Paradox : Pattaya
Chef-d’œuvre esquivé ? « Adios » endeuillé…
You always taught me right from wrong
I need your help daddy please be strong
I may be young at heart
But I know what I’m saying
Madonna
La majorité des métrages,
« écrasante », à écraser, s’écrase devant le spectateur, recherche
ses faveurs, essaie de le rassurer, apprécie, par conséquent, de se prostituer
– pas Paradox (Yip, 2017), dont la séduction assez sidérante repose
sur sa radicalité assumée, son désespoir désespéré, pourtant point désespérant.
Si le synopsis ressemble en surface à une sorte de Taken (Morel, 2008) en
Thaïlande, oublions la bouse de Besson, dommage pour le dear Liam Neeson : porté par un impressionnant et récompensé Louis
Koo (Connected,
Chan, 2008 ou Accident, Cheang, 2009, aussi ici co-producteur), dont le cri
« déchirant » de douleur paternelle déchire encore, le lendemain, mes
oreilles, ma cervelle, Paradox porte bien et haut son
titre, puisque portrait renversé, renversant, dès le générique ésotérique,
temporel, menstruel, soutenu par le beau thème de Chan & Chan, d’un monde
immonde, puisque opus éprouvant, à
contre-courant de la doxa dégueulasse du cinéma mainstream, en salle, en ligne, de sa misérable mélasse bruyante,
abrutissante, auteuriste, consumériste, politiquement correcte, donc abjecte, munie
d’un humanisme minable, piètres produits d’épiciers méprisants et méprisables
du mercredi, puisque petit traité de mortalité démultipliée, qui vient te
rappeler, au lieu de te faire oublier, lecteur pétri de peur(s), que tu vas
crever, qu’autrui, aujourd’hui, te crève, au propre, au figuré, que
l’exploitation procède de la « mondialisation », voire l’inverse.
Résumons ce mélodrame d’action, disons qu’il débute au crépuscule, qu’il se
poursuit au cœur des ténèbres de la vie, au creux d’un infernal « paradis ».
Doté du scénario de Leung, l’éclectique Yip boucle une vraie-fausse trilogie – SPL :
Sha po lang (2005) + SPL II: A Time for Consequences (2015)
– et signe un film foudroyant, indépendant, des épisodes précédents, des
suiveurs inconséquents, que le regretté Ringo Lam dut apprécier, si le Ciel des
cinéastes existe.
Imputable à une distribution ad hoc,
citons les noms de Lam, régulier de To, de Lo, abonné chez Chan, de Wu, venu de
la TV, de « l’Américain » Collins, aux talents liés du DP Tse, du
monteur Wong, la réussite de Paradox ressuscite le cinéma de HK
et ranime notre foi dans cet art-là. Il cartographie jusqu’à la froide folie un
récit full of sound and fury, où
l’iconique Tony Jaa (Ong-bak, Prachya, 2003) tombe d’un
toit, ne se relève pas, agonise d’une hémorragie, hors-champ, hospitalisé ;
où une « travailleuse du sexe » se fait tabasser, bâillonner, ligoter, sodomiser
puis pisser dessus par un policier à presque rendre angéliques les psychotiques
de Jim Thompson, par la suite torturé, sa langue « déliée » au
maillet aveuglé ; où le protagoniste, d’abord veuf, cf. Accident,
similaire catastrophe automobile, ensuite orphelin, se fait planter un crochet
de boucher dans la cheville, tracter par un tricycle à la Saw II (Bousman, 2005), finit
par se suicider, pleurant-souriant, après avoir écouté une éternité, contre la
poitrine du candidat inconscient, convalescent, le battement cardiaque de son
adolescente assassinée, enlevée, avortée, contrariée, recadrée, moment sublime,
sonore, crève-cœur de cinéphile auditeur, en rime interne à l’échographie jolie
d’introduction, de boucle bouclée, car Paradox possède au-delà de ses
atrocités la capacité résiliente, élégante, de se terminer sur un accouchement,
une renaissance, une sérénité, un souvenir, un sourire, celui de « l’homme
de Hong Kong » en train d’écouter, en voiture, à la « place du
mort » inversée, britannique, une sucrerie aux paroles en écho cardio, une
chanson par procuration, la sienne devenue celle du co-équipier d’occasion. En
opposition à l’opinion publique, filmique, étymologique, cynique ou lacrymale,
« engagée » ou « commerciale », Paradox pratique en outre
une dialectique physique, la grisante légèreté des combats câblés, énergiques,
graphiques, sens duel, pluriel, anthologiques, de l’immense Sammo Hung,
chorégraphe et co-réalisateur, comme contrebalancés par la lourdeur, la
pesanteur de l’ensemble crépusculaire, funéraire.
Bloc de colère, Koo, avec ses faux
airs de Terminator invincible, se fendille, se fissure, subit la blessure
redoublant le deuil. La scène de reconnaissance du corps, du cadavre juvénile,
commencée à la Fincher, caméra au fond du tiroir, sur le chariot, constitue un
sommet de dolorisme et de lyrisme, de sentimentalisme et de violence, qui nous
renvoie fissa vers le Woo de The Killer (1989), la greffe de cœur
substituée à la greffe de cornée. À Pattaya, l’avatar de Iago opère en solo,
fricote avec un « Général » au téléphone, un trafiquant d’organes
sinistrement marrant, directeur d’une usine de viande congelée, olé, retour à
l’abattoir relooké, métallisé, de Massacre à la tronçonneuse (Hooper,
1974), à sa esse traumatisante, détenteur de devise bouddhiste, accepte ta vie limitée, en effet, succombe d’un coup sec de balle dans la tête. Cela ne
résout rien, ne ramène personne, surtout pas la gamine au caméscope, au saut du
lit, vite grandie, pardonne-moi de t’avoir traitée ainsi, d’arriver trop tard,
d’avoir arrêté le type entiché qui osa te déflorer, te mettre enceinte. Dans Paradox,
les trois trajectoires principales se croisent à un carrefour de carambolage,
s’observent à distance, instant de stase et de culpabilité insoupçonnée, de
mauvais timing aussitôt létal. Dans Connected,
Koo courait contre la montre, la contournait in extremis. Pas cette
fois, pas près d’un bouddha, observateur doré, géant, indifférent, des
saloperies capitalistes, des complots politiciens, pléonasme, des tragédies
individuelles, des innocences enfantines, des réjouissances de parturiente. Yip
filme son conte de collusion, de croyance, de superstition, de voyeur
coursé, de « violences faites aux
femmes », de mer et de mort, de bracelet post-mortem, de
déclaration d’outre-tombe au bord du pardon, de la compréhension, avec une virtuosité
discrète, une maestria de méthodologie, en widescreen
équilibré, en montage alterné, au grand angle modéré, à la grue et en
contre-plongée, écrans au carré de vidéo-surveillance et d’impuissance.
Succès critique et public, œuvre
tendue et tendre, audacieuse et gracieuse, Paradox appartient au présent, affiche
une générosité, une implication, de chaque instant, de chaque plan. Disponible
en 480p, en VO sous-titrée en anglais, lui-même polyglotte, le voyage de Wilson
donne à découvrir Jacky Cai & Hanna Chan, mérite grandement mon hommage
dominical, vous attend désormais, vous (re)dit d’aimer vos enfants, de discuter
avec vos parents, d’écouter votre cœur, de partir ailleurs, d’affronter le
Marché, de la chair, des affaires, au risque du sacrifice, de la foi,
de la vitre de « salle de travail » ou d’ordinateur portable entre
toi et moi, qui nous sépare et nous rapproche, cercueil de verre et de mots
pour nos morts, nos remords, transparence percée d’une descendance et d’une
histoire peut-être, espérons-le, porteuse d’espoir(s), dans le cinéma et tout le
reste par-delà, oui-da.
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