Le Voleur de Bagdad : Le Prince oublié


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Raoul Walsh.


Raoul Walsh n’est pas quelqu’un dont nous avons envie de parler au passé.

Jean-Patrick Manchette

D’emblée didactique, doté d’une délectable direction artistique, Le Voleur de Bagdad (Raoul Walsh, 1924) s’avère en sus un ouvrage exotique, un opus politique. Il commence comme Fog (John Carpenter, 1980), c’est-à-dire par une mise en abyme de la situation du spectateur, gamin guère gredin, auquel un immaculé imam destine un conte moral, le film lui-même, dont le résumé s’inscrit sur un ciel étoilé, à l’instar d’une leçon de vie sur un tableau noir d’écolier. Le bonheur, ça se mérite, ça nécessite une « poursuite », étasunienne caractéristique, aimant d’immigrants, chez Charlie Chaplin, Elia Kazan ou James Gray, allez. Souple et espiègle, le détrousseur charmeur écoute son cœur, en repenti se convertit, ressemble à Persée, Siegfried ou Ulysse, délocalisés en Irak. Pour sa princesse à prophétie, il risque sa vie, pour sa Pénélope en proie à des prétendants pressants, il ne cède aux sirènes. Avant, insouciant, incroyant, il prenait ce qu’il voulait, cynisme d’usurpateur envahisseur ; à présent, subjugué, transcendé, il découvre le don, sinon le sacrifice. Parmi une Arabie de fantaisie, de façon rétroactive rafraîchissante, innocente, impossible à refaire après le 11-Septembre, se joue ainsi un jeu sérieux, amoureux, à l’érotisme subtil, main ensommeillée embrassée, en écho à un célèbre orteil de statue suçoté (L’Âge d’or, Luis Buñuel, 1930), à l’aveu audacieux, émouvant dessillement. Sportif et gracieux, Douglas Fairbanks incarne une Amérique nordiste courageuse, généreuse, au moins jusqu’à un certain point, because le « Mongol pig » écope d’une vraie-fausse pendaison, probablement protectionniste.



Ce cinéma-là, que l’Allemagne architecturale, colossale, de Fritz Lang (Les Nibelungen, 1924) se le dise, peut rivaliser avec n’importe qui, en matière de mythologie, savoir illustrer, diffuser la sienne, transformer un acteur, producteur et scénariste sous pseudonyme, ici escorté de son frère Robert, au poste de « technical director », en star planétaire, en tout cas d’hier. Sa caméra souvent dépourvue de mouvement, les travellings s’y comptent sur les doigts d’une mimine, étendu cent cinquante-cinq minutes durant, Le Voleur de Bagdad ne perd pourtant pas de temps, va vite et repose sur une structure ludique, double sens, puisque les périples en parallèle présagent les progressifs niveaux du jeu vidéo. Il s’agit d’une réussite collective, au service d’un projet singulier, aussi se doit-on de mentionner les noms du compositeur Mortimer Wilson, du costumier Mitchell Leisen, du décorateur William Cameron Menzies, du responsable des effets spéciaux Hampton Del Ruth. Drolatique et sadique – coups de fouet en replay, flagellation en réunion –, pudique et priapique – Anna May Wong, nothing is wrong –, Le Voleur de Bagad se voit aujourd’hui ressuscité, restauration en 4K supervisée par l’incontournable Kevin Brownlow. Le cinéphile en ligne y revoit, surpris, l’escalier de Suspiria (Dario Argento, 1977), autre récit d’émancipation, de passage à l’âge adulte, rempli de pièges et de tumulte. Si Carpenter explorait la mauvaise conscience maritime américaine, le tandem Fairbanks & Walsh veut encore croire et faire croire aux lendemains enchantés, made in USA.


« Fantasy » coûteuse, à moitié insuccès, ce Voleur de Bagdad-ci ne séduit pas autant, ou disons différemment, que celui, homonyme, pareil pluriel, multiple, tant pis pour l’auteurisme possessif, de Ludwig Berger, Michael Powell et Tim Whelan, sorti en 1940, produit, cette fois, par Alexander Korda, où le précité Menzies rempile, s’amuse idem, (re)lisez-moi, en tapis volant ou pas. En 1929, le capitalisme périclite, la propriété apparaît volée, envolée, Proudhon opine et Fairbanks s’effondre, car La Mégère apprivoisée (Sam Taylor, 1929), son premier parlant, de surcroît accompli en compagnie de sa dear Mary (Pickford, who else?), psychodrame de séparation prochaine, se ramasse au passé. Sic transit gloria mundi, celle des artisans et des artistes, des anonymes et des adulés, des modèles et des oubliés. Raison supplémentaire pour apprécier, saluer, via ce modeste instantané, son investissement, son sourire et son énergie, en remède à la mélancolie de notre contaminée modernité, pas seulement au ciné. 


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