Les Amants de demain : Nouvelle Vague


Chômeur « de couleur », murs malheureux…


L’ultime métrage de Marcel Blistène, soixante-dix-sept brèves minutes au compteur du lecteur en ligne, débute en POV de polar, sur la route, de nuit, autour de Paris, aux alentours de Noël, chants ad hoc sur l’autoradio de la Cadillac (le premier parle de « tache originelle »). L’ancien journaliste à Cinémonde et Pour vous retrouve Édith Piaf (sortie de Guitry à Versailles, de Renoir au French Cancan), treize ans après son liminaire Étoile sans lumière (1946). Le scénario de Pierre Brasseur se voit co-adapté par Jacques Sigurd, familier d’Yves Allégret ou Marcel Carné, mis en lumière (noir et blanc pertinent) par Marc Frossard (plusieurs Duvivier, deux ou trois Le Chanois, Les Enfants du paradis puis… Le Gendarme de Saint-Tropez), mis en musique par la compositrice de la « Môme », l’estimable Marguerite Monnot, interprété par une flopée de célébrités (Robert Castel, Robert Dalban, Armand Mestral, Raymond Souplex, pardon pour les dames que je connais moins). Le film fonctionne sur trois plans : mélodrame amoureux (crime passionnel commis par le mélomane Michel Auclair), autofiction doloriste (la chanteuse incarne une alcoolique, encaisse les reproches, subit les moqueries, se fait couper la mélopée par un marmot pas beau, tire, accède au martyre) et cartographie d’une France confite dans la province (comprendre la banlieue) de la culpabilité, du mauvais vin, des concierges, du racisme tranquille, de la solidarité surprenante, du fatum infatigable, même deux décennies après le courant tari du réalisme supposé poétique. Le spleen pluvieux des Amants de demain rime avec celui de Une si jolie petite plage (1949, dû à Sigurd/Allégret), ses rêves brisés, enlisés, résonnent avec leurs homologues de Maya (idem, cf. notre article laudateur du Bernard).

« À blanchir un nègre, on perd sa lessive » assène pour elle-même la vieille avinée, dicton (à la con) impossible à ressortir tel quel aujourd’hui (faut-il réellement s’en réjouir ? Pourquoi choisir entre les pénibles poivrots et les piètre partisans du politiquement correct ?). Dans la pension de famille et le bar-restaurant (au nom de cimetière), cela sent un peu Le Corbeau, un peu Dupont Lajoie, cela braille et se chamaille, cela respire la promiscuité (sexuelle, de petit coq mécano quadra), la médiocrité généralisée (même l’ado handicapé joue les mouchards). Blistène, contrairement à Claire Denis plus tard, curieusement atteinte de moralisme, ne filme pas des Salauds, il n’idéalise pas pour autant des héros. Avant que n’adviennent les amants du lendemain, sereins, côtoyons les démunis d’aujourd’hui, pauvres en noblesse, en intelligence, en vitalité, pauvres de nous, qui leur ressemblons malgré (en dépit de) notre dignité bien élevée de citoyen cultivé, éclairé, pas vrai ? Il existe bien sûr autant de pays que d’habitants, mais ce miroir en vaut un autre, où contempler la lignée de Vichy, où explorer la stase sociétale et cinématographique d’une nation déjà défaite en Indochine, bientôt blessée, des deux côtés (cf. Camus), en Algérie. Une poignée de films parviennent ainsi à cristalliser l’esprit du temps, son air (chanté) étouffant, à s’en faire l’écho, à le créer, y compris dans le cadre des conventions de saison : Le Quai des brumes, l’oiseau de Clouzot, PaniqueTouchez pas au grisbiLes Parapluies de Cherbourg et La Grande VadrouilleSérie noireSubwayLes Nuits fauvesLa Journée de la jupe. Précis, soigné, sarcastique, mélancolique, modeste et point manichéen, Les Amants de demain s’achève en plan-séquence par une descente d’escalier (vers l’échafaud du repos) tragique, lyrique, empruntée à Boulevard du crépuscule. La Nouvelle Vague s’apprête à entrer en scène, avec ses éclats de liberté, son embourgeoisement flagrant.

En 2017, Monsieur Emmanuel Macron rend visite aux Restos du cœur et La Loi du marché empeste le misérabilisme bien-pensant, récompensé par les friqués à Cannes – le peuple demeure à filmer, la vie, ici et ailleurs, reste à changer, l’amour, Rimbaud le savait, à réinventer. On s’y met, maintenant ?

             

Commentaires

  1. Le milieu du monde, Alain Tanner. : « Ce film a été tourné en 1974 en un temps de normalisation »
    https://www.youtube.com/watch?v=Fby1wU5T2Z0

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    Réponses
    1. https://www.youtube.com/watch?v=U3j1ScWNHgo
      https://www.youtube.com/watch?v=35_7er7Uf1s

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