Guava Island : Parking
Fredonner une femme, contrer la tyrannie…
Je veux être utile
À vivre et à chanter
Julien Clerc
« America is a concept »,
comme l’imagerie de la « comédie musicale », et celle-ci suscite la
sympathie, sa modestie séduit. Porté par le méconnu (de moi) mais estimable
Donald Glover, acteur, chanteur, producteur, son frérot Stephen signe le
scénario, Guava Island (Murai, 2019) relit et
renverse Orfeu Negro (Camus, 1959), substitue le festival au carnaval,
ressuscite Eurydice. Populaire animateur radio, même braqué par des marmots, toujours
en retard à l’instar du lapin de l’Alice de Lewis, Deni bosse pour le big boss de Red Cargo, entreprise de
commerce maritime guère communiste à vous refiler le blues, cf. l’affiche de jeu de mots sur le mur de rue. Le PDG
mélomane, amateur de jus de fruits, d’oiseaux encagés, l’invite chez lui disons
manu militari, l’incite à ne pas se
produire ce soir, demain matin, écoute bien, tout le monde doit travailler dans
mon usine textile, dont la compagne du guitariste, couturière enceinte, le
principal intéressé l’ignore encore. Hélas, deux gosses d’église, tu chanteras
celle-là pour moi, tu me la dédieras, s’il te plaît, renforcent sa décision prise,
payée au prix de sa vie, descendu dans le dos, dans une pièce vide, peut-être
ecclésiastique, assurément sombre, hors un volatile docile, au plumage bleu de
note bleue. Le mélodrame, je le redis, je radote, sert de fondations à la
maison horrifique, mélodique, et Guava Island, débuté par une cosmogonie
jolie, d’animation pas à la con, de bedtime
story transmise de mère en fille, se termine sur des funérailles festives, en
français (« Voulez-vous bouger ? »), un jour de congé certes
endeuillé, néanmoins tourné vers la vie, la victoire provisoire, le colosse
esseulé sort de sa bagnole de luxe, reste sidéré, sinon translucide, devant le
défilé improvisé, délesté de la moindre trace de ressentiment.
Ici, au sein de la réplique reconnaissable
de Cuba, lieu de tournage very
cinégénique, on ne gémit pas, on ne pleure pas, on préfère rester solaire, se
passer du désespoir, revêtir sa plus belle robe bleue afin d’accompagner le
martyr à sa dernière demeure, désormais immortalisé par la mémoire, l’espoir.
Filmé en 16 mm, au format 4/3, éclairé avec une sensualité aussi douce que la
soie présentée pendant le prologue, jamais véhicule narcissique, plutôt conte
pour adultes rétif au tumulte, qui offre à Rihanna & Nonso Anozie (Le
Territoire des loups, Carnahan, 2011 ou Suspect numéro 1 et Zoo
à la TV) des présences importantes, prégnantes, le téléfilm Amazon &
Regency mérite son visionnage en VO non sous-titrée, cinéphile non anglophone,
fais un effort inoffensif, ses cinquante-cinq minutes allègres et funèbres,
charmantes et presque poignantes. Deni/Donald le dit, la musique, de surcroît
collective, représente « a celebration of life », une expérience de
liberté, peu importe l’endroit, la couleur, la foi ou les enfants. Pas de
Blancs et pourtant, heureusement, tout cela nous parle, nous (en)chante, nous remémore
Demy, tendance Une chambre en ville (1982), certes en beaucoup plus léger, en
moins politisé. Outre constituer un divertissement soigné, à hauteur d’hommes
et de femmes au travail, au bercail, vacciné contre le tourisme, le dolorisme,
l’angélisme, si vous aimez Rendez-vous en terre inconnue, ne me
lisez plus, please, Guava
Island, en dépit d’un son très propre, policé, réussit ses scènes
musiquées, dialoguées, chaque plan attentif aux espaces, aux visages, n’assomme
pas via son message marxiste, nous
rappelle simplement, avec une simplicité inspirée, que les (bonnes) chansons procèdent
de l’émotion, de la libération, double acception, qu’il s’agit de bonbons
autant que d’armes de destruction festive, pacifiste, d’un réseau de
résistance(s) précieux, impalpable, reliant les silhouettes anonymes, assemblées
avec dextérité.
Ni bluette simplette, suspecte, ni cocktail Molotov muni de croches, la
fable affable ne cherche point à rassurer, à consoler, à embellir à proximité du
pire, à rétablir un paradis perdu dès les premières minutes animées,
surplombées par la voix de Rihanna, conteuse à défaut de chanteuse, davantage à
stimuler l’esprit de partage, de solidarité, d’unisson, le temps d’une saison
estivale et fatale, à l’image de nos vies à danser, pas vrai, Friedrich, à
essayer, accompagnés par une bossa, une muse et l’ombre familière, intime,
mutique, de la Mort, masquée ou non, in
fine préférable à l’illusion, à l’immobilisme et aux remords.
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