Vacances à Paris : Opération Jupons


Américains parisiens, grandes manœuvres modestes…


Comédie vraiment amusante, constamment élégante, plus réussie que celle, idem militaire, du même réalisateur, écrite itou par le sieur Shapiro, à laquelle cet article emprunte son sous-titre, Vacances à Paris (1958) permet de retrouver avec plaisir le couple épatant, pas seulement à l’écran, Tony Curtis/Janet Leigh, déjà réuni par l’exotique-énergique et simultané Les Vikings de Richard Fleischer. Ici, brunie, en uniforme, en « psychoclinicienne » in extremis démissionnaire puisqu’amoureuse, voire l’inverse, l’alerte et coquette Janet cogite une tactique cynique, à laquelle ne pensa pas le John Carpenter dépressif et molto parano de The Thing (1982), qui d’ailleurs la dirigea flanquée de sa fifille dans le fameux Fog (1980). Afin d’éviter que 104 soldats célibataires, détail d’importance, n’en viennent aux mains, ne deviennent des bons à rien, l’experte décrète une permission « parfaite », intitulé natal, solution par procuration censée calmer les esprits échauffés au sein de leur lointain no man’s land (ni woman) enneigé. Le gagnant de la loterie radiodiffusée devancera la valeureuse Julie Andrews de Victor Victoria (1982) à la découverte des ivresses de la capitale hexagonale, du gay Paris cette fois-ci de facto hétéro. Une star de ciné d’origine argentine, pin-up grandeur nature, un peu d’imposture, épinglée au mur, auréolée de fléchettes, va vite l’accompagner, provoquant in fine un quiproquo de marmot. Encadré par deux mecs mastoc de la MP, notre chaud lapin à passé, à dossier, trafiquant de numéros, tire le mauvais, ne tire pas son coup, en regretterait le huis clos guère macho peuplé, poilu, barbiches d’oisifs incluses. Heureusement pour l’acteur, le spectateur, mis en abyme par la scène ultime, satisfaite assemblée en reflet, assistant à son mariage filmé, projeté à la base, tout finira bien, malgré la volonté de l’élu d’annuler les noces, disons dans une quarantaine d’années, bébé.




Cinéaste habile et subtil, Blake Edwards adore dévoiler les touchantes identités de ses personnages imparfaits, alors le familier de sa filmographie reconnaît ce fil rouge, rose, parmi Diamants sur canapé (1961), La Panthère rose (1963), La Party (1968), Victor Victoria, Boire et Déboires (1987) ou Dans la peau d’une blonde (1991). Au cours du récit, Paul formule sa « maladie » de womanizer immature, Vicki, vaincue, s’avère victorieuse, et Sandra Roca, fantasme à millions, se révèle une épouse dissimulée, gentiment attendrissante. S’il satirise en douceur les mœurs de l’Armée, par extension de la société, la décence hollywoodienne intéressée, Vacances à Paris ne déploie point des pantins mais divertit au moyen d’êtres humains, masculins, féminins, dessinés au moment marrant, émouvant, où ils se démasquent à eux-mêmes, prennent des risques, se redéfinissent (et finissent ensemble). En surface conventionnel – ils se méfient puis se disent oui pour la vie – et consensuel – tandem dédoublé, au carré –, le sage métrage dresse discrètement l’éloge du courage, de la rencontre adulte, au joyeux tumulte, placée sous le signe dionysiaque du vin (caméo de Marcel Dalio grimé, aux répliques en français, affublé en VF d’un supposé patois provençal à deux balles). Doté d’une distribution chorale ad hoc, mention spéciale à la charnelle et alcoolisée Linda Cristal, Vacances à Paris séduit par son dynamisme, sa sincérité, son discours et ses atours. L’apparition des jambes de Janet, surcadrées par un bureau d’officier, la présentation des exilés en panoramique à 360 degrés, les plans-séquences ponctuels, l’utilisation stimulante du CinemaScope, témoignent de la maîtrise d’Edwards, de la précision et du soin de sa réalisation. Le recours à des transparences pragmatiques, touristiques, évacuent le réalisme et rejoignent la dimension heuristique (notez une perverse affiche pour… Vichy !).




Du cinéma champagne, à l’image de la bouteille embarquée par l’alpiniste de chambre à coucher, de draps noués, dont le bouchon d’aventure, double sens, saute à l’instant de sa déconfiture, métaphore d’éjaculation précoce du meilleur effet (comique), plus tard reprise par le Christophe Gans de Crying Freeman (1995) ? Pas que, car le conte sexuel, sexué, moral et néanmoins jamais moralisateur, comporte une scène majeure, de massage dos tourné, yeux fermés, baiser d’intimité. La surprenante gravité de Tony, le sourire irrésistible de Janet au bord de l’extase, hissent l’épisode au niveau d’une séduction assez superbe, pérenne, qui ravit par sa vérité scénarisée, sa tonalité contrastée. Observateur ludique, parfois mélancolique, presque toujours pertinent, du mouvement des sentiments, du dialogue solidaire entre les hommes et les femmes, Edwards fait brillamment ses gammes en immortalisant la flamme de Monsieur & Madame...


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