Un rickshaw à Mumbai : Le Triporteur
Le compteur tourne, le tueur se retourne…
When I’m ridin’ round the world
And I’m doin’ this and I’m signing that
And I’m tryin’ to make some girl
Who tells me baby better come back later next week
Cause you see I’m on losing streak
Mick Jagger
Sorte de C’est arrivé près de chez vous
(Belvaux, Bonzel, Poelvoorde, 1992) délocalisé en Inde, Un rickshaw à Mumbai
(Mittal, 2016) se souvient aussi de Cannibal Holocaust (Deodato, 1980), cependant
les pauvres se substituent aux « peuplades », l’économique à
l’ethnographique. Le spectateur, surtout occidental, sait par conséquent à quoi
s’attendre, devine de loin la fin, a contrario des trois zozos derrière et
parfois devant la caméra, censés réaliser un documentaire sur la misère, en
réalité vite excités à l’idée de vendre leur snuff movie joli,
imprévu, aux médias avides. « Les journalistes sont tous des
salauds » affirme la deuxième victime masculine, sodomite adepte du shit, client récalcitrant de prostituée
impayée, philosophe de l’argent, supposé transitoire, illusoire, in fine
courtier étranglé par notre conducteur râleur, relou, jaloux. Et les cinéastes ne
valent pas mieux, trop taiseux, témoins passifs, sinon complices, à distance,
de non-assistance à personnes en danger, en dépit d’insultes répétées.
Transporteur le jour, proxénète le soir, Narayan n’en peut plus, entre son « employée »
envolée, impitoyable, sa mère austère, amère, marieuse et non vendeuse, de
terre paternelle, au village, les passagers passables et les automobilistes
irascibles. « L’amour s’est volatilisé », déplore-t-il attablé,
souriant, dodelinant, le riz et le rire aux lèvres, dans la bouche le goût ravi
d’un improbable « cuni », si ça sent mauvais, savonne-le, mon vieux.
Un peu de porno en vidéo, un colocataire mutique, une pièce unique, où faire la
vaisselle et se couper les ongles, cauchemar d’hygiénisme, des films en salles
merdiques, que dalle face à Salman Khan, un thé offert, payé cher, un collier
en cadeau, mate, minable, mes Ray-Ban, des clopes, de l’alcool, des pirogues,
ainsi se passe sa triste vie, et tu t’étonnes, ensuite, qu’il lui vienne des
envies de nettoyer le monde immonde, au racisme régional, au sexe scellé ?
« C’est un meurtrier ou un
bienfaiteur social ? » interroge sans plaisanter le policier dans le
panier à salade, les vandales de la Nouvelle Vague alpagués, leur matériel
confisqué, personne ne paiera pour se repaître de pareil misérabilisme, les
mecs. Vingt minutes avant le terme du métrage, le type cité supra retrace le passé rural du récent
citadin, assassin de grand propriétaire, violeur d’adolescente achevée à coup
de pierre, peuchère. Au bord d’une rivière à vomir, parmi les ordures
ensoleillées, le chauffeur de taxi à trois roues médite sur la propreté expéditive
qu’il pratique, cibles diverses occises en arrêt sur image. Un soupçon
d’innocence, quoique, une gosse tenue par la main en public, puis le rendez-vous
du j’avoue tout, retour à Samarcande, ultime plan repeint en rouge sang, dans
le sillage de trois détonations de saison. Le fou ne fera pas la « fête en
France », fichtre, il se saisit de l’objectif, pousse un cri, cut. Porté par un débutant assez solide
nommé Deepak Sampat, Autohead, que nul ne confondra une
seconde avec Eraserhead (Lynch, 1977), autre portrait d’un solitaire très
tourmenté, romantique, psychotique, s’avère par conséquent moins drolatique,
pourtant tout autant anecdotique, que la farce sinistre et surfaite du trio
belge. Diffusé sur Netflix, au fond inoffensif, le film débute par un
plan-séquence en POV, formule de base d’un ouvrage déjà vu, hélas dépourvu de
vraie perspective visuelle et sociale, esthétique et politique, qui échoue à
créer du « temps réel », à faire ressentir la durée des atrocités,
qui, sous couvert de se vouloir révolutionnaire au carré, vade retro, comédie
musicale (mé)connue à l’international, vive l’arte povera, la nocturne
guérilla, se renverse, au propre, au figuré, en petit traité conservateur, moralisateur,
à peine planqué sous une carte d’identité en direct de serial killer amateur.
Mis en abyme, Mittal se limite à
assimiler deux types d’insanité, individuelle et collective, à les miroiter
sans les dynamiser, les faire dialoguer. Au jeu dangereux de la sociologie au
cinéma, Fuller & Schumacher, réalisateurs dotés d’un regard, d’une éthique,
peintres empathiques d’une Amérique hystérique, s’en sortaient de manière
majeure, en conteurs, pas en messagers, revoyez Shock Corridor
(1963) et Chute libre (1993), une pensée
supplémentaire pour l’irremplaçable et irremplacé Jim Thompson, similaire mais
littéraire médecin des maux US, (re)lisez notamment le méconnu et liminaire Ici
et maintenant. Délesté du messianisme ironique et du gothique
new-yorkais de Taxi Driver (Scorsese, 1976), Travis Bickle idem pornophile esseulé, sentimental,
ange exterminateur dérangé, motorisé, Autohead déploie un diagnostic daté,
à propos des pathologies du capitalisme planétaire, réduit la révolution à une
aliénation, le changement à un égarement. À force d’une focalisation
réchauffée, le film ferme l’horizon, semble s’en ficher, ne laisse apercevoir
de la capitale que des inserts à la
sauvette, verrouille du même mouvement le champ des possibles, évacue
l’alternative. Si Fired (Warrier, 2010) optait pour la hantise en huis clos, la culpabilité du PDG, Un
rickshaw à Mumbai nous embarque dans une déroute, une sortie de route,
demeure donc une occasion manquée, accidentée, de cartographier un pays et une
psyché pétris de précarité, de complexité, de résistance et d’espérance. En
matière d’observation et de ciné, pardon du pléonasme, on conseillera par
conséquent de se consoler avec les saveurs et les valeurs de La
Grande Ville (Ray, 1963), remède à la médiocre morosité, réponse
stimulante à la complaisance du pire.
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