Evil Dead 3 : L’Armée des Ténèbres : Necronomicon


Ulysse discount, retour à rebours…


À la mémoire de Honor Blackman (1925-2020)

Pour mon frère

Un film s’identifie (de) lui-même : l’arythmie et la schizophrénie de Evil Dead 3 : L’Armée des Ténèbres (Sam Raimi, 1992) se manifestent dès le tout premier plan, enlisement de lent commencement, ensuite durant la scène du drolatique et multiple dédoublement, à base de miroir bien sûr brisé, guère à la Gulliver, quoique. Tout cela rappelle Superman 3 (Richard Lester, 1983), autre ratage d’un autre âge, dans lequel, intéressant scandale, à la Jekyll & Hyde, Clark Kent, exposé à de la kryptonite trafiquée, se divisait, s’auto-affrontait, au creux d’une casse dégueulasse, symbolique cimetière du rêve américain motorisé. Tandis que le messie US faisait mumuse avec l’égoïsme, l’infantilisme, l’alcoolisme, accessoirement la libido, la dépression et la culpabilité, en oubliait de se raser, mince, Ash Williams effectue un parcours contraire : certes solitaire, caractéristique de l’individualisme étasunien, dialectique de la dynamique collective, il (re)découvre pendant son odyssée médiévale imposée les vertus viriles de la sincérité (sentimentale, sexuelle), de la solidarité (entre fiers adversaires recouverts de fer), il démontre in extremis son héroïsme, donne aux locaux une petite leçon de stratégie existentielle – l’anonyme employé du magasin de bricolage ainsi transformé en figure soft de l’impérialisme de l’oncle Sam, cf. les décorations explicites du final, mené à main évidemment armée – afin de démolir la fameuse terror mortis, Necronomicon (ex mortis, bis) ou non, et in fine défait son mauvais alter ego rigolo (mâchoire remise en place), beau gosse défiguré confronté au trio de KNB, sorte de Hadès porté sur la fesse, capable de contaminer par un repoussant baiser à la Shining (Stanley Kubrick, 1980) la douce et noble et vertueuse jouvencelle violée, ma foi deux fois dépucelée, olé.


« Le corps d’un homme lui appartient » affirme Ash avaleur de son sien lilliputien puis fossoyeur de son doppelgänger very vénère – justement non, ni au cinéma, ni au-delà, il suffit d’une simple maladie pour le savoir, il suffit de regarder Bruce Campbell, prédécesseur d’un certain Jim Carrey, en train de se faire joyeusement (et de façon inoffensive, malgré un passage à l’hôpital) martyriser pour s’en convaincre. Pas besoin de masque verdâtre, d’effets spéciaux à centrifugeuse : le corps souple de l’acteur Campbell, par ailleurs marque de soupe célèbre immortalisée en série par Warhol Andy, constitue le cœur de l’opus, sa raison d’être ludique et suspecte, son support de (sur)vie excessive sans cesse convoité par la mort, au risque du ressassement, de l’épuisement (du spectateur), du désinvestissement face aux péripéties régressives, heureusement jamais vulgaires, accordons ceci à l’aimable et familial (sens duel, salut à ses frères) Sam Raimi. En dépit d’une partition assez inspirée, signée du régulier Joseph LoDuca (+ marche mortuaire attribuée à Danny Elfman, alors que le couple improbable précité, de noces d’outre-tombe forcées, remémore son homologue de Beetlejuice, Tim Burton, 1988), de l’éclairage soigné dû au fidèle DP Bill Pope (collaborateur des Wachowski, à l’ouvrage aussi sur Endiablé de Harold Ramis, 2000 ou The Spirit de Frank Miller, 2008), Evil Dead 3 : L’Armée des Ténèbres manque constamment de mouvement, carence à peine palliée par les ponctuels, brefs et rapides travellings avant de la caméra de Raimi, sa marque de fabrique économique, son simulacre de style, pensée supplémentaire pour les panos rapido, pour les POV de projectiles ou d’esprit véloce. Plus grave, il manque au film une âme, une puissance d’animation des personnages et des paysages, des choses et des métamorphoses, c’est-à-dire, en résumé, un déploiement épique-poétique tel que conçu et exécuté par exemple par l’indépassable (en tout cas indépassé) Ray Harryhausen (Jason et les Argonautes, Don Chaffey, 1963, avec Honor en Héra ou Le Choc des titans, Desmond Davis, 1981), auquel of course la séquence des squelettes (et auparavant le vol de ravissement) rend un hommage marrant plutôt qu’émouvant.


Écrasé par un Campbell en caoutchouc, de surcroît co-producteur, desservi par un scénario falot, dont la moralité scolaire d’union sacrée résonne avec notre navrante actualité, adresse un clin d’œil citationnel à la concorde planétaire du Jour où la Terre s’arrêta (Robert Wise, 1951), le reste du casting effectue donc de la figuration, remarquez le caméo minuté de l’éphémère Bridget Fonda et l’incontournable Dino De Laurentiis co-produit (l’introduction entravée, l’étreinte devant la cheminée, renvoient vers Conan le Barbare, John Milius, 1982), cette-fois ci flanqué de l’inséparable (pour Sam) Robert Tapert. Précisons que les cinéphiles épris de psychanalyse se délecteront de l’amputation volontaire du sieur Ash se souvenant fissa de son précurseur désastre forestier, du remplacement de sa main droite par une tronçonneuse, la gauche munie d’un long fusil, de son absorption spatio-temporelle, molto matricielle, via un vortex très utérin, comme si le Moyen Âge revisité représentait une utopie du tout permis, un territoire de jeu(x) de rôle(x) au sein (maternel) duquel apprendre à devenir un homme, au propre, au figuré, par conséquent à endosser à l’insu de son plein gré la panoplie de l’élection prédite, le Snake Plissken cynique (et lucide) de John Carpenter – le script de départ éborgnait Ash… – se marre et nous souhaite parmi ses ténèbres à lui une bienvenue malvenue au milieu de l’humanité désenchantée, déchaînée, rendue à son éternelle obscurité (Los Angeles 2013, 1996). Néanmoins Evil Dead 3 : L’Armée des Ténèbres frôle le rien, en rien n’affole, se tient au-dessus d’une fosse fichtrement nietzschéenne sans oser y aviser, y envisager, son visage inversé – au rayon inversion, Les Visiteurs (1993) de Jean-Marie Poiré, sorti un an après, renverse le voyage dans le temps, verse dans le comique épileptique, au montage inconsciemment raimiesque, ironie jolie.


Capturé, désarmé, Ash assiste sidéré, point rassuré, à un sacrifice humain, de quidam aussitôt jeté dans un puits maudit ; après une stase de silence, un geyser de sang surréaliste jaillit, unique concession cartoonesque (comparez avec l’ascenseur écarlate hypnotique à l’Overlook de Kubrick) d’un métrage fondamentalement mainstream, qui mélange mal la fantasy et la comédie, qui paraît en plus se moquer de l’écrit, le redouter, a contrario de la BD (salut à Stan Lee), de la presse classée spécialisée (exemplaire de Fangoria au fond du coffre  automobile), puisque les livres – trinité infernale – vous avalent, vous mordent, font volte-face sur votre face en étranges boomerangs, doivent être tenus à distance, protégés (emprisonnés) par des gardes décimés. À défaut de l’hyperbolique « the ultimate experience in medieval horror » promise de manière rétrospective par le générique de fin, Army of Darkness peut cependant s’apprécier en divertissement distrayant, quasiment inexistant, en ouvrage sympathique et anecdotique, à réserver en priorité aux nostalgiques. Distribué en différé, because conflit juridique, un chouïa charcuté (écourté) par Universal – exit la coda pessimiste, apocalyptique – l’item ressemble un brin à du Richard Thorpe (la trilogie Ivanhoé, Le Prisonnier de Zenda, Les Chevaliers de la Table ronde, 1952-1953) modifié, modernisé, vitaminé. Homme modeste, réalisateur mineur, producteur à succès, Sam Raimi demeure l’auteur d’une filmographie à la fois fréquentable et dispensable, placée sous le signe du fantastique dominant mais pas seulement, car itou traversée par une fureur à la Tex Avery (Mort sur le grill, 1985), une relecture revancharde de Gaston Leroux (Darkman, 1990, son Fantôme de l’Opéra à lui), un auteurisme à la Coen Bros. (Un plan simple, 1998 + Intuitions, 2000), co-scénaristes de Crimewave, eh ouais, une transposition studieuse et insatisfaisante (la trilogie Spider-Man, 2002-2007), une énergie juvénile très éloignée de l’antique insanité de Lovecraft (la trilogie Evil Dead, 1981, 1987, 1992), sans omettre un médiocre western au féminin (Mort ou vif, 1995, avec Sharon Stone) et une moralité au marxisme modéré (Jusqu’en enfer, 2009, avec Alison Lohman).


En outre Raimi co-écrivit le vintage Le Grand Saut (Ethan & Joel Coen, 1994) et le décérébré Man with the Screaming Brain (Bruce Campbell, 2005). Récemment, son nom (ré)apparut à l’occasion du gonflant The Grudge (Nicolas Pesce, 2020). Au siècle dernier, il délivra une diversion désormais de saison, à visionner à domicile, tout sauf « prise de tête », les commentateurs en ligne l’en remercient, et pourtant un peu inepte, on pourrait le regretter au vu du potentiel implicite. Allez, évitons les oraisons et réjouissons-nous en mineur des aventures légères, languissantes, d’un anti-héros point facho, tourné vers la vie – et revenu à la vie à la TV, sous la forme familière de Ash vs. Evil Dead (2015-2018), revoici en sus Lawless Lucy, enfin exonérée de Xena –, dommage pour son prénom cendré, tant pis pour le Pierrot magnétique-mélancolique (et cosmonaute, et capitonné, et camé) de l’enf(o)ui David Bowie.


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