L’Adieu aux armes : Les Gens de la pluie
Une médaille (amulette) militaire ? Des avions, des oiseaux,
aujourd’hui et hier…
Mélodrame martial aimable et
estimable, L’Adieu aux armes (Frank Borzage, 1932) commence et se termine
mal, à cause d’une cassure à la fois cinématographique et musicale. Le panorama peint, parcouru par un
panoramique, les maquettes du prologue, aussi médiocres que le train
arthritique de Un flic (Jean-Pierre Melville, 1972), les transparences
évidentes – observez idem le défilé
des « bersagliers » derrière le rideau tiré d’abri à spaghetti – des
plans rapprochés, où Cooper, en studio secoué, fait semblant de sommeiller, ne
raccordent pas avec les extérieurs réels et les vrais véhicules, cadrés en
diagonale, accentuons la pente, gare à la descente, créant une sorte de chaotique
dissociation des régimes d’images, peu propice à susciter la célèbre « suspension
d’incrédulité » du spectateur confiné. Avec son dormeur du val rimbaldien
revisité, amputé, l’exposition pèche en plus par poids culturel, en écho à la
coda, agonie trop jolie, presque au seuil du Paradis, de surcroît escortée,
scorée, par l’increvable vertige de Wagner consacré aux fameux amants maudits, amen, comme si le lyrisme intrinsèque de
la scène ne se suffisait à lui-même. Entre ces deux instants disons de
débranchement, Borzage réussit assez son récit d’amoureux fissa unis et
aussitôt désunis, voui, au revoir à la virginité, bonjour au long parcours, du
combattant récalcitrant, du déserteur au cœur devenu grand. Avant de connaître
bibliquement, c’est-à-dire sexuellement, son infirmière de femme, voire
l’inverse, merci au prêtre progressiste, latiniste, l’ambulancier blasé, bien bourré,
adoubait les bordels d’Italie, en quête de pensionnaires étêtées, nouvellement
arrivées, pourtant pas tellement immaculées, oh l’appétissant pied nu que
voilà, apprécié à la Lolita (Stanley Kubrick, 1962), la
période pré-code (Hays) le permettait, allez.
Ensuite, chic, Frederic
(Moreau ?) accomplit à rebours, grâce à l’amour, sa sienne éducation
sentimentale, se métamorphose, devient morose, surtout aux yeux de son
supérieur d’opérations et de jupons, salut à Blake Edwards. De son côté,
Catherine (Earnshaw ?) tombe bien sûr enceinte et s’exile, non plus sur
les Hauts de Hurlevent mais en Suisse, au sein d’un hôtel misérable relooké par
courrier. Hélas, les lettres censurées, d’encre souillées, retournent à leur(s)
destinataire(s) en plein despair,
sombre silhouette découpée, pas mon ventre, s’il vous plaît, plutôt mon fin profil,
elle-même déjà mise en garde, dès le début de l’idylle divine, par une camarade
acariâtre. En temps de guerre ou de paix, similaire moralité : se méfier
de ses ami(e)s, de leur camaraderie, de leur misandrie, de leur homosexualité,
masculine ou féminine, en filigrane. Quant à notre couple hétéro, bien beau, il
assiste à un concert catastrophique, soporifique, il se carapate sous une imposante
statue de cavalier prise en plongée, se presse, se gifle, s’excuse, se refuse,
s’abandonne et se bouleverse, je ne savais pas, je pars et je ne me sépare pas
de toi. Finalement, à Milan, la soignante mutée, in fine aperçue en POV de civière transportée, préfiguration-défiguration
de RoboCop
(Paul Verhoeven, 1987), présage de L’Impasse (Brian De Palma, 1993), et son
soldat blessé, alcoolisé, à la permission annulée, se retrouvent, se disent
oui, se savourent l’espace d’une nuit, traversent les atrocités à distance – le
curé dit avec lucidité ne pas voir le conflit, juste le ressentir, peut-être
pire – ou au milieu, malheureux, remarquez la séquence immersive de
fusillade/bombardement allemands, ou autrichiens, on s’en fiche, hein, en train
de faire valser les (sur)vivants, de massacrer un cimetière, crucifié à la face
bandée scolairement symbolique en sus.
Bébé mort-né – Rinaldi dénomme son (ex-)acolyte Henry d’un explicite « Baby »
– de césarienne compliquée + projets paniqués d’armistice signé aux
cloches sonnées = une apothéose à l’horizontale, à la verticale, Fred au
chevet, Cathy allongée, rassurée, décédée, soulevée face au jour, mon bref amour,
dans son linceul laiteux, son suaire de sainte, sa robe de star, rime inversée à l’étreinte déroulée dans une chambre
lubrique, aux miroirs mateurs, au rouge velours vicieux, de baiser suspendu,
encapé, à proximité de la gare, du départ, du désespoir, Gary en avatar
involontaire, quoique, du vampire Lugosi récemment en salle sorti (Dracula,
Tod Browning, 1931). Ainsi résumé, l’argument montre ses défauts, ses
qualités ; Hemingway s’en montra notoirement courroucé, remit en cause le
sentimentalisme assumé du cinéaste. Co-écrite par Oliver H.P. Garrett (Autant
en emporte le vent, Victor Fleming, 1939 ou Duel au soleil, King
Vidor, 1946) & Benjamin Glazer (La Chair et le Diable, Clarence
Brown, 1926) ; éclairée par le DP Charles Lang (Peter Ibbetson, Henry
Hathaway, 1935 ou L’Aventure de Madame Muir, Joseph L. Mankiewicz, 1947) ;
montée par Otho Lovering (La Chevauchée fantastique, John
Ford, 1939 ou Correspondant 17, Alfred Hitchcock, 1940) & George Nicholls
Jr., gens de talent(s), cette production Paramount, itou produite par le
principal intéressé, bénéficie en outre d’un casting-quatuor
impeccable, composé par Cooper (Cœurs brûlés, Josef von Sternberg,
1930 ou Peter Ibbetson, bis,
ou le méconnu et néanmoins recommandable Le général est mort à l’aube, Lewis
Milestone, 1936) & Adolphe Menjou (Cœurs brûlés, bis, ou Une
étoile est née, William A. Wellman, 1937 ou Les Sentiers de la gloire,
Stanley Kubrick, 1957), les moins connues Helen Hayes & Mary Philips, deux
comédiennes issues de Broadway, la première d’ailleurs entichée pour de vrai de
l’irrésistible Gary, dixit son
autobiographie.
Jamais héroïque, in extremis tragique, L’Adieu
aux armes ne manque pas d’humour, de ponctuations comiques, cf. la
seconde rencontre nocturne de malentendu, de pied à nouveau nu, ou la réplique
ironique sur la blancheur du vêtement durant le mariage sauvage, déploie des
procédés stylistiques dynamiques, énumérons les travellings avant, arrière, latéraux, en dolly ou à la grue, mention spéciale à l’état des lieux du taudis précité
sis à Brissago. Attablé au lupanar, y contemplant le panard, l’ancien
architecte disserte sur l’arche et celle-ci surgit dès l’arrivée du convoi à la
croix, parallèle habile du passage puis de l’escarpin, mine de rien. Aux fondus
au noir pudiques, rythmiques, répond la phobie de la pluie, manifestation
funeste et fantastique (de fantasme onirique) paraphant la nature de parenthèse
enchantée puis désenchantée de l’ouvrage valeureux, véloce, modeste au risque
de l’anecdotique, intimiste au prix de la myopie, a fortiori si comparé,
par exemple, pas au hasard, à l’épique et poignant Le Temps d’aimer et le Temps de
mourir de Douglas Sirk (1958). Ni Griffith ni Murnau, Borzage
nonobstant s’en inspire, s’en imprègne, retravaille un héritage digne
d’hommage. Digne de l’auteur du davantage tendu et bienvenu, bien vu, La
Tempête qui tue (1940), L’Adieu aux armes mérite donc son
exhumation de saison, de cinéphilie à la maison, on remercie ou non Monsieur
Macron. Un certain Selznick en acquit le négatif, les droits, le remaka en
1957. Encore plus mal aimé, pas uniquement par le romancier, L’Adieu
aux armes selon Charles Vidor, le papa de Gilda (1946),
souviens-toi, conserve une (assez) agréable aura,
en tout cas chez moi, admirateur avoué de Jennifer Jones, Rock Hudson et
Vittorio De Sica, voilà, voilà.
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