Le Récif de corail : Un petit coin de paradis
Une bible, des fusils, un Chinois, toi et moi…
Le soleil sous la mer, mystérieuse
aurore,
Éclaire la forêt des coraux abyssins
Qui mêle, aux profondeurs de ses
tièdes bassins,
La bête épanouie et la vivante flore.
Heredia
Beaucoup moins connu/consacré que les
incontournables Pépé le Moko (Duvivier, 1937), Le Quai des brumes
(Carné, 1938) et Le jour se lève (Carné, 1939), Le Récif de corail (Gleize,
1939) s’avère une aimable trouvaille. Enfin un film « de » Jean Gabin qui
finit bien ! Enfin autre chose que le morose, la sinistrose, d’un ciné
reflet d’une société agitée, piégée, d’une époque européenne particulière,
d’une décennie issue de la crise (de 29) et ouverte sur la catastrophe (de 39).
S’il résonne à sa mesure avec la mythologie de la trilogie précitée, Le
Récif de corail lui substitue aussi un rousseauisme mis à jour, une
misanthropie amie, une inconsolable candeur et un goût du bonheur. On peut
penser à Maria Chapdelaine (Duvivier, 1934) pour le lointain
dépaysement, le naturel environnement, aux Orgueilleux (Allégret, 1953) pour
l’épidémie + la rédemption, pourtant le film possède sa propre petite musique
mélancolique, son lyrisme mineur, sa beauté tissée à la simplicité. Rien de
hiératique, de fatidique, d’exotique ici, plutôt une histoire de seconde chance
dédoublée, un tandem de je t’aime,
une romance où même le Javert de service, Pierre Renoir en ciré de gestapiste,
finit par classer l’affaire de la meurtrière, elle-même enterrée, sous sa
véritable identité, passée par le sas purificateur de l’influenza, alléluia.
Michèle Morgan n’apparaît, dos tourné, déguisée en Tom Sawyer australien,
qu’après cinquante minutes de métrage, néanmoins sa présence métamorphose le
fugitif et le film, rend crédible le conte chrétien. Encore brune, déjà douée, l’actrice
sous-estimée, un peu victime de ses célèbres yeux, d’ailleurs joliment mis en
valeur par le qualifié Jules Kruger, « collaborateur artistique » du réalisateur,
dixit le générique, illumine l’obscurité
rassurante, solitaire volontaire, vraie-fausse voleuse, pour laquelle le
protagoniste décide de s’installer, de ne plus errer, à laquelle il achète,
avec son salaire d’ouvrier d’usine, un miroir, une bouilloire, une robe blanche
et une boîte à musique, chic.
En escale sur une île a priori paradisiaque, le meurtrier en
imperméable écoute le CV d’un ermite anglais à barbe immaculée, philosophe sans
accent énamouré de ses vagues vahinés, « sauvages » le guérissant des
supposés civilisés de l’Occident, dont on sait désormais le sort attristant, la
maudite marche à la mort (une réplique ironique souligne les progrès accomplis
pour se trucider). Le malheur s’apparente à une « maladie », un
ratage, et parce qu’il souffre encore de son passé, de sa culpabilité, d’une
inappétence existentielle pour l’existence, Ted/Gabin n’arpente point cette
utopie, se fiche d’épouser son destin de capitaine par procuration – la
casquette (dé)fait la tête – promis à la pendaison par l’équipage d’un
torpilleur nocturne en prédateur trompé, illico
« mené en bateau », en effet, d’indépendance mexicaine. Il faut sa
rencontre avec Lilian/Michèle afin de lui redonner l’envie de vivre, de cesser
de survivre, de sauver la traquée. Vacciné contre l’angélisme, le
sentimentalisme, le cynisme, le scénario du précieux Spaak, adaptation d’un
roman du biographe de Clémenceau, accorde une perspective, un avenir, aux
attachants fuyards, les escorte sur leur chemin vers la lumière, le grand air.
Film de studio, de décors, de maquettes, Le Récif de corail parvient à
respirer grâce à des extérieurs aérés, éclairés. Au sein d’un éden contaminé,
au moins temporairement, les innocents aux consciences salies, mimétisme du
récit, s’apprivoisent et se dévoilent (moment assez bouleversant quand Michèle,
murmurante, pragmatique, sur le point de se faire arrêter, offre son intimité,
propose de devenir la « femme » du visiteur étranger). Certes, le
regard de Maurice Gleize relève davantage du classicisme précis, impersonnel,
que du stylisme de ses renommés confrères, ceci ne saurait suffire à faire fi
de son film fréquentable, cru perdu, de son estimable refus de la tragédie
rassie.
Le Récif de corail, opus
presque lent, va à contre-courant du courant dominant, évite l’écueil de saison
de la dépression, affirme l’absolution autant que la rémission. Tandis que
Pierre Prévert assiste, reste invisible, le spectateur aperçoit Gina Manès,
Raymond Bussières, Julien Carette, Saturnin Fabre, Gaston Modot. Tandis que le
monde réel (r)entre en guerre, Gabin, acteur et personnage, s’engagea, nos deux
amants criminels filent in extremis,
hors-champ, rejoindre le lieu de l’accueillant English à barbiche ; ils méritent d’y d’être amoureux, heureux,
longtemps, avec ou sans enfants…
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