Live in Europe : Waiting for the Sun


Au garde à vous devant Gardot ? Applaudissements à distance…


Une chanteuse audacieuse et « mystérieuse », Melody Gardot ? Une chanteuse généreuse et « malicieuse », plutôt, davantage « accidentelle » et « accidentée », on le sait. Cependant la souffrance ne confère aucun droit, affirmait Boris Vian, qui s’y connaissait vraiment, dans le cruel L’Arrache-cœur. Elle n’attribue pas non plus du talent, tout au plus du temps, de l’élan, l’hospitalisation alors perçue comme un catalyseur créateur (cf. le cas presque similaire de William Irish, romancier alité, en parallèle à Proust). Jadis découverte par votre serviteur via ses clips sympathiques et anecdotiques – en matière de sirène humide, à baignoire et sans peignoir, Lisa Stansfield susurrant du Barry White s’avérait renversante –, (re)voici Melody (disque prêté par une mélomane amie), cette fois-ci en concert, « nue comme un ver ». Si la guitariste/pianiste callipyge se désape sur scène, rien d’obscène, et l’on se fiche que la pochette effarouche des féministes. Au-dessus de sa mise à nu symbolique, de son dévoilement en public, la silhouette parfaite, honnête, ressemble aussi à une revanche, où l’artiste résiliente contemple son corps autrefois fracassé, fi de narcissisme. Après le plumage, passons au ramage : en dépit du noir et blanc élégant des images (les siennes le livret parsèment), le CD s’apprécie coloré, assemblage stimulant, dépaysant, de jazz, de bossa, de (rhythm and) blues, de soul, de folk et de pop. Estimable compositrice et instrumentiste, l’intéressante intéressée ose reprendre l’increvable Over the Rainbow et ceci ne surprend, puisque Melody (Gardot) & Judy (Garland) vibrent d’un vivant vibrato, à l’unisson des émotions. Femme fréquentable et parfaitement francophone (écoutez Les Étoiles), disons à la Jodie Foster, la chanteuse se révèle en sus joueuse (sens duel), malgré ses réticentes à se qualifier ainsi, à réserver ce statut (vocal) à la Callas, allez.



Bien accompagnée par des collaborateurs compétents, elle nous emporte avec eux, hommes heureux, une centaine de minutes durant, traversée au long cours de l’amour, du désamour, « mauvaises nouvelles » à venir, « soleil du matin » afin de s’en affranchir. Une fois le pire (dé)passé, la pluie (quasi free) tombée, il reste une passagère, une parolière, des souvenirs à la place des regrets. Capable de pardonner un poignet par un amoureux amoché, de s’en servir pour faire réagir des victimes, par empathie, pas par misandrie, Melody Gardot dispose d’une liberté, d’une légèreté, d’une lucidité de survivante, et cela s’entend, et cela se sent. Juste avant un portrait énamouré signé du spécialiste Michel Contat, Mademoiselle Gardot s’interroge au sujet de la nostalgie, du relativisme, de l’irréversible, de la perfection et d’une seconde (ou première, pionnière) Melody – Nelson. Délicate, autodidacte, énergique, mélodique, cette Melody sans souci séduit, nul ne le niera, pas même moi. Néanmoins ce « cadeau », adressé à elle-même, à celles et ceux (nombreux) qui l’aiment, laisse un sentiment d’évanescence, de proche absence. L’Américaine revisite et revitalise son répertoire (quatre opus studio jusqu’à présent), à l’exception notable des items de son album liminaire, Worrisome Heart, curieusement passés à la trappe, amnésie ou arnaque. En résumé, l’ensemble ne manque ni d’âme ni de programme, pourtant se caractérise, sinon s’amenuise, par sa dimension inoffensive (la chère Shula me dit répétitive), son aspect un peu trop poli, en écho au (charmant, évidemment) postérieur rebondi. Un concert doit certes carburer au cœur, bien compris, Melody, toutefois, pas seulement en jazz, l’accident (on y revient), l’imprévu,  la faille, la voix qui défaille, devraient servir itou de fioul, hot ou cool. Chez (feu) Michel Magne, ou sous les cieux de Montreux, la star sourit, sitôt s’évanouit.


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