Harmonium : Hospitalité


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Kōji Fukada.


Lent et long, Harmonium (Kōji Fukada, 2016) mérite quand même un court article rapide. Financé avec de l’argent français, filmé en trois semaines selon une économie de récit, de dramaturgie, de psychologie toute nippone, coupé au mitan par le sang d’une enfant, mystérieuse victime en robe rouge, il passe du thriller domestique au mélodrame maternel. Comme jadis chez Mizoguchi, tant pis pour les filles féroces de Ring (Hideo Nakata, 1998) ou Audition (Takashi Miike, 1999), revoici des femmes flouées, handicapées au propre, au figuré, à cause d’hommes minables, complices mutiques, faussement amnésiques, de l’irréversible. Conte de culpabilité démultipliée, de disharmonie généralisée, jouée à six, Harmonium se termine sur un pont, en illustration littérale de son titre original : quand on se tient au bord du gouffre, de l’abîme nietzschéen, on finit par y tomber, merci au suicide tout sauf serein, plutôt en duo, tradition locale, relisez-moi à propos de Suicide Club (Sono Sion, 2001). Sur la rive vide, le piètre époux s’escrime à ranimer sa femme, sa fille, le fils de son meilleur ennemi ; il réussit pour la première, en lui filant des gifles, motif récurrent du métrage, il paraît échouer pour les deux derniers, ses efforts off en surplomb du générique final. Coda ouverte, suspecte, par conséquent, d’un opus en partie protestant, où la rédemption s’apparente à une damnation, l’ami en prison, désormais imprévu résident impénitent, telle une séduisante et menaçante bombe à retardement. Parmi un Japon policé, dépeuplé, spectral, le passé qui ne passe pas refait surface fissa et la libido rend marteau, surtout celle, insatisfaite, de l’ouvrier trop parfait, à la chemise et à la combinaison immaculées, virginité d’enterrement en Orient, au-dessous au t-shirt écarlate, en train de manger, de mater un couple lui-même en train de copuler, en public et à proximité.



Mais la mal mariée ne se laisse tenter, ni en pique-nique édénique ironique, photo funeste de sieste incluse, présage d’un plan de gisants, ni à domicile, esseulée, donc elle repousse l’assaillant excitant, le fait s’écrouler, avant qu’il ne se relève et viole/amoche la gosse précitée. Auparavant, la petite instrumentiste, terrorisée par sa prof de piano, parlait au petit-déjeuner d’une mère araignée, dévorée vivante par sa portée, figure de fatum infernal, de sacrifice familial. Contrairement à La Nuit des morts-vivants (George A. Romero, 1968), Harmonium montre l’inverse, c’est-à-dire des parents infanticides, au moins par procuration. En dépit de son arythmie, de son implicite explicite, de sa fastidieuse fausse piste, traque en montagne, en quatuor de mort, Harmonium intéresse à sa mesure modeste, séduit en mineur, via sa mélancolie automnale et maritime, cf. la scène assez superbe du rêve en voiture. Il donne l’appréciable occasion de découvrir une actrice remarquable, à raison remarquée, nommée Mariko Tsutsui, capable de donner l’impression d’une ellipse réaliste, d’un écoulement des ans, d’un écroulement au présent, car quotidien crève-cœur, ponctué par la purification manuelle et les soins épuisants prodigués à une jeune adulte invalide, bouche ouverte sur le cri muet d’Edvard Munch, à laquelle apporter une peluche ou tirer le portrait, au risque de s’en approcher de trop près, posture ambivalente visionnée à distance. Ni Pier Paolo Pasolini (Théorème, 1968), ni Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien, 2000), le cinéaste venu du théâtre, admirateur de L’Esprit de la ruche (Víctor Erice, 1973) et du Rayon vert (Éric Rohmer, 1986), délivre en définitive une œuvre languide, livide, une étude de caractère(s) qui en manque un peu, pourtant à moitié portée par l’impeccable Tadanobu Asano, partenaire professionnel de Shin'ya Tsukamoto (Gemini, 1999), Nagisa Ōshima (Tabou, idem), Miike (Ichi the Killer, 2001), Takeshi Kitano (Zatoichi, 2003) Kiyoshi Kurosawa (Vers l’autre rive, 2015) ou Roland Emmerich (Midway, 2019). 


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