She : The Queen


Robe en soie d’oiseau de proie pour Afrique archéologique…


Après (ou avant) le matriarcat de Rebecca (Romijn) dans Satanic Panic (Chelsea Stardust, 2019), voilà celui d’Ursula (Andress, who else?) dans She (Robert Day, 1965). Co-produite par la Hammer, la MGM + Seven Arts, cette moralité d’immortalité résiste assez à l’usure des années, du ciné. Certes, réalisé par un type polyvalent, prolifique, ensuite passé à la TV,  l’item manque de style, de personnalité, mais son classicisme ne donne pas dans l’académisme, mais sa dimension méta (vous) séduira, mais il comporte deux séquences (exécution, confrontation) de violence inassouvie à faire envie. Ni le premier ni le dernier (précédé par Méliès, Porter, Curtiz, Cooper & Pichel, Ursula suivie par Sandahl Bergman & Ophélie Winter), Day (ré)adapte l’increvable succès de Rider Haggard. Fidèlement infidèle (voire l’inverse), La Déesse de feu (intitulé français explicite, un peu hyperbolique) se situe au croisement de La Momie (Terence Fisher, 1959, passion post-mortem) et de Lawrence d’Arabie (David Lean, 1962, gros plan d’allumette itou repris), se souvient en sus des Horizons perdus (Frank Capra, 1937, utopie en autarcie). En dépit du tandem Cushing & Lee, point de vampirisme ici, ou de Créature (dé)recomposée, quoique, car le corps (traître trésor), surtout celui d’Ursula, constitue le cœur du récit (et du désir, éprouvé par le personnage, le spectateur). Film (britannique) poétique et politique, She débute en Palestine, en 1918, associe ainsi colonialisme et féminisme, mélange obéissance et (im)puissance, ose une réflexion en action(s) au sujet de la sauvagerie, de la civilisation, notions réversibles, Lévi-Strauss opine, de la solitude, de la finitude, du pouvoir par la peur, d’une estimable éternité en vérité amère, éphémère.




Libérés (désabusés, désœuvrés) de l’armée, trois hommes (presque au service de Sa Majesté) décident donc de ne pas rentrer, d’atteindre (dépouillés) une cité oubliée, perdue, disparue, où règne une femme sans égale, sans rivale, une femme en effet fatale, a fortiori pour ses sujets, ses esclaves, détentrice d’un destin guère serein, meurtrière qui espère, qui incinère (la délicieuse Rosenda Monteros, déguisée en pauvre et précieuse Ustane, y passe, y trépasse, avive la révolution). La prose ampoulée du romancier passe désormais pour un modèle de pénible impérialisme (dépassé par la démocratique modernité, amen), pourtant son opus (et sa transposition) se place sous le signe de l’ambivalence, carbure aux contrastes. Dans She, la souveraine (arabe, blonde) délestée de merci (évident avatar de la vénérable Victoria) possède sa propre mélancolie, partagée par les immortels existentiels d’Anne Rice ou le (dépressif) Highlander (Russell Mulcahy, 1986) de Christophe(r) Lambert (jadis James Bond sidéré par Ursula, cf. Dr. No, Terence Young, 1962, Sean Connery y interprète un père par procuration), le « no one lives forever » du professeur Peter d’ailleurs en écho au « Who wants to live forever? » de Queen. Et si l’histoire d’amour, voulant rimer avec toujours, verse vite vers le désamour, l’émancipation se substitue à la superstition, les Blancs succombent aux Noirs, renversement jamais assimilé à un désespoir (d’Occidental face à sa pierre tombale). Désignons ceci en dynamisme dialectique, apprécions la complexité en se gardant de l’attribuer à une neutralité intéressée (de la Suissesse Ursula Andress). La jalouse Ayesha aliène son lion, ce Leo (John Richardson, sorte d’ersatz de Peter O’Toole, croisé dans Le Masque du démon de Mario Bava, 1960, Un million d’années avant J.C. de Don Chaffey, 1962, Sanctuaire de Michele Soavi, 1989) ensorcelé, obsédé, in fine transformé, esseulé.




Au-delà de l’ensemble supra, She s’avère aussi un petit précis de cinéma, une mise en abyme de ses mécanismes spéculaires et spectaculaires (le décor montagnard, utérin, dispose d’un puits volcanique very freudien). Comme le récent Scottie de Sueurs froides (compatriote Alfred Hitchcock, 1958), Leo devient dingo, fasciné par une image, un mirage, une complice d’Eurydice, reine malsaine, tout sauf sereine, d’un mausolée ouvert sur le désert, sur les ruines tranquilles de la splendeur défaite, défunte, poussiéreux passé impérial à contempler depuis un balcon en (r)accord avec son homologue du Recueillement de Baudelaire (idem doté d’un « long linceul traînant à l'Orient »), avec le cimetière intérieur (terrain vague infernal) esquissé par le maestro Lucio (Fulci, si) en coda radicale de ...E tu vivrai nel terrore! L’aldilà (1981). Associée à une société en partie (d’aristocratie) traumatisée par la mortalité (son dépassement méthodique, méthodologique), l’égyptologie, frénésie française, procède d’une forme de nécrophilie, c’est-à-dire de cinéphilie, et She, ingénu, bienvenu, divertissant, lucide, dévoile la force et la faiblesse d’un art funéraire ne cessant de décéder, de ressusciter, celui du ciné, bien sûr. Confronté à une réincarnation de saison, d’occasion, à un écrasant rôle de composition, l’aventurier se réinvente en serviteur soumis, comprendre incapable d’être dessillé, de poignarder l’illusion adorée, dont la masculinité, sinon la virilité, se verront rendues, améliorées, par la purification d’un feu fissa bleu. Telle une salamandre d’alchimie, She s’avance et périt, femme (enfin) défigurée par les flammes, femme fragile (et fautive) défraîchie par l’irréversible, femme-film de pellicule périssable, puisque inflammable.





À la fin de Vertigo, Ferguson, désespéré, damné, observait sa vraie-fausse suicidée, au sol fracassée, ses bars tremblants en équivalent inversé des bras accueillants de la dame maudite (double centenaire) ; à la fin de She, Vincey (prononcez à la Leonardo da Vinci, voui), vaincu, ulcéré par les cendres, se hâte d’attendre (durant des siècles, Seigneur), de vivre dans l’espérance épuisante d’une remplaçante (de hasard, de danse du ventre triviale) ou d’un suicide indulgent, alors il s’effondre sur un muret, prisonnier de son plein gré d’une rarissime disposition astronomique, résolu au retour de l’éternel retour retourné par son (redoutable) retour (remember le Superman de Richard Donner, 1978, Clark Kent en maître divisé du replay, de la rotation terrestre inversée, histoire de sauver sa Lois-Eurydice, bis). Voici ce que She (nous) dit aujourd’hui, ce qui chez lui (me) séduit : il faut affectionner les femmes vivantes, survivantes, il faut affronter le fatum fatidique, il convient de s’aventurer sur les rivages de l’identité, toujours trouble, indéfinie, en mouvement à l’infini (défilement de la projection, sens duel), n’en déplaise aux dépositaires communautaires, au risque de se brûler, de flancher en phénix, de perdre celle (celui) qui (vous) donne la fièvre, sait l’apaiser, confère, confiant(e), une raison (une envie) de vivre, à son côté, à sa hauteur. Le romantisme macabre (pléonasme) et moral du film l’illumine, soleil d’obscurité, en fait une fable encore d’actualité, une lutte des classes (et des sexes) diffractée. Même simulacre doublement au carré (alter ego vocal de version originale, maquillage cruel, une pensée pour la Mylène Farmer âgée de Plus grandir, Laurent Boutonnat, 1985, hommage assumé à la Hammer), même par la suite escamotée (refus ferme et arrivée de Olinka Berova, nouveau visage de La Déesse des sables, 1968, insuccès signé Cliff Owen), la dear Ursula Andress s’adresse au présent (perturbé, perturbant), au creux d’un écrin ronsardien dédié à sa beauté (acclamée), à son talent (sous-estimé), la persona de la supposée déesse (assuré sex-symbol) en précipité (en résumé) de celle d’Ursula Andress, actrice solide chez Young (bikini blanc bondesque et Soleil rouge, 1971), Richard Thorpe (L'Idole d'Acapulco, 1963), Philippe de Broca (Les Tribulations d’un Chinois en Chine, 1965), Pietro Germi (La Dixième Victime, 1965), Sergio Martino (La Montagne du dieu cannibale, 1977, autre conte exotique, a priori raciste, en réalité relecture hardcore des Mines du roi Salomon de Rider Haggard, again, clin d’œil déshabillé à She et déclinaison inoffensive du réflexif, ironique, autocritique Cannibal Holocaust, Ruggero Deodato, 1980), Desmond Davis (Le Choc des Titans, 1981) ou Lamberto Bava (La Caverne de la rose d’or, 1993-1994) à la TV.


Ursula, on le sait, on s’en souvient, pratiqua plusieurs fois Playboy, participa en plus à une polissonnerie transalpine hospitalière en compagnie de Jack Palance (Défense de toucher, Nello Rossati, 1975). L’emprise des sens (en salles, à domicile), l’attirance d’une silhouette pas suspecte (de chirurgie esthétique, de retouche numérique) apparaissent au sein (offert en défi) de la déesse (matériau disons post-moderne de la diégèse populaire), pas seulement, cependant, et heureusement, tressées à une étrange tristesse, à une conscience éclairée du déclin (le sien), du désastre (naufrage gaulliste de la vieillesse) et des astres (la comète refroidissante imite la trajectoire de la star). On le voit, on le devine, La Déesse de feu (s’)attise (à) un foyer intime, portrait (au) féminin d’une icône qui le valait bien, escortée par un thème aérien (de l’habituel et habituellement percutant James Bernard). Terminons cet article par un truisme – un ouvrage (filmé) documente son tournage (et son contexte), rajoutons que certains (malgré leurs limites, malgré eux-mêmes) parviennent à témoigner de davantage, d’une idiosyncrasie (cinématographique), d’une psyché (mythologique, amitiés à Roland Barthes). À l’unisson (d’une sexuée déraison), Ayesha/Ursula accomplit à son tour le courageux parcours (le chemin de croix méta) de Judy & Madeleine, (beau) bourreau et (dixième) victime, remémore notre (triste) sort et nous invite à l’aventure, antonionienne ou non, en remède métissé (tissé de réalisme magique, mythique) à nos mille impostures (plus ou moins) imposées, autrefois, maintenant, en matière de gouvernements, de sentiments, de destinée(s) et de ciné(s). 


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