Gros dégueulasse : Le Complexe du kangourou
Existence et flatulence, gagnant pourtant perdant…
Produit par Alain Siritzky,
propriétaire de l’interminable franchise
Emmanuelle,
réalisé par Bruno Zincone, monteur pour Raymond Depardon (1974, une partie de campagne,
1974) & Jean-Pierre Mocky (Noir comme le souvenir, 1995) mais
aussi, surtout, pour les polissons Jean-Marie Pallardy & Pierre Unia, ou le
supérieur Francis Leroi (Emmanuelle au 7ème ciel, 1993, après
Emmanuelle
6, 1988, fissa finalisé par un certain Jean Rollin, puisque Zincone
cinéaste aussitôt remercié), Gros dégueulasse (Zincone, 1985)
s’avère une satire terminée en mélodrame. Le courageux Maurice Risch, autrefois
flanqué de Louis de Funès (Le Grand Restaurant, Jacques
Besnard, 1966, Le Gendarme et les Gendarmettes, Jean Girault, 1982) ou
depuis passé par Maurice Pialat (Nous ne vieillirons pas ensemble,
1972), François Truffaut (Le Dernier Métro, 1980), Bertrand
Blier (Beau-père, 1981) et ensuite Pascal Thomas (trilogie des années
2000), retrouve vite l’univers de l’éphémère Jean-Marc Reiser, car déjà au
générique de Vive les femmes ! (Claude Confortès, 1984). Son personnage
anonyme paraît développer le précédent, reprendre la solitude sentimentale et
sexuelle de « Mammouth ». Il fait davantage, il verse dans le
scatologique, le sarcasme, la provocation et l’abstraction, en plus il répond à
l’ultime interrogation de la traîtresse Jean Seberg selon À bout de souffle
(Jean-Luc Godard, 1960). Dégueulasse en raison de ses manières, de sa langue
amère, de son aspect vestimentaire, notre anarchiste à moitié nu, sorte de
Diogène en slip (« kangourou ») obscène, pratique au quotidien son
souriant cynisme contre l’hédonisme, l’érotisme et le moralisme des années 80.
Gros dégueulasse relie ainsi Les Bronzés (Patrice
Leconte, 1978, avec Yves Rousset-Rouard, le trésorier du premier Emmanuelle, Just Jaeckin, 1974, en producteur délégué) et le (fade) fonds de commerce (mal) adapté d’Emmanuelle
Arsan. Sous la farce assez fastidieuse, impossible à (re)façonner aujourd’hui,
en plein néo-féminisme médiatique, phénomène de « grossophobie » revendicatif
et règne intériorisé du politiquement correct, se dissimule à peine le portrait
d’un outsider désargenté, in extremis
suicidaire, son poignet coupé par le couvercle ouvert – avatar de vagin denté, pontifieraient
les psys – d’une boîte d’éternel et « communiste » cassoulet, cerné
puis épuisé par une médiocrité généralisée, un racisme partagé (séquence croisée
des restaurants alsacien/maghrébin). Soumis à son désir insatiable et
insatisfait, à sa sincérité insupportable en société, à sa vaine volonté de
s’immortaliser au sein des psychés du « deuxième sexe » via un sempiternel salut malvenu – « fausse
blonde » susceptible, en sus, d’infirmer, en dévoilant, enfin, sa vraie
pilosité –, une tactilité publique et déplacée, le dégueulasse boit la tasse,
boit la « tristesse universelle » du monde et de sa vie jusqu’à la
lie, saoulé par l’esseulement, vaincu par l’hypocrisie, incarnation d’un « inconscient »
à ciel ouvert, telle une décharge homonyme, amitiés ironiques à l’Alex DeLarge hyperbolique de Orange mécanique (Burgess + Kubrick, 1971), repoussant revers de l’hygiénisme et
de l’eugénisme des eighties, à
l’instar du sentimental Serge Gainsbourg alors en train de s’autodétruire en
Gainsbarre dégueulasse, justement, pas seulement en direct avec une Whitney
Houston stupéfaite. Auparavant, il croise sur sa route de déroute une jeune
femme enceinte, fascinée par un manège, à laquelle Florence Guérin (Le
Déclic, Jean-Louis Richard, cette fois transposé de Milo Manara,
toujours produit par Siritzky, ou Les Prédateurs de la nuit, Jess
Franco + René Chateau, 1988) prête sa beauté sudiste, douce et dure, elle-même
bientôt mère accidentée, endeuillée, renommée.
Encore rejeté à cause de sa
maladroite proposition de paternité, le mec malheureux plutôt que malsain – il
hume l’immonde contenu d’une couche en caravane offerte afin de s’affranchir
d’un fantasme de réconfortant foyer comme il faut – accomplit son destin,
annoncé par la liminaire destruction de sa (misérable) maison, sur une pauvre pin-up découpée son sang jaillit, sur la
bande-son un invisible train (celui d’Anna Karénine ?) retentit, ne
ralentit, les lumières circulaires de l’attraction foraine, funèbre, filent le
vertige. Pourvu d’un prologue parisien dépressif et documentaire, presto
délocalisé-ensoleillé à Cannes, ponctué de regards caméra et de de caméos sympas,
citons ceux de Marie-Pierre Casey, Dora Doll, France Dougnac, Valérie Mairesse,
Pascale Roberts et Jackie Sardou, de Gérard Hernandez, Martin Lamotte et Régis
Laspalès, Gros dégueulasse constitue donc une
comédie mélancolique, munie de quatre monteuses, mince. Cela échappa peut-être
au public épars, cependant point au compositeur Yasuaki Shimizu, collaborateur
de Hitoshi Matsumoto sur Symbol (2009) et Saya
Zamuraï (2010). Il comporte de surcroît un songe simiesque, pas le Rêve
de singe (1978), de Marco Ferreri, quoique, Reiser signa l’affiche de La
Grande Bouffe (Ferreri, 1973), Florence, bis, déguisée en tardive (et attardée ?) Lolita ; une
scène de lessive en guise de messe, associée à un épisode gentiment sacrilège
(et discrètement cohérent) chez le boulanger ; du baby-sitting improvisé – le dégueulasse confond « pédé »
et pédo(phile), dommage – subito
transformé en récit dont le darwinisme assumé, par la silhouette du conteur himself contredit, cause le rire des
gosses.
À défaut de déclencher l’hilarité du
spectateur, confiné ou non, Gros dégueulasse s’attire à sa
modeste mesure sa sympathie et démontre, si besoin, que la valeur d’une œuvre
filmique n’équivaut pas (nécessairement) à sa qualité graphique, que l’absence
évidente d’une réalisation idoine de ce nom renvoie en l’état vers la précitée
déréliction, le dégueulasse, au bout du rouleau (et face à l’assiette refroidie,
infecte) s’adresse à son sien Godot (de cheminot), que la
« pantalonnade » (mot du gardien de l’onirique zoo) dépeint en outre un drame humoristique, ou bien une
tragi-comédie, en illustration de la fameuse phrase du Figaro de Beaumarchais,
issue du Le Barbier de Séville : « Je me presse de rire de tout, de
peur d’être obligé d’en pleurer », impératif lucide qui pourrait servir de
résumé aux contradictoires items de
la « comédie à l’italienne ». Sans atteindre ce (haut) niveau, Gros dégueulasse mérite sa résurrection, terme doublement adéquat, chronique
mimétique – le cinéma en majorité imite, la bande dessinée par essence stylise
– aux saynètes guère suspectes, à déguster de préférence avec et en compagnie
d’un « Coca-Cola », ce simulacre de présence festive dérisoire, ce
remède américain provisoire à un européen désespoir.
Jean-Marc Reiser
RépondreSupprimer"De quoi est capable une société d'abondance pour ne pas perdre son abondance ?"
Maurice Risch excelle sur ce boulevard du crépuscule sous le soleil des vacances jonché de peaux de bananes plus ou moins rances en ce cinéma-théâtre tragicomique de situation...
Une oeuvre à (re)découvrir, marginale et au sujet de la marginalité.
SupprimerParfois, par exemple avec Pagnol, ou Guitry, le ciné estampillé théâtral, à tort plutôt qu'à raison, s'avère un véritable et valeureux ouvrage cinématographique, fausse contradiction et de liberté personnalisée démonstration...