Femmes en prison : Les Invisibles
Portée d’infâmes ? Portraits de femmes…
En plus de procurer le plaisir un peu
pervers d’apprécier la dear Ida
Lupino en salope pénitentiaire, pur rôle de composition, sinon de dénonciation,
à nouveau accompagnée de son Howard Duff adoré, couple au carré, cf. Jennifer
(Newton, 1953), Women’s Prison (1955) permet de découvrir un vrai réalisateur,
en l’occurrence le sieur Lewis Seiler, prolifique pour amnésique. Co-écrit par Crane
Wilbur & Jack DeWitt (Un homme nommé cheval, Silverstein,
1970), monté par Henry Batista (Ouragan sur le Caine, Dmytryk,
1954), produit par le spécialiste de la série classée B Bryan Foy, alors
embauché à la Columbia, ce métrage méconnu s’avère une réelle réussite, qui
anticipe, certes en moins politique, le sarcastique Shock Corridor (1963) de
Samuel Fuller, autre sommet désargenté, d’insanité institutionnalisée. Exit le journaliste au jeu dangereux,
bienvenue à la conductrice infanticide ; comme le futur conte de la folie
sans Bukowski, le film se termine pour la taulière austère, vénère, meurtrière,
entre quatre murs capitonnés, destinée d’aliénée annoncée par le médecin
humain, adversaire en colère, au diagnostic lucide. Comme chez Poe, relisez Le
Système du docteur Goudron et du professeur Plume, les cinglés dirigent
l’établissement, ou plutôt un tandem
d’incompétents, parité dépourvue d’impartialité. Après tout ce bazar, nouvelle
arrivée évanouie durant la nuit, because
camisole trop serrée afin d’étouffer ses cris, son « hystérie »,
redoutons sa raison peut-être amoindrie ; intrusion masculine d’un mari,
astucieux-amoureux Wallace Stevens, marmot illico ;
harcèlement de la maman mutique, hémorragie interne létale, mutinerie des
détenues, n’en jetez plus, le gros dirlo à cigare, ancien maton, passé par tous
les échelons, devra, n’en doutons pas, démissionner, tandis que la coupable « commotionnée »
retrouve in extremis son époux, son
soutien, à l’air libre, enfin, remarquez la boucle bien bouclée de liberté
méritée.
Auparavant, le spectateur séduit fait
connaissance, se familiarise, avec un essaim guère mesquin, un collectif de
femmes, d’actrices, touchantes, attachantes, amusantes, résistantes. Film
choral, Women’s Prison doit bien sûr beaucoup à sa distribution,
mentions spéciales à Mesdames Vivian Marshall, Cleo Moore, Jan Sterling, Audrey
Totter. La prison dupliquant la société, la recréant, la réduisant, l’exacerbant,
avec une intensité, une promiscuité, parfois, voire souvent, insupportables, la
première prisonnière noire aperçue fait le ménage à genoux, en chanson, saluons
Juanita Moore, mémorable mater dolorosa
quasiment oscarisée de Mirage de la vie (Sirk, 1959), et
ses consœurs assorties occupent une seule cellule. Ségrégation, donc, d’un
système qualifié par la voix off
liminaire de « déplorable », mas aussi solidarité, mixité « raciale »,
amicale, (hétéro)sexuelle, au-delà des barreaux, dans le couloir, dans la cour,
dans la réserve de la blanchisserie, oh oui. Ces femmes entre elles, pas
celles, pavesiennes, suicidaires, enrichies, du contemporain Antonioni (Tra
le donne, 1955), évitent le sadisme, le saphisme, lieux communs rassis d’une
imagerie pas si misogyne, renvoyons vers nos mots à propos du davantage
explicite-exotique Quartier haute sécurité pour femmes (Lucchetti, 1991). Chacune
esquissée, interprétée, avec sympathie, empathie, les filles doublement invisibles,
citoyennes aux oubliettes, aux prises avec des gardiennes suspectes, comédiennes
peu connues, point reconnues, donnent à voir leur talent et leur allant,
pendant une heure et seize minutes dégraissées de turlute, lestées de tumulte.
Escorté par un DP doué, nommé Lester White, applaudissez le beau boulot sur la
profondeur de champ, le clair-obscur éloquent, Lewis Seiler signe un opus précieux, où le moindre plan
témoigne d’une présence pertinente derrière la caméra.
Démonstration supplémentaire que la
puissance, la personnalité du regard, valent tous les milliards de dollars, Women’s Prison nuance son
manichéisme de surface d’une douleur partagée, puisque l’impitoyable Amelia van
Zandt, puritaine attirante, surtout auprès du cinéphile adepte de la sexy sévérité SM, finit par susciter la
pitié, à juste titre menacée, pourchassée, folle à lier esseulée apprivoisée
par le toubib précité. Moral, pas moralisateur, modeste, jamais moqueur, le film
de Seiler se dispense en sus de donner des leçons bienséantes, bien-pensantes,
de « droits civiques » à la mode démocrate, remember Robert Redford parmi Brubaker (Rosenberg, 1980). Il
évacue idem le catalogue doloriste de
Haute
Sécurité (Flynn, 1989), choc des titans assez anecdotique. S’il fallait
le rapprocher, rien n’y oblige, d’un totem de l’incarcération, on penserait
presque à L’Évadé d’Alcatraz (Siegel, 1979), hormis la dimension
d’abstraction, d’ailleurs déjà perceptible chez nous, dans Le Trou (Becker, 1960).
Les pensionnaires passionnées, passionnantes, de Femmes en prison ne
cherchent pas à s’évader, elles acceptent, magnanimes, de payer pour leurs
crimes, par exemple chèque trafiqué ou imprésario trucidé. Elles ne pleurent
pas sur leur sort, elles n’attendent pas la mort, elles possèdent juste un sens
de la justice supérieur, rieur, pas lyncheur. Il faut le décès dédoublé de l’une
d’elles pour qu’elles se révoltent, réclament que le monde au-dehors apprenne leurs conditions de détention, tout sauf dictées, malgré les dires d’Ida, par
une quelconque volonté d’amendement, de réinsertion. Ce grand petit « film
noir », étiquette de critique d’outre-Atlantique, en vérité lumineux,
éclaire une obscurité prolongée, repose sur un « problème de société »,
lexique médiatique, sociologique, qu’il ne transforme à aucun moment, noblesse
du divertissement, en thème, en message, en ramage à base d’outrages, merci à
son recommandable cortège d’aimables condamnées.
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