Le Mauvais Chemin : L’Héritier


Suite à son visionnage sur la chaîne d’ARTE, retour sur le titre de Mauro Bolognini.


I cheated myself
Like I knew I would
I told you I was trouble
You know that I’m no good

Amy Winehouse

Film inanimé, film désincarné, Le Mauvais Chemin (Bolognini, 1961) se place, dès sa première séquence, sous le signe (du destin, de croix) funeste de la terre, funéraire autant que financière. Au royaume de l’argent, les corps ne s’offrent pas longtemps, les sentiments ne valent rien, coûtent beaucoup, se paient au prix de la vie, pardi. Le roman original, écrit par Mario Pratesi, s’intitule L’eredità, par conséquent, nous y voilà : La viaccia s’avère un exercice (de style), presque passéiste, sinon costumé, de naturalisme transposé, reposant sur une trame très usée, à base de « maladie », d’héritage à outrages. Comme chez le gras Zola, des silhouettes suspectes servent à illustrer l’emprise du déterminisme, de l’atavisme, y compris a contrario, à coup d’altérité, à nous édifier à propos du capitalisme patriarcal, provincial, familial, le domaine de la lutte étendu (sur le lit), en mode Michel Houellebecq, à l’intimité, à la sexualité rémunérée. Hélas, le trop sage métrage, usant-abusant de Debussy, de sa sienne rhapsodie, ne suit pas une seconde la trace des Rapaces (von Stroheim, 1924), de La Bête humaine (Renoir, 1938), ni de Film d’amour et d’anarchie (Lina Wertmüller, 1973), ni de Paprika (Brass, 1991). Doté d’un didactisme colossal, d’un fatum surfait, le médiocre (mélo)drame, en partie paysan, prétend parler d’exploitation, au propre et au figuré, mais ses métayers et ses prostituées relèvent de l’imagerie rassie de la petite bourgeoisie, piètres pantins d’un item qui se voudrait bien une tragédie économique, se réduit à un pensum anecdotique. Passage de relais (dés)argenté, changement de propriétaire + terme d’une ère, amours pragmatiques, voire malvenues – on pourrait penser au Guépard (Visconti, 1963), on se gardera, cependant, par pure charité, de l’y comparer.



Commise par trois co-scénaristes, dont les estimables Pasquale Festa Campanile & Vasco Pratolini, l’histoire empeste la poussière, la psychologie pseudo-littéraire, où les dialogues redondent l’action (son absence) et vice versa. Ce manque de générosité, de liberté, envers le spectateur, jugé stupide, se ressent également au niveau des personnages, particulièrement celui de Bianca, femme fatidique, aussi peu immaculée que son homonyme névrosé, dans l’attente du tramway désiré de Tennessee Williams (A Streetcar Named Desire, Kazan, 1951), à laquelle la cara Claudia prête, en vain, son échancré décolleté, ses cuisses aux bas zébrés. Prisonnier de la panoplie simpliste du sado-maso Amerigo (à défaut du Bel Antonio, Bolognini, 1960, davantage impuissant, merci à Pasolini), jamais crédible, dommage, à l’opposé de son remarquable « contre-emploi » contemporain, concocté par le curé Melville (Léon Morin, prêtre, 1961), Belmondo, même s’il se déclara satisfait du résultat, semble poliment s’ennuyer, surtout après la bouffée d’air frais de À bout de souffle (Godard, 1960) ; sa double agonie de boucle bouclée en vérité indiffère, à l’instar de l’ensemble mortifère. Néanmoins Le Mauvais Chemin permet de retrouver Romollo Valli (Il gattopardo again), d’apprécier le cinéaste Pietro Germi, cette fois-ci passé de l’autre côté de la caméra, mention spéciale à sa scène de « punition » paternelle, je vais t’apprendre à voler ton oncle concupiscent, à maîtresse revêche, espèce de citadin malsain, d’employé dévoyé. Il dispose, en outre, d’un « sujet » assez passionnant, encore actuel, à savoir la faillite de l’idéal, de sa traduction politique en idéologie. Au cours de sa chute convenue, escortée par un classicisme scolaire, conclue à l’occasion d’un écarlate carnaval minnellien, le protagoniste croise la route d’anarchistes en déroute, qu’il ne rejoint point, CQFD désabusé.


Commentaires

  1. Dans Florence qui grise, sous la pluie Belmondo au point cardinal, le mélodrame n'est plus au goût du jour, pourtant ça me parle cet esthétisme léché, entre luxe clinquant et pureté de sentiments, le coeur chavire, quand à l'histoire de l'héritage familial...Ricordo d'amore (L'eredità Ferramonti) - Ennio Morricone - 1976 https://www.youtube.com/watch?v=iMan3pbN5HU

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    1. https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/07/requiem-pour-un-massacre-la-musique_7.html

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