Solo : Nada


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Jean-Pierre Mocky.


Programmation posthume, Solo (1969) commence comme se termine La Cérémonie (Claude Chabrol, 1995), par un massacre magistral, une leçon d’assemblage-dégommage. Ensuite, passée une maquette de paquebot suspecte, le concertiste en costard noir dissimule les diamants dérobés, s’allonge, content, en position de gisant : dès cet instant, le spectateur un peu attentif devine vite quel destin, guère serein, s’abattra in extremis sur cet ersatz d’Arsène Lupin, piégé par un frangin parisien, déjà « radicalisé », dirait-on aujourd’hui. Tourné à Reims, financé par un certain Taittinger, notez le placement de produit discret, connaissant un œcuménique succès, critique, public, ce film rapide, un brin insipide, doit davantage au cauchemar qu’au « film noir », à Robert Bresson qu’à Bob Aldrich. Au milieu de « modèles » anonymes, d’une mécanique idéologique, Mocky repasse devant la caméra, à contrecœur, s’offre un rôle de séducteur, lesté d’une certaine complaisance – son solo assumé deviendra in fine un duo de cheminot, avec sa terroriste au ciré forcément rouge sang, mangeuse de yaourt et preneuse de pilule. Jouir puis périr reproduit ainsi le programme inaugural, annonce le romantisme noir de Litan (1982), la violence-impuissance de La Machine à découdre (1986), deux sommets du cinéma de l’intéressé. Hélas, il ne suffit pas de connaître à la fois la « petite » et la grande mort afin de fasciner ni de de faire réfléchir. En tant que témoignage de son temps, de son désenchantement, cette course-poursuite assez étique ne tient pas la route, reproduit presque à l’identique le même manichéisme qu’elle entendait dénoncer.


Hors Vincent, bon parmi les méchants, salut à Claude Lelouch, les friqués, les flingueurs, les flics indiffèrent, se caractérisent par une pure caricature, ne s’animent jamais, demeurent des supports d’idées, d’incapacité, esquissés avec paresse, tant pis pour la lucidité prêtée, revendiquée. N’en déplaise à feu Jean-Pierre, le militantisme ne s’assimile pas à l’anarchisme, et ses desperados falots paraissent des gauchos de roman-photo. Par charité cinéphile, par respect pour l’estimable défunt, on évitera de comparer l’opus à l’intelligence, à la substance de La prima linea (Renato De Maria, 2009), mélodrame à main armé d’un autre trempe et ampleur. Cependant cet éloge pro domo de l’individualisme, du pragmatisme, d’un cynisme de surface, d’un hédonisme superficiel, qui voudrait bien émouvoir avec de la fraternité, au propre, au figuré, ne manque pas de qualités plastiques, à défaut de pertinence politique, d’humour notablement noir, cf. la scène du restaurant point ragoûtant, au serveur drolatique et inquiétant. Alors qu’il échoue à nous attacher à son tandem de Romulus & Remus remixés par Marx, pourvus de prénoms au bord du palindrome, épique (Virgile) et pictural (Vincent, une pensée pour van Gogh, lui-même frère fatal), Mocky sait filmer sa Nuit des traquées (Jean Rollin, 1980) à lui, bien escorté par les fidèles Marcel Weiss à l’image, Marguerite Renoir au montage. Victime non pas d’une carence d’argent, de temps, plutôt d’une absence de nuance, de finesse, de dynamisme dialectique, moral, Solo constitue ainsi un essai prophétique autant que famélique. On y parle beaucoup, surtout en voiture, on n’y dit rien d’essentiel, sinon une double doxa, dangereuse, malicieuse, à propos d’argent et d’engagement.


Retour à l’austère Bresson, par conséquent, celui de L’Argent (1983) et principalement du Diable probablement (1977), similaire/différencié récit d’un système obscène et d’une jeunesse sacrifiée. Préférer le « cinématographe » à la « série B » ? Découvrir de meilleurs items de l’auteur, stakhanoviste souvent (plus) amusant et (parfois) remarquablement clairvoyant.

Commentaires

  1. Snobs , un film de Jean-Pierre Mocky
    https://www.youtube.com/watch?v=r42PNWu0hbY

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=yFdYZQmQtcs
      http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/02/scout-toujours.html?view=magazine

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  2. https://www.liberation.fr/medias/1996/08/06/selection-escroquerie-a-la-croyance-canal-13h35-le-miraculede-jean-pierre-mocky_180247/

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=FC438EKWEpE
      https://www.youtube.com/watch?v=78MBBaMqUf8&t=607s

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