Nightmare Island : O Fantasma
Robinsons de saison ? Robinsonnade proche de la pantalonnade.
In
this world there are only two tragedies. One is not getting what one wants, and
the other is getting it.
Oscar Wilde, Lady Windermere’s Fan
Téléfilmé par un analphabète, écrit
par trois abrutis, produit par l’imbuvable Jason Blum, Nightmare Island (Jeff
Wadlow, 2020) possédait pourtant du potentiel. Cette vraie-fausse traduction
ciné de la série TV L’Île fantastique se fit donc descendre par la critique et
adouber par le public. Déjà responsable du dispensable Cry Wolf (2005), le
supposé cinéaste actualise ainsi le glucose exotique, pseudo-philosophique,
cuisiné à la fin des seventies par le
classé créateur Gene Levitt. On se souvient peut-être aussi de la distinction
opérée jadis par le spécialiste Edgar Allan Poe, entre fancy funeste et imagination
lumineuse, au cher Usher la première, à l’artiste lucide la seconde. Un
glissement lexical et sémantique se constate ici, car on passe du fantasme au
fantastique, de la fantasy aux
fantômes. Si le titre original Blumhouse’s Fantasy Island
s’approprie et personnalise le matériau d’origine, son équivalent « français »
affiche le sous-texte explicite, transforme fissa le paradisiaque édénique en
cauchemar aquatique, au cas où quelques crétins ne comprendraient point le
crâne évocateur de l’affiche schizophrénique. Finalement, au fin fond de la
conscience et de l’expérience, tous ces termes et toutes ces nuances, que
l’italien diplomate synthétise en un seul fantasma, renvoient vers les films,
vers le cinéma, vaste réservoir individuel et collectif de songes, de mensonges, de
mythes, d’imageries amies ou ennemies. L’héroïne du récit, le revancharde et
machiavélique Melanie, l’affirme, met en abyme la dimension méta : même
irréelle, et heureusement, l’horreur filmique, à l’instar des montagnes russes,
permet d’éprouver des sensations fortes, c’est-à-dire d’accomplir la catharsis
selon Aristote, de ressentir en toute sécurité la terreur et la pitié, purgatif
replay prophétique et prophylactique
du film-réalité de notre vie, partagée tragi-comédie souvent sans merci, dont on
sait tous, tant mieux, tant pis, comment elle finit.
Réalisateur immortel, émule de Morel,
visitez son invention cogitée par Bioy Casares, Roarke accueille un casting de vainqueurs de concours, les
assure de sa capacité à exaucer leurs souhaits. Hélas, les isolés insulaires
solitaires, bientôt solidaires, s’aperçoivent aussitôt du prix élevé à payer
afin de savourer leur jeu de rôle live,
pas drôle, sinistre, puisque parasité par l’implication d’autrui, de
l’endeuillée délestée de pitié précitée. Le programme du psychodrame se compose
de sexe fraternel et festif, d’héroïsme de père en fils, de rancœur, de regret,
d’adultère et du privé very vénère du
vétéran Michael Rooker. Au cœur d’une cave naturelle, notre trio découvre
l’essentiel, à savoir une sorte de miroir, d’écran diamant suspendu au-dessus
d’une eau noire, littérale mélancolie qui coule des yeux des increvables
ennemis. Ni androïdes à la Mondwest (Michael Crichton, 1973),
ni démons indigènes, il s’agit par conséquent de projections locales, létales.
Réunis par une unique nuit, d’accident, d’incendie, les gamers presque à la eXistenZ (David Cronenberg, 1999) assistent
sidérés à l’explosion de l’hélicoptère survenu pour les sauver. Prisonniers à
l’insu de leur plein gré d’une île morbide à la Böcklin, ils décident ensemble
de détruire la source néfaste, y affrontent leur ancienne et détestable
personnalité, se moquant de leur changement assumé. In extremis, Roarke libère sa tendre et chère, à jamais
ressuscitée, par conséquent s’affranchit du supplice d’Eurydice, destinée à
décéder durant l’éternité. Un film sait se figer, un fantasme idem, rien de définitif en définitive dans les parages
de la plage, aux abords de la mer, de la mort. La boucle bouclée voit s’envoler
les survivantes, accompagnées par le frérot esseulé, exhumé, sacrifice bis, cette fois-ci du demi-frère au
tatouage d’outrage.
Nightmare Island se termine où démarre Fantasy
Island, double clin d’œil de formulation d’introduction et d’acolyte
relooké. Depuis un improbable au-delà, que pense le souffrant et suicidé Hervé
Villechaize de son avatar asiatique désormais gay ? Nul ne le sait, cependant, avant de se supprimer, il
semble avoir visionné à la TV Le Magicien d’Oz (Victor Fleming,
1939), autre conte cauchemardesque d’émerveillement et de dessillement. Le
producteur épicier, fournisseur à la pelle du frisson promis à la poubelle, ratisse
avec cynisme, ressert le plat rassis de l’antiracisme, du « mariage mixte »,
« interracial », comme ils osent dire outre-Atlantique, le
copain-poulain Jordan Peele (Get Out, 2017) dut apprécier, le
saupoudre d’un soupçon de torture porn à la con, accumule les marqueurs du
temps, notamment celui du harcèlement, d’abord entre ados, ensuite en vidéo, en
réseau. La bande-annonce de Nightmare Island annexe quant à elle
un thème célèbre composé par le maestro Pino Donaggio à l’époque de Body
Double (Brian De Palma, 1984), unisson d’hédonisme illusoire, sur le
seuil du traquenard, métrages en tandem
à base de miroir, de mémoire, de trauma,
de dépassement de soi. Toutefois les ressemblances des traversées des
apparences s’arrêtent là, à la fable réflexive, à la comédie noire excessive, à
son déploiement de rédemption sur fond de pornographie, oh oui, se substitue en
effet un téléfilm fadasse, doté d’une moralité ressassée, digne de la méthode
Coué, commence par apprendre à te pardonner, connasse secouée. Desservie par ce
summum d’ineptie, ce traitement
indigent, la distribution chorale, inégale, surnage, s’agite, accessit attribué à la svelte Maggie Q,
mère amère de gamine parricide, Romero se marre (La Nuit des morts-vivants,
1968), Ariane réussissant à modifier le déroulement du scénario falot, du plan
facho, en partie commis par Christopher Roach, le co-signataire du script de Non-Stop (Jaume
Collet-Serra, 2014), et surtout l’état d’esprit pénible de son Minotaure en
costume immaculé, veuf in fine
affable, fréquentable.
Alors que Panic Room (David
Fincher, 2002), référence intertextuelle de masqué cartel, Kim Coates s’y
colle, cristallisait la veine du home
invasion, Jodie Foster en blonde sister-mother
de la brune et aveugle Audrey Hepburn, autrefois maltraitée chez Terence Young
(Seule
dans la nuit, 1967), Blumhouse’s Fantasy Island enferme à
l’extérieur ses fantoches bien peu pirandelliens. On le voit, tout cela pouvait
aboutir, avec davantage de talent(s), à une forme stimulante de romantisme en
autarcie, macabre et méta. En l’état, d’un vain voyage conventionnel et
conservateur on se contentera – ou pas.
Commentaires
Enregistrer un commentaire