The Man Who Watched Trains Go By : Trust Me
Égarement de Rains, mémoire de Marta…
Ce film méconnu d’un cinéaste
confidentiel, cependant décédé centenaire, mérite son exhumation, transpose
Simenon. Conduit par l’impeccable Claude Rains, il permet de retrouver Marius
Goring & Herbert Lom, de découvrir Marta Toren, vrai-faux sosie d’Alida
Valli, d’apercevoir une jeunette nommée Anouk Aimée, rebaptisée par les
génériques Aimée Anouk puis Anouk tout court. Certes, on peut penser en mineur à
La
Bête humaine (Jean Renoir, 1938) et Panique (Julien Duvivier,
1946), on suppose un épilogue à la Anna Karénine, mais L’Homme
qui regardait passer les trains (Harold French, 1952) se termine bien,
en tout cas pour le minuscule comptable hollandais, rescapé, alcoolisé, ruiné,
au magot dérobé, à la famille refoulée, parti s’encanailler au creux de la
capitale, traqué par un policier ne souhaitant pas le voir se transformer en
meurtrier, rester le simple témoin d’un suicide maquillé, d’un accident arrivé.
French le Britannique amincit le roman, change la fin du bouquin, substitue à
l’internement à proximité d’Amsterdam des retrouvailles entre mecs, la petite
salope parisienne obsédée par le pactole étranger plantée parmi les épaves. « Do
something decent for once in your life » conseillait le flic familier,
aguiché, qui pourrait se venger, l’assassiner à son tour. Ici, personne n’aime
la solitude, résume à raison Michèle Rozier, Fais pas ta rosière !
chuchote Chandler, surtout pas elle, plutôt portée sur les robes de soirée à
porter au cabaret de racolage, ensuite chez Maxim’s, quel hommage. La partie
d’échecs suspecte renverse la respectabilité affichée, sermonnée, fi de
solidarité, tandis que la banqueroute de trafic fait retour, qu’ailleurs, mon
pauvre cœur, l’herbe ne s’avère guère plus verte, à peine un peu plus tachée de
sueur, de sang, à défaut de sperme.
Dans The Man Who Watched Trains Go By,
le transparent, trop serein, trop confiant Popinga voit passer des trains, sa
vie, décide de partir, de séduire, de mourir. À l’ultime minute, précédé en travelling arrière, rails du cinéma
fusionnés avec ceux de la SNCF, il esquive la voie, tombe à côté, Lucas le
recueille, le soulève, presque en pietà. Le doué DP Otto Heller (Le
Voyeur, Michael Powell, 1960 ou Ipcress, danger immédiat, Sidney J.
Furie, 1965) éclaire en couleurs obscures le conte de moralité à base de
culpabilité partagée, « d’étrangeté » généralisée, de salut
inattendu. Jamais moralisateur ni touristique, misogyne ni pessimiste, le sage
métrage limité, appliqué, accompagné des notes ad hoc de Benjamin Frankel (La Nuit du loup-garou, Terence
Fisher, 1961), s’apprécie en portrait de poche d’une masculinité tourmentée,
moquée par d’insoupçonnables prostituées le long d’une allée, secondée par un
gardien de l’ordre faisant lui-même lit séparé d’avec sa moitié, sorte
d’assistante ébouriffée, réveillée, immaculée, remerciée, on se voit après, je
reviens pour le petit déjeuner. S’agirait-il, « en fin de compte »,
expression de saison, d’homosexualité cryptée, d’une fable éphémère à propos
des femmes fatalement fatales, accessoirement emmerdantes, à table, à
tricoter ? Davantage d’une démonstration modeste, assez séduisante, des
dangers du rêve éveillé, des velléités vaseuses de révolution individuelle, d’une
liberté très cher payée, propice à vous métamorphoser fissa en pitoyable
parvenu, en tueur pétri de peur, en passager de terminus, peut-être, probablement, exécuté hors-champ, la peine de
mort encore à la mode dans l’Hexagone au début des années cinquante, diantre. S’il
ne saurait rivaliser avec disons du Vincente Minnelli, sa songeuse mélancolie, tout
ceci n’incite pas à démoraliser, innervé par une discrète ironie made in Royaume-Uni, un hédonisme
expéditif, sens duel, d’accord, néanmoins préférable à la stase, aux remords.
Et remember qu’un certain Alfred
Hitchcock délirait idem sur les
itinéraires ferroviaires.
Quant à Märta Torén, je
l’orthographie cette fois-ci à la sauce suédoise, elle constitue à elle seule
une excellente raison supplémentaire de visionner l’ouvrage sachant la mettre à
son avantage, puisqu’elle parvient à composer une vraie garce, une garce véritable,
c’est-à-dire une créature sensuelle, vénéneuse, fallacieuse, tentatrice
d’église, entichée d’un garagiste fantoche, quand même capable de s’émouvoir
des mésaventures de sa proie, au moins une poignée de secondes, proche et
pourtant différenciée de ses consœurs US, beaucoup trop parfaites, peroxydées,
expressionnistes. Disparue à la trentaine, pour ainsi dire emportée à
l’improviste, l’actrice discrète apparut durant quinze ans dans une vingtaine
de titres, a priori anecdotiques, qu’importe, notamment signés par John Berry,
Douglas Sirk, Robert Parrish ou Carmine Gallone. Le spectateur curieux,
anglophone et anglophile, de The Man Who Watched Trains Go By
regarde au présent passer sa beauté, son talent, écoute outre-tombe sa voix
voilée, respire son parfum d’amours tarifées, consulte sa courte carrière de
fleur de Stockholm coupée en pleine forme. Ainsi transite la cinéphilie en
ligne, voyage immobile, à domicile, évocation ensoleillée de mortes
remarquables, à remarquer sur le rectangle du PC, ersatz réduit de la fenêtre
du compartiment, simulacre de moyen écran. D’un miroir à l’autre, point commun
narcissique, schizophrénique, entre les protagonistes en tandem funeste, du fantôme vers le fantasme, ceux du récit, de nos vies,
le reflet se rejoue, se joue de nous, et la Madeleine/Judy de Vertigo
(Alfred Hitchcock, 1958), ses esquisses lestées de malice, affranchies de
nécrophilie, persistent à fasciner afin d’égarer, de dévoyer histoire de
dessiller, dialectique cruelle, éternelle, convention à correction car comme localisée
en dehors des mœurs réelles, des modifications plurielles, sentimentales,
cinématographiques, par conséquent sociétales et mythologiques, politiques et
poétiques.
Excellent billet grâce auquel je découvre l'existence de ce film qui semble fort louable... comme un écho à un autre roman de Simenon, La fuite de Monsieur Monde :
RépondreSupprimer"A quarante-huit ans, secrètement déçu par son existence, Norbert Monde décide de tout quitter, sa femme Thérèse, ses enfants, son entreprise d'exportation. Délibérément il choisit une vie errante, marginale et pauvre, qui le conduit bientôt dans un médiocre hôtel marseillais.
C'est là qu'il rencontre Julie, une jeune femme malheureuse qu'il empêchera de se suicider. De la façon la plus imprévue, Monsieur Monde va retrouver le chemin qui mène vers les autres, et vers son ancienne existence... Aucun roman n'est plus typique de l'univers de Georges Simenon, de sa fascination pour les existences en apparence les plus ternes, pour les décors en demi-teinte, pour les marges de la société.
Aucun de ses personnages n'est aussi singulier et mystérieux que ce Monsieur Monde, personnage ordinaire qui découvrira au fond de lui les voies d'une seconde naissance et d'une " froide sérénité ".
Argument a priori un brin christique, voire œcuménique, ah, cette épouse prénommée Thérèse, comme chez Mauriac, tel le contraire de celui de L'Adversaire.
SupprimerEt puisque nous parlons de Carrère, après Pasolini :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/12/un-secret-magnifique.html
Joli samedi, gentille Jacqueline !