Quasimodo : La Gitane
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de William
Dieterle.
Programmation opportuniste de
psychodrame médiatique, ce téléfilm friqué rassemble des gens de talent pour un
résultat frisant l’inexistant. Walter Plunkett aux costumes, Darrell Silvera
aux décors, Van Nest Polglase à la direction artistique, Joseph August à celle
de la photographie, William Hamilton & Robert Wise au montage, Alfred
Newman à la musique, Pandro S. Berman à la production + le magot de la
RKO : tout cet estimable-respectable aréopage ne parvient point à
transcender un opus pasteurisé,
inoffensif, révisionniste. Sonya Levien, la solide scénariste de Quo
Vadis (Mervyn LeRoy, 1951), autre adaptation davantage réussie de pavé
prosélyte, ici accompagnée du romancier allemand Bruno Frank, ne se contente
pas de remodeler la cathédrale hugolienne, jadis exécutée par un certain
Balzac, à laquelle on peut préférer son homologue proustienne, passons, de la
faire finir bien, Seigneur, sale manie américaine de régression rassurante, au
moins Jean Delannoy nous épargna cela (Notre-Dame de Paris, 1956), n’hésita
pas à trucider Gina Lollobrigida, elle essaie en sus, maladresse de contexte,
de transformer la fameuse Bohémienne, désormais naturelle, contrairement au changeling du bouquin, « Française
de souche » enlevée à sa maman par les voleurs étrangers, olé, voici un
gosse bossu à la place, apprécie, ma mie, en symbole d’époque, en victime
sémite. Contemporain du début de la Seconde Guerre mondiale, Quasimodo
(1939) retravaille ainsi le mélodrame médiéval, muséal, social, fatal, selon
une perspective presque féministe – tout le monde masculin semble obsédé par
l’envie de déflorer Esmeralda, un seul y parviendra, y succombera – et
ouvertement progressiste, mélasse à la sauce US, of course.
Le film macère par conséquent au
creux d’un humanisme mielleux, pléonasme, envasé d’aveuglée naïveté, comme si
l’imprimerie représentait la démocratie, comme si l’on ne pouvait publier par
exemple Mein Kampf, le François Truffaut de Fahrenheit
451 (1966) et le Gérard Oury de L’As des as (1982) s’en
souviendront, s’en amuseront. Totalement transparent, auteur d’une filmographie
conséquente, a priori dispensable,
politiquement correcte avant la lettre, Dieterle, à l’instar de « Totor »,
outre enrôler Jeanne d’Arc injustement jugée, nous refile la Belle jouvencelle
et sa Bête guère suspecte, certes esseulée, sonnez sa solitude, aussi
socialiste que Hugo, c’est-à-dire, en vérité, conservateur, royaliste,
défenseur du droit d’asile légitime, problématique, hier hollywoodien,
aujourd’hui européen. À côté d’un tel sentimentalisme content de soi-même,
bien-pensant, bien-filmant, Frank Capra, réutilisateur de chœur, cf. La
vie
est belle (1946), paraît un modèle de style, de cynisme lucide, et le
sucré Disney un expert en perversité. Heureusement, Quasimodo nuance son
manichéisme, permet d’immortaliser l’humanité misérable apportée à son
personnage d’outrage par le climatique Cedric Hardwicke, la délicatesse
défigurée dont se déguise l’irréprochable Charles Laughton, remarquez le tandem britannique, le talent ravissant
de la juvénile Maureen O’Hara, Irlandaise « découverte » par le
géniteur du magistral La Nuit du chasseur (1955). Sommet
de savoir-faire soigné, Quasimodo se résume à un « livre
d’image » étasunien en reflet du « livre de pierre » parisien,
se limite vite à une synthèse, un simulacre, une simplification de saison.
Jamais déplaisant, toujours inconsistant, il démontre les limites poétiques et
politiques d’une industrie cosmopolite, d’un système économique, à la fois
séduisants et abrutissants, peu portés sur le respect des livres traduits, trahis,
sur le respect des individualités, des personnalités, des sensibilités, en
dépit de son vernis de respectabilité, sa starification à la con.
Ici, le classicisme sert (la soupe
plombée) l’œcuménisme, le spectateur doit quitter la salle rasséréné, surtout
pas révolté. Au cinéma, muet, mythique, Lon Chaney (The Hunchback of Notre Dame,
Wallace Worsley, 1923) puis Boris Karloff (Frankenstein, James Whale, 1931) nous
bouleversaient, nous interrogent encore, La Fiancée de Frankenstein (Whale,
1935) d’ailleurs à lire, au moins en partie, en relecture du couple mal assorti
de Notre-Dame
de Paris. Au-delà du cinéma, revers de Universal, dans la « vraie
vie » impitoyable, lestée de ses propres horreurs impensables,
impardonnables, au bord du formulable, du représentable, les sœurs d’Esmeralda
décédèrent à Auschwitz, on le sait, on le supposait, mystère sinistre des
installations survolées. Sonya s’en doutait-elle ? Probablement pas, ne
lui faisons pas ce procès-là. Visionné en VF vintage, pas grave, demeure donc un album mineur, à l’expressionnisme mesuré, à la moralité médiocre, à
« l’anormalité » adoubée, survivante mais exclue de la Cité,
abandonnée en boucle bouclée de zoom arrière
tout en haut du ghetto aéré de son clocher, chaque chose à sa place, chaque
citoyen dans sa classe, tu ne connaîtras pas, tendre fada, les délices de
l’intimité de seconde main, Maureen se retourne, ressuscitée, emportée par
Edmond O’Brien, remarquable bigame du Bigamist (1953) d’Ida Lupino. Naguère
sincère aède des différences, devenu depuis l’affreux final d’un Alice
au pays des merveilles (2010) à vomir le VRP du capitalisme maritime
mondialisé, Tim Burton dut savourer la coda contradictoire, paraphe d’un
ouvrage en définitive réactionnaire sous ses allures de fresque
révolutionnaire.
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