Le Rendez-vous : Trois sœurs
Un rendez-vous désolant ? Une destination séduisante.
Voici ce que vomit la Nouvelle Vague,
mais évitons le révisionnisme, le manichéisme, puisqu’il s’agit, ici, via mon clavier, avec une souveraine
subjectivité, d’évaluer les œuvres pour ce qu’elles valent, veulent et peuvent m’apporter
au présent, vacciné contre la nostalgie, délivré de la doxa. Hier, j’écrivais
sur Claude Chabrol, aujourd’hui j’écris sur Jean Delannoy – pourquoi pas ?
Parce que je ne respire point pendant les sixties,
parce que je trouve les oppositions/propositions européennes (ou brésiliennes) de
la période concernée à la fois intéressantes et intéressées, les envies de
nouveauté, de liberté, d’air frais, au cinéma, au-delà, foutrement légitimes,
toutefois tissées à des arrière-pensées œdipiennes, égoïstes, pères par
procuration à planter, à remplacer, à préférer aux États-Unis, en Italie, je
sais apprécier une réussite cinématographique, je me contrefous des camps, des
cartes, des contrats, des condamnations, toute cette mélasse assez « dégueulasse »,
salut à Jean Seberg, de médiocres magistrats, d’inquisiteurs, d’imprécateurs,
de délateurs, affreuse tradition française, cf. Le Corbeau de Clouzot (1943),
d’installés, de syndiqués, de soumis, de fastidieux fonctionnaires du film,
incapables de comprendre les enjeux joyeux et sérieux d’un art populaire et
funéraire. Quand je n’aime pas, généralement je me tais, trop peu de temps pour
le perdre à pareil procès, plutôt crever que de descendre Besson, disons. Tout
ceci pour esquisser le contexte, me passer des dichotomies rassies, préciser à
ton regard exercé, lecteur de l’autre côté du PC, que Le Rendez-vous franco-italien
de 1961 ne ressemble en rien à ceux, très audacieux, « révolutionnaires »,
« modernes », mémorables, de 1960, je pense à Psychose, au Voyeur
à L’avventura, à La dolce vita, voilà voilà.
Même si Jean-François Poron affiche
un faux air de François Truffaut, même si l’ultime plan lyrique, solaire, en
bord de mer, paraît relire en mode maternel, mesuré, pas d’objectif fixé, s’il
vous plaît, la fin fameuse des Quatre Cents Coups (1959), l’opus de studio, de scénario, ne dialogue
pas avec le juvénile Doinel, suit sa propre route en parallèle, jusqu’à un
accident de coda, qui rappela le similaire prédécesseur du Salaire de la peur (1953).
Repoussoirs-épouvantails de la vague nouvelle, de la critique liquidative,
parfois aveugle, Aurenche & Bost, tandem
estimable, pas encore réhabilité-ressuscité par Tavernier, adaptent un bouquin
de Quentin. Double mélodrame familial à base d’abandon, de réclusion, déguisé
en peinture de milieu, de mœurs, en vaudeville adulte, dépressif, en policier
policé, Le Rendez-vous dure deux heures, remarquez que les flics
rappliquent exactement au mitan, permet donc de déployer des personnages, de
dévoiler un secret d’insanité. À la densité du récit, des protagonistes, répond
la profondeur de champ du beau noir et blanc pratiqué par Robert Juillard, doué
directeur de la photographie pour Rossellini (Allemagne année zéro,
1948), Clément (Jeux interdits, 1952) ou Denys de La Patellière (Le
Bateau d’Émile, 1962). Hôtel particulier ou atelier à Montmartre
reçoivent ainsi un traitement visuel identique, démocratique. Film choral et
non muséal, film classique et non académique, Le Rendez-vous dispose
d’une distribution irréprochable, bien servie par une caméra précise,
attentive, tout sauf paresseuse, poussiéreuse. Si l’idée d’entendre parler
français le sarcastique George Sanders, de voir ou revoir Annie Girardot, Andréa Parisy, Odile Versois, de découvrir Marie-Claude Breton, de croiser Jean Claude
Pascal, j’orthographie son prénom sans trait d’union, à l’identique du
générique, Michel Piccoli, Philippe Noiret ou Robert Dalban ne vous stimule
pas, inutile de lire la suite, de visionner l’ouvrage en ligne.
En cas contraire, Delannoy et ses
compères vous invitent à un voyage immobile, émouvant, vintage, à un valeureux mystère qui pouvait presque, avec davantage
de cruauté, de singularité, de radicalité, appartenir à la filmographie de
Franju, repensez à Plein feux sur l’assassin, son parfait contemporain, aussi
collectif et plus expéditif. Trois années après l’accompli Maigret tend un piège
(1958), avec déjà Mademoiselle Girardot, Delannoy opte pour la modestie, pour
Paul Misraki, orchestre une partition allégée, éloignée de la pièce montée
nommée Notre-Dame de Paris (1956), désormais d’une « brûlante actualité »,
en effet, jadis supportée par votre serviteur adolescent et sudiste pour la
sous-estimée Gina Lollobrigida, accessit
à Cuny & Quinn. Le CV de JD, cinéaste souvent co-scénariste, demeure à redécouvrir,
pour l’instant, saluons la convergence des talents, les trouvailles qui valent,
par exemple l’autodafé liminaire, passage en douceur du plein air au studio
parisien, le disque rayé, de portes fermées, déverrouillées, d’étreintes
écourtées, épiées, le calligraphe asiatique saisi à la Clouzot du Mystère
Picasso (1956), toile de l’écran fissa transformée en toile de tableau
transparent. Si chacune des apparitions d’Annie ravit et déchire à la Romy
Schneider, personne ne pleurera sur le reporter
déplaisant, qui trompe effrontément Madeleine, pas celle de Sueurs
froides (Hitchcock, 1958), qui fesse la serveuse du bar-restaurant de
Dalban, essaie un peu, maintenant, victimisation vaseuse, qui joue les
paparazzi privés, qui gifle, tabasse et fout dehors l’héritière guère
rancunière, sinon SM, qui reçoit dans sa face un juste coup de poing du serein,
épris, Piccoli, domestique mutique.
Histoire de mariage, de chantage, de
divorce, de broche, de nurse sévère, au
témoignage acheté, au neveu hospitalisé, de Noir obscur de scandaleux escalier,
de croquis de Columbo à cartable, d’alibi
en série, en stéréo, d’évocateurs mégots, de draps défaits, de villa nocturne, aux ampoules nues, de zoom sur une civière, de fondus au noir
à foison, Le Rendez-vous sait en sus, discrètement, témoigner de son
temps, cf. l’indicatif de l’ORTF, scie baroque, toute une époque, un monopole,
ou la une du journal à l’envers, au titre explicite, je cite : « À ORAN quadrillage par la gendarmerie
des quartiers européens et musulmans », euphémisme
« d’événements », perspective d’Évian. Certes, le conte s’avère conservateur, voire moralisateur,
néanmoins il s’autorise à envisager « l’anormalité » avec respect,
délestée de piètre pitié, il détaille in
extremis les failles d’un puissant du pétrole, ma version de la vérité vaut
bien la vôtre, il accorde une seconde chance à la mère dite indigne, digne
d’être à nouveau aimée, pardonnée, réunie à son Bruno en maillot. Au terme du
métrage, sage et soigné, divertissant et non abrutissant, Annie/Madeleine/Marguerite
se déchausse, geste répété, effectué auparavant en soirée, savoure le soleil
sur son visage, s’avance sur le sable, en travelling
arrière, souriante, vers son enfant ignorant, en gros plan, munie du
« scarabouche » pas louche, tricheuse malicieuse à bijou-joujou. Cela
s’appelle bel et bien du cinéma, et pas « de papa », ceci persiste à
plaire pour plusieurs raisons, dont l’immortalisation d’une actrice récemment sublimée,
crucifiée, par le Visconti de Rocco et ses frères (1960). Le
définitif rendez-vous à Samarcande peut bien m’attendre, tant que le feu des
femmes salamandres marche à mon côté, me matérialise, une seconde,
l’éternité.
Bel éloge d'un film irréel aux accents réels, dans la vie combien on espère parfois revoir un amour d'autrefois et recommencer voir renverser le cours du destin, ça n'arrive presque jamais, car le temps a fait son oeuvre et même si le sentiment reste à jamais gravé au fond du coeur, les gens ont changé avec le temps, ici dans le film c'est comme une parenthèse enchantée autour d'un rendez-vous avec la mort, le couple béni des dieux, pêcheurs un moment finiront par recommencer une nouvelle vie dans un lieux paradisiaque, une petite maison nichée au creux de la dune entre fleurs et parfum d'iode indispensable à la vie...Michel Piccoli y a des allures de notaire entremetteur qui ne sait pas tenir sa langue, Robert Dalban est excellent en patron de bistrot, Annie Girardot sublime incarnation charnelle face à un Jean-Claude Pascal que d'aucuns trouvent fade, mais qui en amoureux romantique et quasi idéaliste, on n'aime vraiment qu'une fois, joue son rôle à merveille de chevaleresque distanciation masculine élégante...
RépondreSupprimerJCP + Michèle Mercier =
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=piOb9i1ug5I