The Last Movie : Kill the Gringo


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Dennis Hopper.


Franchement, il faudrait se ficher du making-of, en laisser la chronique du chaotique anecdotique au concierge Biskind, afin d’apprécier ce film restauré, ressuscité, en tant que tel, c’est-à-dire comme un creuset cohérent, où s’entrechoquent, en pertinent patchwork, des échos de Accattone (Pier Paolo Pasolini, 1961), Au-dessous du volcan (John Huston, 1984), Fitzcarraldo (Werner Herzog, 1982), Husbands (John Cassavetes, 1970), Pat Garrett et Billy le Kid + Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia (Sam Peckinpah, 1973-1974), Prenez garde à la sainte putain (Fassbinder, 1971), sans oublier, bien sûr, des correspondances ponctuelles, personnelles, avec Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979), The Blackout (Abel Ferrara, 1997) ou Easy Rider (Denis Hopper, 1969). Le co-scénariste Stewart Stern, par ailleurs auteur des scripts de La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955) et Le Vilain Américain (George Englund, 1963), possibles titres alternatifs pour The Last Movie (Dennis Hopper, 1971), connaissait-il Je suis une légende, le roman de fin des temps de Richard Matheson, paru en 1954 ? On l’ignore encore, toutefois Kansas se retrouve itou en cellule et son pote s’appelle Neville Robey au lieu de Robert Neville… Ici, cependant, point de morts-vivants avides de sang, plutôt des spectateurs locaux portés sur le remake mimétique, fi de la mécanique, aux basques d’un cascadeur christique, qui nique, à proximité d’une cascade édénique, une ex-prostituée prénommée Maria, salutations à la génitrice de Jésus, à Marie-Madeleine rédimée. Son « péché » ? Le ciné. Les ultimes mots de ce dernier film, presque dernière tentation scorsesesque ? « Dieu est partout », amen. Commencé par une procession, le curé, berger stressé, conduit son troupeau de brebis à un simulacre d’église, espère pouvoir guérir les indigènes égarés par le spectacle au carré, délocalisé, anachronique, cathartique, attend le retour de la « moralité », mince, The Last Movie se poursuit en stimulant chemin de croix, fertile film mental, en mobile cinéma méta.



Il s’agit, résumons, d’un vrai-faux western, d’une imitation de documentaire sur les nerfs, d’une satire des mœurs US, de leur puritanisme pornographique, filons du fric à la chanteuse, à la danseuse, histoire qu’elles entament fissa un petit duo saphique peu sympa, peu dynamique, davantage domestique, dépressif, poussif, de leur sexe SM, maîtresse rousse au vison, cow-boy en soumis étalon, de leur « famille » factice, infantile, alcoolisée, colonialiste. Les Indiens, pas les mêmes, quoique, ne se font plus descendre dans/par les bandes de Blancs, ils assistent, médusés, indulgents, ensuite acteurs à faire peur, cogneurs de jeu sérieux, aux frasques de l’équipe de Samuel Fuller, de l’entourage du marchand de balais, ploutocrate cocu, assorti de sexy « sorcières », fille et mère, Mrs. Anderson substituée à Mrs. Robinson (Le Lauréat, Mike Nichols, 1967). Le bon père, fanatique, drolatique, affirme l’existence de « l’enfer », dommage collatéral du tournage bancal, fatal, au riquiqui corbillard, au départ trop tard. En vérité Dennis le dit, le redit, sillage du voyage/naufrage de ses motards admirés, à succès : en dépit des projets hôteliers, capitalistes, du personnage principal, la réelle richesse réside dans l’amitié, aurifère ou de misère, puisque l’amour se file des gifles et aspire à posséder un réfrigérateur, Seigneur. Notre Dante amoindri, accompagné en cinéma classé vérité, en caméra portée, en remarquable travelling le long de vitres où s’agitent ses pantins pirandelliens, lui-même à deux doigts d’imploser, démiurge en larmes, au rictus de façade, n’obtiendra, hélas, aucune grâce, se croira mourant, se remettra vivement. Au royaume des apparences, même la souffrance ressemble à un effet spécial, même un baiser bucolique devient suspect, à cause de son hyperréalisme coloré.



Au Pérou, tout paraît perdu, fou, flou, alors qu’en réalité, l’ersatz de mysticisme prête à sourire, que le snuff movie improvisé provoque le rire, ainsi que l’incite la reine de beauté du fastidieux défilé, (re)voilà Maria. Certes, l’acteur-réalisateur renverse la chronologie, la géographie, démonte le montage en solo, en trio, David Berlatsky, l’assembleur du Billy supra, s’y colle, flanqué du méconnu Antranig Mahakian, du point de vue taquin du chilien Alejandro Jodorowsky, aussi. Néanmoins, tout ça s’apparente à du menu fretin, si comparé aux expérimentations radicales, magistrales, du bien nommé Bad Timing (aka Enquête sur une passion, Nicolas Roeg, 1980) ou de Il était une fois en Amérique (Sergio Leone, 1984), autres items miroités, a priori hermétiques, en profondeur préoccupés d’herméneutique, Kansas enquêtant à son tour sur sa Passion, se racontant à l’envers un récit non linéaire, digressif, réflexif. La montagne des rushes accoucha-t-elle d’une souris, d’un film dénommé maudit, financé de façon intéressée par Universal ? Que nenni, car Hopper déploie sa sincérité de menteur, soigne ses silhouettes, généreux avec son casting très hétéroclite, cortège choral, jamais lacrymal, ni narcissique, ni mélodramatique. Rythmé par des chansons narratives, guère intrusives, en mode Bob Dylan, discutable troubadour du second Sam, The Last Movie conjure son eschatologie par sa beauté, beau boulot du DP polyvalent László Kovács, sa surprenante sérénité, son émouvante modestie. Opus à la fois collectif et singulier, donc cinématographique, donc autobiographique, ce métrage d’un autre âge, pas un reproche, un constat, à défaut de délivrer une quelconque rédemption, apprend le pardon, notamment des pères « ratés », ou éloignés, par leurs fils en fuite, en train de papoter plus tard, peut-être au passé, au coin du feu, sans Nicholson, tant pis, tant mieux, à propos d’or, de mercure, du Trésor de la Sierra Madre (John Huston, 1948), modèle de désenchantement d’antan, version douce des Rapaces (Erich von Stroheim, 1924).



Cinéaste américain, citoyen républicain, le sieur Hopper paya cher, on le sait, son intimiste et lucide odyssée. Disons cinquante ans après, il convient de (re)découvrir, dépourvu de mode d’emploi, délesté des béquilles du contexte, cette réussite à base d’échec, qui désarçonna le public, la critique, à l’instar du  médiocre mais aimable Kansas, le premier surpris par sa chute hors-champ. La lutte fratricide entre les ténèbres et la lumière se poursuit, partout, en chacun de nous, et The Last Movie donne à voir ceci, parvient à matérialiser, de manière alerte, ouverte, son dilemme spirituel, son envie de (dé)faire du cinéma différent, par conséquent de vivre autrement, à des kilomètres de Hollywood, de ses mythes œcuméniques, cyniques, minables, méprisables, d’un American way of life vomi, moqué, abhorré, arboré, en définitive du fantôme familier de James Dean, cité l’instant d’une réplique, d’une supplique, que Dennis Hopper pouvait dupliquer, dont il s’éloigna illico, au cours de sa consistante carrière, avant de décéder, septuagénaire, d’un cancer, épreuve existentielle à des années-lumière des balles à blanc, des chevaux de Marlboro, des blessures-impostures, de la (mauvaise) réputation et de la (similaire) littérature, surtout à son sujet. Chef-d’œuvre enfin exhumé ? Exercice ludique, sinon exorcisme ironique.


Commentaires

  1. ." Au royaume des apparences, même la souffrance ressemble à un effet spécial, même un baiser bucolique devient suspect, à cause de son hyperréalisme coloré."
    Au Panthéon des belles formules relevées au fil de ma lecture toujours instructive des billets si diversifiés du Miroir des Fantômes...

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