase, 2015) s’y colle. Il suffit d’un présent
surprenant, d’une nouvelle virginité instantanée, pour que Paterson, machine
magnanime, se mette aussitôt à reprendre le stylo, à tracer des « words written
on water », plutôt rédigés face à une chute d’eau. « Antidote », Jarmusch dixit, à la frénésie, à la cacophonie et
à la dramaturgie made in Hollywood, Paterson
portraiture(rait) en définitive un zombie
placide et poli, une bombe à retardement trouvant dans sa poésie à lui la
possibilité de s’échapper, de ne pas finir cinglé, de saluer des secondes, des
silhouettes et, bien sûr, une femme fréquentable, muse amusante et amusée, supportrice créatrice, à sa manière guère (Pau)
austère, éditrice par procuration, inspiration en toute saison.
La poésie du quotidien est une mission-suicide, la filmer participe du phénomène de l'auto-explosion...
RépondreSupprimer«Le métier d’acteur consiste à se fondre dans l’anonymat et à observer les gens alentour. Soudain les gens vous regardent. L’espion se fait épier. Ce n’est pas très confortable».
https://www.letemps.ch/culture/adam-driver-film-sort-nest-rien-quun-miracle
Par (mauvais) exemple, Philippe Delerm et ses gorgées (de bière pseudo-littéraire) à dégager...
SupprimerCf. aussi la "mission" (le "devoir") de Mallarmé, la poésie comme "explication orphique de la Terre", ma chère (poétique Jacqueline)... *
Sinon, type sympathique...