London After Midnight : Remarques sur Le Loup-garou de Londres


Le « cri du cœur » de Rick Baker…


Le cinéma sympathique et anecdotique de John Landis trouve ici une sorte de sommet. Son film préféré retravaille en partie Le Chien des Baskerville (Terence Fisher, 1959), adresse un clin d’œil salace au Voyeur (Michael Powell, 1960) et se conclut comme King Kong (Merian C. Cooper & Ernest B. Schoedsack, 1933). Outre résonner avec d’autres opus consacrés de loin ou de près à la « lupinité », par exemple Wolfen (Michael Wadleigh, 1981), Hurlements (Joe Dante, 1981) ou La Compagnie des loups (Neil Jordan, 1984), Le Loup-garou de Londres (1981) se souvient des werewolves nazis avant le Lars von Trier de Europa (1991) et préfigure à la fois La Féline (Paul Schrader, 1982) et Simetierre (Mary Lambert, 1989). Une trentaine d’années après, Landis retournera en Angleterre, à l’occasion de Cadavres à la pelle (2010), encore une relecture des mésaventures du sinistre tandem Burke & Hare, disons dans le sillage du quasi contemporain Le Docteur et les Assassins (1985), signé du British Freddie Francis. Inspiré par le réussi Le Loup-garou (George Waggner, 1941), escorté par le spécialiste et fissa oscarisé Rick Baker (The Howling, délégué à Rob Bottin ; Wolf, Mike Nichols, 1994 ; Wolfman, Joe Johnston, 2010), le cinéaste-scénariste se surpasse, dirige une séquence en effet « d’anthologie », qui cristallise la corporalité de son corpus horrifique, cf. la chorégraphie des cadavres de Thriller (1983) + le vampirisme au féminin de Innocent Blood (1992), la poitrine topless, parfaite, de la scream queen Jamie Lee Curtis en signe inversé, puisque érotique et ludique (Un fauteuil pour deux, 1983).


Une femme, une infirmière, incarnée par la chère Jenny Agutter, héberge donc le touriste US rescapé se transformant subito, au son d’une chanson forcément lunaire de Lorenz Hart & Richard Rodgers susurrée par Sam Cooke, contrepoint contextuel dont le romantisme sucré, jadis cité par William Irish (Six nuits de tonnerre), admiré par une certaine Marguerite Duras, en faire le leitmotiv impossible car trop coûteux de India Song (1975), dit-elle, renforce bien sûr la sauvagerie de l’imagerie – Ruggero Deodato & Riz Ortolani pratiquaient un pareil parallèle pour Cannibal Holocaust (1980). Ensuite, il sème la panique puis décapite un flic, du côté de Piccadilly Circus. Auparavant, il « jouait au docteur » convalescent avec sa nurse secourable, la lycanthropie nocturne, accidentelle, en forme extrême, surdéveloppée, de la puberté prolongée. Son ultime transformation se situe aussi au sein d’un ciné « spécialisé » projetant un vrai-faux porno, a priori soft, solitude éparse, onaniste, very vintage, à l’instar de celle de Robert De Niro & Cybill Shepherd au rendez-vous de Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976). Si Landis, durant la scène au steadicam du London Underground, suivait les pas férocement feutrés de La Féline, bis (Jacques Tourneur, 1942), la métamorphose tient du show off, participe de l’explicite, se déroule au creux d’un cadre domestique. Le réalisateur réaliste désirait de la douleur, de l’horreur, de l’humour morbide, une touche de grotesque et de tragédie, une production davantage de fascination que de répulsion. L’équipe de Rick lui fournit tout ceci sur une semaine, longues heures de (dé)maquillage, de tournage.


Cobaye convaincant, acteur patient, David Naughton donne de son temps, de son énergie, de sa nudité, de son intériorité, tandis que la grandeur de Landis se signale par un plan précis, regard caméra n’interrogeant plus le spectateur sur la vraisemblance de ce qu’il voit, mais l’interpelle en appel à l’aide, patte tendue, en moment miroité, perturbant, poignant, de sa propre animalité, pas uniquement masculine, n’en déplaise à la myopie des féministes, manichéenne méconnaissance de Simone Simon. Littéraire et cinéphile, très américain, John Landis entrecroise Mark Twain & Humphrey Bogart, Un Yankee à la cour du roi Arthur et Casablanca (Michael Curtiz, 1942). Il fait mieux que cela, il découpe l’espace avec une discrète maestria, appréciez la plongée, le personnage placé au centre, lecteur mélomane soudain en train de se consumer, tant pis pour Jésus-Christ, ersatz du divin Hercule brûlé par la tunique traîtresse de la jalouse Déjanire. En dépit des figurines drolatiques de Donald & Mickey, David ne visite pas Disneyland, s’adresse à son ami décédé, spectre prévenant, récurrent, réplique humoristique à la clé, envahie par ses vociférations de saison sur l’évocatrice bande-son diégétique, dommage ou non pour le morceau de musique remercié d’Elmer Bernstein. En trois minutes intenses, peut-être traumatiques, l’éclectique auteur des Blues Brothers (1980), Série noire pour une nuit blanche (1985), Le Flic de Beverly Hills 3 (1994), du sketch antiraciste de La Quatrième Dimension (1983), d’un doublé télévisé pour Les Maîtres de l’horreur (La Belle est la Bête en 2006, Une famille recomposée en 2007), du clip pionnier Black or White (1994), donne à voir à qui sait (re)voir une révolution provisoire, promise à s’effacer au siècle suivant, pas seulement au ciné, face à la numérisation généralisée.


En 1982, The Thing (John Carpenter) et Tron (Steven Lisberger) s’affrontaient à distance, posaient et déployaient en correspondance la question et l’illustration du devenir des images, problématique poétique, politique, économique et métaphysique reprise par le synthétique Vidéodrome (1983) de David Cronenberg, sur lequel Baker exerça ses inquiétants talents. Dans Le Loup-garou de Londres, on assiste, sidéré, à une assomption athée, à une démonstration des puissances (trans)figuratives et subversives du « septième art », a posteriori populaire, expérimental, et en même temps, au même instant tétanisant, à un superbe « chant du cygne » peu porté sur l’hémoglobine. Mélodrame amusant, amical, An American Werewolf in London magnifie une double mutation, celle d’un quidam, celle du cinéma. Précédant le morphing de Michael  Jackson, nouveau Protée pour MTV, la « Deer Woman » amérindienne, mante religieuse littéralement bestiale, de l’épisode supra des Masters of Horrors, le supplice progressif et tout sauf allusif du protagoniste de Landis s’achève non par un suicide, remède de malédiction, plutôt par une exécution en réunion. On passe par conséquent de la pornographie, de sa leçon d’exposition, d’exhibition, d’une durée dilatée, d’une gymnastique instinctive portraiturée entre l’extase et l’agonie, à une picturalité directement hérité du Caravage, le corps mort, blanc et rougi du bourreau-victime désormais apaisé, allongé au sol, parmi des immondices, étrange mélange, à ravir Baudelaire, de beauté, de trivialité, de sainteté, de saleté.


Conte pour adultes à base d’insoupçonnable altérité, alien administratif submergé par un étranger intérieur, de cruauté localisée, victorienne, traitée avec le sérieux malicieux et la modernité assumée de la sorcellerie selon Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968), Le Loup-garou de Londres et surtout la scène « étudiée » méritent leur pérennité point usurpée, modèle modeste de dualité, d’expressivité, de maladie et de mélancolie.


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