Au service de Satan : Sin nombre


Rite satanique ? Instantané « ethnique »… 


Dans Au Service de Satan (Frank Q. Dobbs, 1972), sorti six ans avant The Deer Hunter (Michael Cimino, 1978), des Américains chassent le daim, à défaut du cerf. Mais quel meilleur gibier que l’homme, ose affirmer le comte Zaroff (The Most Dangerous Game, Irving Pichel & Ernest B. Schoedsack, 1932) ? Fi d’aciérie, voici une mine à moitié désaffectée, car le coin connut son économique acmé au cours des années 30, notamment en 33, date un brin hitlérienne, hein ? Deux ans avant Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974), son compatriote a contrario promis à une renommée mondialisée, Au service de Satan s’avère par conséquent un obscur « film culte » à base de culte occulte et d’assassinats en série, sis au sein d’un Texas solaire, solitaire, à l’agonie, en proie à la folie, dixit le pompiste sarcastique. Davantage, puisque ce petit film désargenté, d’un autre âge, possiblement impossible à refaire aujourd’hui, on verra vite pourquoi, résonne à sa modeste manière avec Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia (Sam Peckinpah, 1974), cauchemar « interracial » certes situé sur une supérieure échelle, bien plus belle et cruelle, sans même mentionner sa dimension autobiographique, fantasmatique. Co-écrit par un cascadeur-acteur – déguisé en adjoint du shérif, en mécanicien à moustache, en « étalon » d’occasion, le souple Dave Cass se jette au sol à deux reprises, face à un serpent sifflant, à un wagonnet dévalé, olé –, Enter the Devil ne se contente pas d’annoncer le succès d’un certain Bruce Lee (Enter the Dragon, Robert Clouse, 1973), il cartographie aussi une certaine Amérique, à proximité du Mexique, en plein « primitivisme » de revival propre aux seventies (néanmoins le New Age s’affichait en Californie). Quitte à décevoir ses adorateurs, par extension les spectateurs, trompés par le titre « diabolique », l’Adversaire point n’appert, plutôt un petit précis de sociologie in situ, qui mérite d’être vu, qui carbure à l’altérité, à la féminité, à l’oisiveté, à l’insanité, qui commence dans le désert, par une immobilisation symbolique, because pneu crevé à cause d’un sniper embusqué, la lunette de son fusil substituée à l’objectif du cinéaste, voire l’inverse, je renvoie vers La Cible (Peter Bogdanovich, 1968) ou L’Inspecteur Harry (Don Siegel, 1971).




Tandis que de supposés descendants de « Pénitents » s’occupent à trucider la nuit, aux flambeaux fachos, des touristes au creux d’une caverne utérine, le flic surgit en jeep rouge sang, ne paie pas le plein d’’essence, bon sang, rejoint son pote texan, solide Josh Bryant, boss d’une auberge aux employés « basanés », de frontière franchie. Au service de Satan, un « film d’exploitation » sur l’exploitation d’une population, en sus rempli de disparitions, d’un silence de saison, du vent quasiment omniprésent sur la bande-son, à l’onirisme de postsynchronisation ? Oui et non, poursuivons. Après une crémation découverte ; une tentative de viol – le chasseur blanc au cœur noir, salut à Clint Eastwood (White Hunter Black Heart, 1990) emmerde la serveuse mexicaine, travailleuse amène, lui sert des sous-entendus salaces, remarquez le départ « écœuré », persifle Florence Foresti, de l’employeur à l’appétit coupé, la suit chez elle, vérifie les environs, pénètre à l’intérieur, s’apprête à la pénétrer, avant qu’un employé planqué, very vénère, ne refroidisse fissa ses ardeurs de haut-le-cœur, intime à la victime de se taire, Maria obtempère – ; l’arrivée d’une accorte anthropologue, convaincante-sexy Irene Kelly ; une vengeance express au fond d’un puits, les sonnettes vénéneuses revoici ; une discussion semblant résumer le film – « Je croyais que vous étiez natif d’ici » dit le docteur (pas la doctoresse) Culver, à quoi Glenn répond d’un éclairant-discutable « Les seuls natifs d’ici sont les Mexicains » ; une étreinte rapide, entre adultes carrément consentants, l’universitaire venue de la ville ouvre volontiers sa porte et son intimité au plaisant tenancier, de présents salés à partager chargé ; une crucifixion à la con, au fil de fer barbelé, lions la juvénile et fautive Juanita, avec un « sale gringo » tu ne copuleras, aussitôt tu subiras le supplice de Jeanne d’Arc, souterrain brasier d’atrocité à la puanteur en hauteur ; une chute nocturne + une explosion exterminant l’enquêteur complaisant, pas de scandale lui demande son supérieur préoccupé par ses électeurs ; le vrai-faux départ de l’indépendante Leslie, descendue du train, déterminée à poursuivre son chemin, à prouver ses hypothèses balèzes, docte danger, secondée par son Glenn maladroit, une pierre tombe, les capuchonnés en contrebas se retournent, avisent les intrus, capturent la spécialiste, l’écartèlent sur l’autel presque « aztèque », image parfaite de serial fatal, de « demoiselle en détresse » démontrant la justesse de la mise en garde patriarcale du légiste affable – tout ça se termine par des massacreurs démasqués de leur plein gré, une fusillade sans pitié, une amnésie dynamitée.




On le voit, on le devine, l’argument de Au service de Satan peut effarer les représentants auto-proclamés des problématiques « minorités », effrayer (conforter ?) les féministes ou non en faculté, assoupir les cinéphiles pressés, par son rythme assez lent découragés, décontenancer les critiques épris de style, que signifient, ma foi, dites-moi, ces timides ascensions à répétition, à la grue bienvenue, le poids du divin destin, une appréhension (sens duel)  de l’espace, une patine professionnelle posée sur un opus indépendant paupérisé ? Réalisateur débutant, doté d’une épisodique activité, ensuite passé à la TV, en tant que co-producteur uniquement, Frank Q. Dobbs parvient à livrer une œuvre jamais horrifique, toujours politique, discrètement drolatique, humour à la Hooper, mon cœur. Que nous dit, aujourd’hui, son Enter the Devil visionné, à sa mesure limitée appréciable, apprécié ? Qu’il faut se méfier des maudits et monstrueux Mexicains, ne point se fier à leur air forcément patelin, putain, Trump opine, à leur fourbe indifférence, à leur fascination effrontée, qu’il convient donc de contrer leurs sacrifices humains, d’édifier contre eux un mur bienheureux, Trump s’embrase, bis ? Que les femmes, même (surtout ?) intelligentes, même cultivées, savent cependant s’empresser d’écarter les jambes, de servir de proies déterministes à des prédateurs abscons, en réunion, de messe noire patraque, peu démoniaque ? En vérité subjective, Au service de Satan évacue le racisme, le manichéisme, la misogynie, la (victorieuse) virilité. « Dans cette région, il n’y a jamais rien de logique », en effet, il n’existe que les signes sinistres d’une secte ésotérique, mortellement œcuménique, où les Disciples of Death, intitulé alternatif, célèbrent à l’unisson une cérémonie en succession, où « la présence d’une femme dans une mine porte malheur », en tout cas selon l’amant parlant au nom d’un ouvrier troublé, a priori non anglophone, à l’éloquent dos balafré. MLF ou pas, « droits civiques » ou non, Enter the Devil dépeint ainsi les USA en asile esseulé, sexualisé, cimenté par le sang, décimé par la déraison, moralité mélancolique d’un moderne western lucide et ludique.


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