Tombe les filles et tais-toi
Trois destinations, trois générations, trois présentations…
Une langue partagée, même
différenciée, une mélancolie en commun, certes à nuancer : le Portugal et
le Brésil ainsi s’unissent, cohérence à distance, rencontre rapprochée,
concoctée par Carminho, fille de fadiste, artiste à succès, artiste libérée,
capable de crossover par générosité,
puisque privée de cynisme intéressé. Avec Carminho canta Tom Jobim,
l’auditeur reparcourt un répertoire remarquable, remarqué, ne nage pas dans la
nostalgie, sait le prix du présent, de l’instant. Accompagnée par les petits
gars de Banda Nova, à savoir Daniel & Paulo Jobim, petit-fils et fils
d’Antônio Carlos, Paulo Braga, Jacques Morelenbaum, formation créée l’année de
sa naissance, en 1984, qui escorta le maestro de Rio durant une décennie, Maria
do Carmo Carvalho Rebelo de Andrade invite pour de beaux duos Maria Bethânia,
Marisa Monte, Fernanda Montenegro, lectrice du poète Gonçalves Dias, ou Chico
Buarque. Carminho magnifie sans mauvais mélo les mots de Chico, Vinícius de
Moraes, Dolores Duran, Newton Mendoça, Ray Gilberto, célèbre sans artifices arty les noces stimulantes, évidentes,
de la bossa nova et du fado. Elle délivre donc un album à son image, élégant et vivant, sobre et serein, de
préférence à savourer en soirée, lumières baissées, nuit à proximité, afin de
saisir au mieux les enjeux d’un mélange modeste, majeur. Don’t Ever Go Away,
l’ultime titre, l’unique en anglais, jadis chanté par un certain Sinatra,
s’interprète en promesse faite à une interprète que l’on ne quittera pas, que
l’on incite à écouter, à une trentenaire désormais héritière très estimable
d’un patrimoine national et mondial valant bien une médiatique cathédrale
médiévale. Entre la madone de pierre et la dame de chair, nous n’hésitons
point, nous saluons cette Maria-là, pont supérieur entre tous les cœurs.
Presque inconnue au creux de
l’Hexagone, Alison Krauss chante et joue du violon depuis disons trente ans,
collabora avec Robert Plant & Yo-Yo Ma, Emmylou Harris & Dolly Parton,
Cyndi Lauper & Taylor Swift, figure sur les bandes-son du Prince
d’Égypte (Brenda Chapman, Steve Hickner, Simon Wells, 1998), O’Brother
(Joel Coen, 2003) ou Retour à Cold Mountain (Anthony
Minghella, 2004), n’oublions par Buffy contre les vampires à la TV.
Performeuse précoce, d’adolescence, puis adulte recouverte de récompenses, la
soprano participa au Grand Ole Opry âgée d’à peine vingt-et-un ans, se
produisit ensuite devant des présidents appelés George W. Bush, Bill Clinton,
Barack Obama et possède même une allée à son nom dans son Illinois natal. Entourée
des musiciens amicaux de Union Station, elle propose ici une sorte de précipité
sudiste à base de bluegrass, de country et de folk. Outre des compositions de Ron Block & Jerry Douglas,
guitaristes du groupe, les experts apprécieront, par ordre d’apparition, des opus de Robert Lee & Melanie Castleman, Del
McCoury, Sarah Siskind, David Rawlings & Gillian Welch, Woody Guthrie,
Sidney & Suzanne Cox, Donna Hugues, Alison Brown, John Scott Sherrill &
Mindy Smith. Mademoiselle Krauss, aux origines allemandes, comme son patronyme
l’indique, se « contente » de co-signer un seul titre mais nous
enchante constamment tout au long de ce voyage immobile, enregistré à Nashville,
sur un label spécialisé, bien sûr. Si le Pastures of Plenty de Guthrie, porté
par l’impeccable Dan Tyminski, représente une pièce de choix, tout le reste
mérite sa découverte, donne l’impression sensuelle, sensorielle, d’être exécuté
live, en vrai direct. Et la voix
douce d’Alison Krauss nous entraîne parmi une Amérique réellement sympathique,
populaire plutôt que folklorique, à la tristesse souriante, au petit prosélytisme
imprévu assez prenant.
Disque féministe ? Disque
féminin, mâtiné d’années 60 et d’années 80, de boucle bouclée, de grenade à
dégoupiller, bien goupillé par le tandem
Benjamin Lebeau & Ambroise Willaume, alias
SAGE, porté par la belle voix grave d’une chanteuse encore juvénile, déjà
valeureuse. Fille impossible de Nico & Françoise Hardy, fille du Sud
délocalisée à Paris, partie en tournée en Australie, récente « révélation
scénique » aux dérisoires Victoires de la musique, Clara Luciani
s’affranchit de La Femme, au parisianisme peu convaincant, du dispensable et
endeuillé Pleure Clara, pleure (2017), rédige en onze titres, tant pis
pour la perfection supposée, européenne, de la douzaine, une autobiographie
mélodique, ose une mise à nu émouvante, surtout sur l’explicite Drôle
d’époque, chanson qui en dit long sur les formes, au sens propre et au
sens figuré, d’une féminité formatée, pas seulement par/pour les hommes, n’en
déplaise au adeptes du manichéisme sexué. À l’exception de La Baie,
traduction-adaptation d’après Joseph Mount, le fondateur de Metronomy, Clara
Luciani écrit tous les textes, évacue les prétextes. La native de Martigues
parle d’amour monstrueux, mortel ou non, s’adresse à Eddy, beau parleur de lit,
fête les fleurs « parfaites », à la « beauté muette »,
dessine « un arbre, une forêt », pour que repose, à « l’ombre
des cyprès », un être aimé, gardons-nous des regrets, endormi du grand
sommeil fleuri, amitiés à Raymond Chandler, je te rejoindrai au terme de mes
heures. Les clips de la vocaliste-guitariste, cf. le duo en studio avec
Calogero, On se sait par cœur, démontrent son humour, s’ornent de son
sourire, nous promènent au Japon, la capturent en concert. Cette facette reste
discrète, alors que la coda aixoise, anatomique, entérine sa résilience
sentimentale.
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