Coming Home : Made in China


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Zhang Yimou.


Un téléfilm de luxe, un « véhicule » d’actrice, une évocation de bon ton ? Oui et non, car Coming Home (2014) doit sa modeste séduction à son dédoublement. Comme le retour à la maison de dénomination, de saison, s’accomplit en couple, d’abord le père, puis la fille, ce très sage métrage, à base « d’amnésie psychogène », de déjà-vu malvenu, en français, s’il vous plaît, de soleil absent, bienvenue à la pluie, à la neige, se divise et vise autre chose que le « devoir de mémoire », voire la repentir intime. Au-delà du récit d’une Pénélope délocalisée, déboussolée, victime anonyme, une parmi des milliers, en rime à la propre épouse de son agresseur sexuel, maître-chanteur d’autrefois, elle-même démunie de son mari, en banlieue rééduqué, au milieu de l’acier, réversibilité des rôles, du pouvoir impitoyable, d’une époque pourrie, d’un passé qui ne passe pas, que retrace le cinéma, le mélodrame domestique, d’enseignante en souffrance, d’Ulysse fugitif, emmené manu militari, de leur enfant unique, inique, danseuse délatrice, à laquelle faire miroiter la célébrité d’un ballet very jdanoviste, vive les chaussons forcément rouges de la rivale au CV homologué, se dissimule une seconde histoire, tel un reflet dans le miroir, maoïste plutôt que fantomatique, quoique, moins historique, allégorique, plus transposable, sinon préférable. Après Mirage de la vie (Sirk, 1959), similaire conflit familial, malédiction maternelle, voici par conséquent Mirage du Parti, page du petit livre rougi par les outrages et les dommages impunis. Les années volées ne reviennent pas, contrairement au vieilli papa, à sa fifille désormais ouvrière textile. Hélas, secouée, en plongée, sur un quai de train à la Anna Karénine inversé, exit le suicide, salutations à la nouvelle arrestation, à la répétée déportation, la maîtresse de maison et de collège perd une partie de sa raison, sa principale raison de (sur)vivre.



Elle redeviendra radieuse, à l’écoute chaleureuse des lettres obsolètes, relues, donc déjà lues, par leur auteur, sorte de Cyrano, accessoirement accordeur de piano. En dépit d’un buste du fameux « timonier », malgré la pugnacité de l’intéressé, ses efforts répétitifs, la femme enfuie, qui craint de sortir, de ne plus se souvenir comment revenir, ne parvient à envisager l’avenir, à rattraper le présent, reste prisonnière d’un hier itératif, date fatidique, tragi-comique, du cinq de chaque mois, rendez-vous ferroviaire schizophrène, où l’accompagnateur, blanchi par les décennies, par les flocons indifférents, douceur dépressive à la Tolstoï, vient se chercher lui-même, suprême ironie cruelle, attendre sa réplique chimérique, davantage juvénile, pauvre ange gardien en vain. Le dramaturge Jingshi Zou, co-scénariste de The Grandmaster (Wong Kar-wai, 2013), opus proustien, fresque d’emprunt morriconesque, point commun de chanteuse éthérée, de vocalises lyriques à la Edda Dell’Orso, à côté du doigté délicat de Lang Lang, adapte un roman de la spécialiste Geling Yan, témoin de première main, soldate adolescente d’Armée populaire de libération, allons bon, et Zhang Yimou s’appuie sur un beau trio, l’admirable Gong Li bien servie par la débutante Zhang Huiwen et le vétéran Chen Daoming, jadis au générique de Hero (2002). Par rapport au titre épique, au Secret des poignards volants (2004), à La Cité interdite (2007), trilogie jolie, polie, Coming Home représente pour le cinéaste disons un exercice d’austérité, une démonstration de dénuement. Drame de chambre, huis clos maso, féminité emmurée, au propre, au figuré, il rappelle bien sûr Épouses et Concubines (1991), s’avère son envers désaturé, aux couleurs sourdes, fanées, hors le costume de scène de la muse mauvaise, logiquement rouge sang, direction de la photographie endeuillée signée du fidèle Zhao Xiaoding.



Zhang Yimou semble itou adresser une réponse épurée aux fastes de Adieu ma concubine (Chen Kaige, 1993), Gong Li bis. L’opéra s’en va, la musique de chambre prend sa place, tant pis si l’on ne peut accorder un cœur, un cerveau, aussi facilement qu’un piano, en ersatz épuisant, épuisé, condamné, réhabilité, détesté, estimé, de Sisyphe ou en émule magnanime de Pépé le Moko, grille de gare aux barreaux carcéraux, nostalgie congédiée, gamine pardonnée, une pensée pour l’ami occis par ses soins, un instant d’ahurissement devant les portraits découpés, disparition au carré. Tout ceci, scandé de zooms viscontiens, un brin Mort à Pékin, violence d’enfance, passion d’impuissance, se suit sans passionner, dommage pour la maestria de la poursuite parmi plusieurs, des retrouvailles qui déraillent. Néanmoins Coming Home émeut en mineur, excède son contexte historique, psychologique, sa parabole pas drôle, laïque, anecdotique, carrément lacrymale. Enfin réunis par une mélodie, Wan Yu & Yan Shi rejouent la coda de L’avventura (Antonioni, 1960), la développent, pour un temps seulement, main posée sur l’épaule, peaux qui se frôlent, reconnaissance-délivrance, avant l’effroi du ne me touchez pas. « Révolution culturelle » ou non, ainsi s’effrite l’édifice érigé en tandem de je t’aime, en écho à la rangée de vélos vite à terre, en cascade, à cause d’une glissade, de la rancœur, de l’orage. La « maladie » de l’héroïne, envahie par une variante d’Alzheimer, démolie par un traumatisme de « camarade » criminel, s’élargit aux dimensions de l’oubli, celui qui nous menace tous, celui, pourquoi pas, qui nous guérira, de notre pedigree, de notre culpabilité, de notre nationalité, de notre insanité. La captive terriblement libre, démaquillée, marquée, coiffe ses cheveux cendrés, ce geste bouleverse, relève de l’impossible promesse.



On le voit, Zhang Yimou, ne réussit pas tout, loin de là, toutefois il maltraite et magnifie sa bien-aimée, inspirante, inspirée, il dépasse le symbole et dépeint un destin d’Orient, d’Occident, dont la blancheur finale, prise en plan éloigné, à la tendresse désespérée, presque apaisée, métaphorise l’abolition de l’identité, l’évanouissement de la conscience, la feuille vierge du vide, le silence des invisibles. Un film politique ? Un film prophétique.    


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir