Au péril de sa vie : Au risque de se perdre


La foi, l’Afrique, la folie, le fric…

Angie you’re beautiful
But ain’t it time we say goodbye


It’s a sin!

Alex DeLarge

Méconnu mélodrame martial, Au péril de sa vie (Gordon Douglas, 1961) mérite son exhumation, pour plusieurs raisons, dont la principale se dénomme, évidemment, Angie Dickinson. Jadis célébrée, avec brièveté, par mes soins énamourés, à l’occasion de Pulsions (Brian De Palma, 1980), l’actrice, au ciné, de Rio Bravo (Howard Hawks, 1959), À bout portant (Don Siegel, 1964), La Poursuite impitoyable (Arthur Penn, 1966), L’Ombre d’un géant (Melville Shavelson, 1966), Un homme est mort (Jacques Deray, 1972) et, à la TV, de Sergent Anderson (1974-1978) + Wild Palms (1993), liste subjective, peut-être la verrai-je un jour chez Samuel Fuller, Jacques Tourneur, Lewis Milestone, Norman Jewison, John Boorman, Claude Pinoteau, Sydney Pollack, trouve ici, à défaut du rôle d’une vie, un character qui ne manque pas de caractère, au contraire. Pourtant, son personnage d’infirmière missionnaire pourrait déplaire, par son moralisme, par son intégrisme, mais l’ironie du récit l’adoucit, mais la comédienne renommée l’humanise, le magnifie. Magnifique à sa manière, directement hollywoodienne et cependant différente, c’est-à-dire dotée d’honnêteté, de réalité, de proximité, de lucidité, la dear et douée Angie Dickinson déploie sa beauté, son talent, deux heures durant, alors sa compagnie amie suffit à effacer, de façon provisoire, au hasard d’un soir, le pénible présent, l’interminable confinement, l’avenir prévu pire, au cinéma, au-delà. En surface, Au péril de sa vie ressemble ainsi à une resucée intéressée de Au risque de se perdre (Fred Zinnemann, 1959), cf. les correspondances du script, encore une production de Henry Blanke pour la Warner Brothers, où rempile Peter Finch (La Bataille du Rio de la Plata, Michael Powell & Emeric Pressburger, 1956), à nouveau athée.



En profondeur, il s’agit d’un film sur la discutable « question raciale », problématique d’outre-Atlantique, d’un double portrait pertinent, celui d’une femme tourmentée, celui d’un pays partagé, car le Congo belge de la fin des années 30 ne peut pas ne pas faire penser à l’Amérique nordiste du début des années 60. Davantage connu pour Des monstres attaquent la ville (1954) ou un triptyque de Frank Sinatra (Tony Rome est dangereux, 1967, Le Détective, La Femme en ciment, 1968), le vétéran Douglas dirige un ouvrage psychologique et politique soigné, situé au sein d’une jungle de studio, aux « indigènes » guère falots, saluons les compositions de Scatman Crothers, Juano Hernández, Errol John – aussi au générique de The Nun’s Story, persona similaire –, Rafer Johnson, Frederick O’Neal, Woody Stroode, Charles Wood. Au péril de sa vie s’inscrit par conséquent dans un sillage précis, développe et présage les représentations, polémiques ou non, de Naissance d’une nation (David Wark Griffith, 1915), Hallelujah ! (King Vidor, 1929), Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939), Devine qui vient dîner… (Stanley Kramer, 1967). Écrit par Edward Anhalt (L’Étrangleur de Boston, Richard Fleischer, 1968 ou Jeremiah Johnson, Pollack, 1972), musiqué par Max Steiner (King Kong, Merian C. Cooper & Ernest B. Schoedsack, 1933 ou Gone with the Wind), The Sins of Rachel Cade, titre original explicite, constitue un exercice dialectique, un métrage argumentatif, l’exposé d’une confrontation, d’une cohabitation, entre les couleurs et les cœurs. Son prosélytisme protestant et son antiracisme permanent ne cèdent ni à la sainteté ni aux clichés, préfèrent esquisser des êtres imparfaits, en train de s’apprivoiser, de se révéler, d’apprendre ensemble le respect, la solidarité.



Mélange d’idéalisme et de pragmatisme, d’altruisme et d’égoïsme, de romantisme et d’érotisme, Au péril de sa vie peut paraître aujourd’hui daté, sinon dépassé, persiflent les spécialistes Spike Lee & Steve McQueen, toutefois il fallait un certain courage, aux USA, en ce temps-là, afin d’oser filmer une femme blanche enceinte, célibataire, abandonnée, portée par un assistant noir dévoué, vite converti, rapido marié, modeste leçon d’humanisme justifié, à des années-lumière des klowns kriminels enkagoulés du KKK cavalant après un « nègre » forcément et férocement en rut, lui-même sur la piste d’une pâle vierge en danger, sur le point de se faire violer, histoire de le corriger, de le transformer en « fruit étrange », en effet, séquence sidérante, commise par le grand et sudiste Griffith (The Birth of a Nation). Pendant la décennie suivante, période de blaxploitation, Douglas réalisera d’ailleurs Appelez-moi Monsieur Tibbs (1970), la suite de Dans la chaleur de la nuit (Norman Jewison, 1967), et L’Exécuteur noir (1973), revenge movie bâti pour Jim Brown. Pour l’instant, il signe une sorte d’utopie rendue possible par le déplacement, par le contexte du moment, sur lequel s’achève l’aventure extérieure et intérieure bienvenue, puisque les troupes de recrues partent contrer les Italiens en Éthiopie, eh oui. Tandis que Le Clan des McMasters (Alf Kjellin, 1970), carbure à l’amer, prend acte des assassinats de Malcolm X (1965), de Martin Luther King (1968), indirectement des interminables ravages du Vietnam, relisez-moi, please, The Sins of Rachel Cade espère, ne désespère, quitte à se séparer, au propre, au figuré, de son Icare de la RAF, un médecin américain, charmeur et matérialiste, interprété par un juvénile et anglais Roger Moore, quitte à inclure en second rôle, de domestique à la Cyrano, la Mary Wickes de Sister Act (Emile Ardolino, 1992), CQFD de boucle bouclée « colorée ».



Si le sergent noir du western classé révisionniste quittait in extremis la tribu de son épouse résiliente, Rachel/Angie décide in fine de demeurer parmi sa nouvelle famille, auprès de son fils à élever en solo, surnommé Paulo, blondinet porté par des bras d’ébène, bis. Opus presque perdu, témoignage du chemin parcouru, Au péril de sa vie accumule les contrastes, associe répression, émancipation, colons, locaux, culpabilité occidentale et « pensée primitive », magie de la montagne et miracle de la médecine. Le cinéphile curieux y découvre un enfant endormi, qui ne se réveillera pas, infanticide soft dépourvu de pathos, la troisième femme d’un chef de village polygame, incapable d’accoucher, de donner la vie, accessoirement de prendre du plaisir, tradition de l’excision, et, surtout, une héroïne jamais risible, une amoureuse fiévreuse, d’un homme ne l’aimant pas, pas assez, en tout cas, pour lui sacrifier sa carrière et son standing de Bostonien, amitiés à la Jacqueline Bisset de La Femme du dimanche (Luigi Comencini, 1975), père imprévu, improvisé, rapidement revenu, fissa enfui, aimée par un homme qu’elle n’aime pas, pas suffisamment pour métamorphoser le veuf résistant, combattant, désabusé, engagé, en amant apaisé, dommage. Le désir de Dieu saurait museler les mystères de la chair ? La confiance affirmer de franchir les frontières ? The Sins of Rachel Cade répond oui et non, plaide en faveur du pardon, plutôt que de la renonciation. Cette femme fervente, indépendante, forte, fragile, reflet diffracté d’une actrice elle-même mère, hélas endeuillée, continue à nous émouvoir en mineur, en sueur, sur fond de bruit et de fureur, tams-tams à message, avions à outrages, et l’intensité adulte, remplie de tumulte, d’Angie Dickinson s’immortalise à sa mesure, sincère, exemplaire, démonstration de poésie US ne devant rien à celle de l’homonyme Emily, tant mieux, tant pis, remède d’un cinéma d’autrefois, adressé à un monde constamment malade – le nôtre, doc. 


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