L’Aile ou la Cuisse : À couteaux tirés
Haut-le-cœur ? Resto(s) du cœur…
Film de fatigue et de filiation, film
prophétique et réflexif, L’Aile ou la Cuisse (Claude Zidi,
1976) s’avère en plus un art poétique et un divertissement politique. Si
l’argument (et le déguisement) reprend (en partie) Le Grand Restaurant
(Jacques Besnard, 1966), témoigne de son temps (indépendant, inquiétant), une
décennie suffit (à modifier la donne) : Louis de Funès, récemment
hospitalisé pour de sérieux soucis de santé, veut (et doit, dit le docteur) se
réinventer, se modérer, quitte à revenir au muet révéré (le Mel Brooks audacieux
de Silent
Movie, 1976, acquiesce). Au creux du contexte de crise(s) des seventies, de la filmographie du
fragilisé « Fufu », L’Aile ou la Cuisse se situe ainsi
entre l’antiracisme des Aventures de Rabbi Jacob (Gérard
Oury, 1973) et l’écologie de La Zizanie (Zidi, 1978), sorte de
réponse hexagonale au spatial (et US) Silent Running (Douglas Trumbull,
1972), tandis que Le Grand Bazar (Zidi, 1973) dialogue à distance avec Zombie
(George A. Romero, 1978). Avant de (re)mettre en cause la « société de
consommation », l’ex-cadreur de
Claude Chabrol s’attaquait à l’armée (Les Bidasses en folie, 1971), au sport (Les Fous du stade,
1972) ; plus tard, Les Ripoux (1984) développera, même
par procuration, la relation père-fils de L’Aile ou la Cuisse. Quant à la
dimension méta du métrage d’un autre âge, on renvoie vite vers le sentimental L’Animal
(1977, ah, Raquel), vers l’amer Les Rois du gag (1985). Financé par
(Christian) Fechner (fan de LDF),
Zidi congédie Les Charlots, propose à Pierre Richard le scénario (fiston rêveur
disparu = poli mais ferme refus), débute en compagnie de Coluche une trilogie,
ensuite poursuivie via Inspecteur
la Bavure (1980) + Banzaï (1983).
Pendant ses cinquante-cinq première
minutes, L’Aile ou la Cuisse séduit en sourdine, à sa modeste mesure
assurée, bonne introduction-exposition bien montée (par le couple Monique &
Robert Isnardon), s’affiche en film à clef, à chefs étoilés, en récit de
gastronomie jolie (ou enlaidie), ce sacro-saint colifichet de « l’esprit
français », fichtre. Dans un item
européen, par exemple italien (a fortiori
chez le Marco Ferreri de La Grande Bouffe, 1973), on
mange ; dans son homologue américain, on filme la cuisine, accessoirement
on y copule (comme selon le Bob Rafelson du Facteur sonne toujours deux fois,
1981), CQFD. Après un sympathique générique animé survolé par le thème
espiègle-élégant du stakhanoviste Vladimir Cosma, de Funès/Duchemin se
travestit, se fait véhiculer (par Raymond Bussières, trajets en transparences),
s’extasie sur des spécialités japonaises. Jadis son épouse (de ciné, sa
partenaire d’amitié), Claude Gensac, curieusement perruquée (âgée), joue (à) la
secrétaire fissa suspendue au lustre, aussitôt cassée au sol (sa jambe à angle
droit annonce l’amputation à répétition des Sous-doués en vacances,
1982). Zidi utilise le widescreen et
découpe l’espace de la cérémonie musicale (viré, Wagner grimpe à bord de
l’hélicoptère de Apocalypse Now, Francis Ford Coppola, 1979) en plan d’ensemble
et plan rapproché, modèle formel de n’importe quelle émission classée spécialisée
à la TV (en variante, plongée sur les plats). Exit le dentiste, demeure Gérard/Coluche au miroir, fiston divisé,
encombré de sa virginité, clown accro
au cirque cheap, à base de seau à
barbe, quelle barbe, activité mal rémunérée de grands enfants à destination des
petits (filmés live, dans l’instant,
cela se voit et se sent).
Un établissement repoussant espionné
(pour les besoins du guide sans merci), un faux plombier ligoté, Tricatel
(amitiés mélomanes au cinéphile Bertrand Burgalat) sort de sa tanière en verre,
incarné par un Julien Guiomar magistral (et lui-même patraque, cardiaque, à
redécouvrir, registre varié, dans le valeureux Je m’appelle Victor de
Guy Jacques, 1993). La guéguerre du (bon) goût entre les deux totems (et
tabous) se déroulera au cinéma, c’est-à-dire sur un plateau, terme idoine, de
TV show en direct (et en replay). Philippe Bouvard évoque un
amphitryon de saison et Ann Zacharias ne boit pas la tasse, au contraire aère
le duel (in)essentiel, apporte au film sa juvénile et réjouissante féminité,
peu préoccupée d’obséquieux respect, de rance bienséance, dès lors l’épisode
des valises, précédé par une petite poursuite signée Rémy Julienne, renverse
les rôles, les chambres, pratique le « comique de répétition » (et
« de situation ») à l’unisson. Puis survient enfin la séquence du
spectacle sous chapiteau, à laquelle assiste Marguerite 2/Ann, qui réunit le
père et le fils, qui démasque le maquillé, qui désacralise l’impitoyable
critique. Le réalisateur immortalise la confrontation très œdipienne avec une
surprenante maestria, parvient à créer un sentiment de « temps réel »,
réussit à mélanger l’humour et le malaise, l’amusement et le reniement. Il
s’agit, maintenant et ici, d’un passage de témoin, d’un (beau) numéro de deux
natures en duo synchro (admiration sincère et entente sur le set non simulée), de façons différentes
de faire rire, délestées de facilité, évidées de vulgarité. Coluche, pas encore
pompiste dépressif pour Claude Berri (Tchao Pantin, 1983), place à juste
titre le sourire sous le signe du désir, assume son déclassement, confère au
festif cette fois-ci sinistre sa noblesse désarmante, évidente.
« Le spectacle continue »
et L’Aile
ou la Cuisse aussi, enchaîne sur un mémorable moment
d’humiliation-dégustation, arroseur arrosé, bis,
où Duchemin somatise subito presto, empoisonné par la boustifaille
de son rival, qu’un cuistot italo-armé, naguère dégradé (désétoilé), s’empresse
de lui faire avaler, au propre plutôt qu’au figuré. Obésité provisoire, d’un
soir, « agueusie » me voici, cavale à l’hôpital, les hommes se
rapprochent, manifestent de la tendresse, l’héritier prend le relais, détective
au palais précieux. Prévenu des intrus (vigilance de la vidéo-surveillance), Tricatel, en studio, ordonne, illico, de les transformer en « conserves »,
peut-être apprécie-t-il le Soleil vert (1973) de Richard
Fleischer ? Son usine surréaliste remémore en outre le royaume mortifère
de Fantômas
(André Hunebelle, 1964), et sa déconfiture en public, chic, échange
d’assassinat enregistré, (re)diffusé, envisage celle, individuelle, de Snake Eyes (Brian De
Palma, 1998). Même muni d’un mur d’images à la Mabuse (Les Mille Yeux du docteur Mabuse,
Fritz Lang, 1960), Tony Montana (Scarface, 1983), camé à mort, ne pouvait éviter la mort,
puisque incapable de la visionner, de l’esquiver, contrairement à Duchemin
(& Zidi, indeed), qui se sert de
la technique (bénéfique) de la TV afin de révéler la vérité du ciné, boucle
bouclée (élargie) avec le dessillement décrit auparavant. Contraint de
mastiquer son sien simulacre de nourriture impure, Tricatel, à l’instar du Dom
Juan (ou le Festin de Pierre, sous-titre explicite) de Molière, finit
en enfer, englouti par une bouche carnassière, symbolisme sexuel propice à
réjouir les psys, matrice apocryphe des « jeux du cirque », bis, de la « télé-réalité » à
la sauce Yves Boisset (& Robert Sheckley) pour Le Prix du danger (1983, revoilà Cosma).
L’ennemi évanoui, tout va
mieux ? Pas vraiment, car l’académicien serein, apaisé (Gérard reste,
amouraché) costumé par Dalio en caméo, retrouve au milieu du « chausson
truffé », suivant sa recette cuisiné, une montre familière, souvenir d’hier,
perdu chez Juju. Moralité douce-amère de la fable affable : la « malbouffe »
toujours revient en douce (tel l’effroi à la fin des films affublés horrifiques)
et la démagogie capitaliste (nous) ressert sans cesse un plat rassis, n’en
déplaise au placebo du « bio »…
"Prévenu des intrus (vigilance de la vidéo-surveillance), Tricatel, en studio, ordonne, illico, de les transformer en « conserves »,
RépondreSupprimerpeut-être apprécie-t-il le Soleil vert (1973) de Richard Fleischer ?"
Intéressante connexion entre films, relevée entre bien d'autres signifiantes aussi, dans cet amusant billet nourrissant pour l'esprit fantasque mais pas uniquement...
http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2009/09/ah-fuyez-douces-images.html
Guiomar se marre, et savait nous faire nous marrer, certes, mais on peut aussi l'apprécier dans un registre plus tendre et nuancé, en témoigne le beau doublé de Léolo (Lauzon, 1992) & Je m'appelle Victor (Jacques, 1993).
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