Salt and Fire : Queen of the Desert


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Werner Herzog.


On a vu souvent
Rejaillir le feu
D’un ancien volcan
Qu’on croyait trop vieux

Il est paraît-il
Des terres brûlées
Donnant plus de blé
Qu’un meilleur avril

Jacques Brel

Le planétaire Werner, aujourd’hui converti à l’écologie jolie ? Mieux : le cinéaste au service de la douceur, puis de la tendresse, dès le thé au coca, encagoulé, presque cosy, après la tension de l’avion, le piège du kidnapping. Tel le volcan du récit, Salt and Fire (2016), très froidement accueilli par la critique, mais qui s’en soucie, brûle d’un feu discret, possède son propre sel. Certes, on retrouve l’exotisme et l’individualisme de Herzog, réalisateur-explorateur, adepte du défi, d’aventuriers souvent au bord de la folie. Cependant, en persistant, en se reconnaissant, son cinéma se transforme et devient féminin. Pour la première fois de sa filmographie, voici une œuvre focalisée sur une femme, scientifique presque orpheline de sa fifille, elle-même enlevée par son papounet marocain, nom d’un chien. La valeureuse Veronica Ferres reprend et développe ainsi les exquises silhouettes de Claudia Cardinale dans Fitzcarraldo (1982), d’Eva Mendes dans Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans (2009). Doté du même humour en mineur, scatologie incluse, que les mésaventures du flic de Ferrara, Salt and Fire fait penser à La Randonnée (Nicolas Roeg, 1971). Il s’agit aussi d’une errance de seconde chance, d’une rencontre féconde avec l’altérité, sa familiarité, en l’occurrence deux jumeaux miro, aux prénoms mythiques. Comme elle maternait ses deux confrères placés sous sa responsabilité, plus petits qu’elle, possessif ou compréhensif, caméos en stéréo de Gael García Bernal & Volker Michalowski, Laura Sommerfeld s’occupe désormais, insulaire au milieu du désert, des enfants malvoyants, dont on devine vite le lien de parenté avec le patron dépressif. Auparavant, elle repoussait une main alcoolisée, ensommeillée, posée sur son sein, geste davantage infantile, double sens, que témoignage de harcèlement masculin.


Maintenant, elle rationne l’eau, se laisse coiffer, chante pour endormir les bambins une belle berceuse romantique, teutonique, en allemand, cet « ugly language » moqué par un émule du docteur Folamour. Dans Take Shelter (Jeff Nichols, 2011), le similaire visionnaire Michael Shannon redoutait un désastre ; ici, il le constate, et nous itou, il se fiche des statistiques, exige de l’expérience, pratique à l’instar de Nostradamus la prospective en cassandre au goût de cendres – une éruption globale enterrera la Terre de toute façon en sursis, eh oui. Flanqué des fidèles Peter Zeitlinger à la direction de la photo, Ernst Reijseger à la BO, l’admirateur notoire d’un certain Friedrich Wilhelm Murnau raconte son conte d’une fée, défait, via une caméra mobile, aérienne, habile, sereine. Face à l’aveuglement des hommes, qui rend aveugle jusqu’à leurs gamins, il convient d’apprendre à voir, c’est-à-dire à ressentir, à élargir, à offrir, à fonder une famille recomposée, provisoire, par procuration, à l’horizon, afin que la famille (in)humaine puisse, peut-être, s’en sortir, malgré la police aux trousses, la catastrophe maousse. Un séjour d’amour, pas si solitaire, fera l’affaire, maternité improvisée, stimulante, amusante, réconfortante, assorti d’une fresque anamorphique sise en Italie, (im)probable paradis, billet acheté, vous pourriez à votre tour y aller, je vous y attendrai. Salt and Fire s’achève par conséquent sur une ouverture dédoublée, immensité immaculée, histoire sentimentale à commencer. En dépit de l’ultime gag au champagne, appel en fauteuil pour alien lointain, que des obèses US, dixit Riley, envisagent, quel outrage, en ravisseurs, en violeurs en réunion, allons bon, il faut prendre au sérieux cette ballade immobile, stérile et fertile, lente et planante, séduisante par sa modestie, sa radicalité feutrée, Herzog jamais soumis au storytelling, à la psychologie, au mode d’emploi fourni, Dieu (du ciné) merci.


Outre constituer, environ dix ans après, un codicille à Encounters at the End of the World (2007), documentaire polaire parsemé d’éléments de fiction, cf. la reprise d’une scène sonore, les grondements du cratère substitués aux cris des phoques sous LSD, l’ouvrage point vain sur la vanité des choses, l’actualité morose, citation explicite de l’Ecclésiaste ad hoc, comporte un train surréaliste ensablé, des photographies numériques, à la fois ludiques et mélancoliques, la tablette de l’experte en miroir guère narcissique. En Bolivie, en Germanie, Werner Herzog trace sur la toile de l’écran, mise en abyme au moyen du salar écaillé, le portrait d’une étrangère étrangement émouvant, à contre-courant. En bonne logique symbolique, ce film sur une mère, à des années-lumière de la moindre mer, se voit dédié, par le générique de fin, à la mémoire du père de l’actrice, Peter Ferres, boucle bouclée d’une fable (d’une femme) forte et fragile, à propos de perception, d’adoption, d’abandon et, souhaitons-le à Laura & Matt, aux futurs locataires des hémisphères, de guérison, sinon de regain, pas seulement au sein d’un couvent transalpin.


Commentaires

  1. De la part d'ombre aveuglante qui rayonne au coeur financier de l'esprit des Lumières : le fauteuil roulant motorisé qui avance tout seul comme une belle mécanique si bien huilée, ou encore de l'influence de big data en plein désert ...
    "On entendait au milieu du silence les glapissements des chacals et les cris des oiseaux de nuit, ces voix lugubres du désert et des ruines.
    Un voyageur apparaissait seul au milieu de ces débris ; le dégoût du monde l’avait entraîné loin de sa patrie, loin des hommes, et il était venu demander au désert les impressions dont son âme était altérée.
    Ce voyageur, échappé du monde des vivants pour contempler un monde évanoui, méditait sur le grand spectacle qui s’offrait à ses yeux."
    https://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9ditation_sur_les_ruines_de_Palmyre

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