La Cité des morts : The Witch


Sauvez la sorcière, miserait Michelet – perforez la jeune première, propose Moxey…


Sorti en 1960 avant Le Masque du démon, Le Village des damnés et Psychose (incontournable trinité), La Cité des morts partage avec ses parfaits contemporains des éléments évidents : la sorcellerie (à travers les âges, rajoute le sulfureux Benjamin Christensen), la communauté (maudite), la disparition (intempestive de l’héroïne). Comme Marion Crane, Nan Barlow roule vers sa mort et la trouve dans un motel (la version américaine, expurgée du prologue, s’intitule d’ailleurs Horror Hotel), plus précisément dans une auberge nommée en clin d’œil au corbeau de Poe (Raven’s Inn). Le (tout premier) film de John (Llewellyn) Moxey, monteur de formation, documentariste d’occasion (durant la Seconde Guerre mondiale), bientôt installé à la TV pour y diriger d’innombrables épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir, Le Saint, Mission impossible, Mannix, Hawaï police d’État, Kung Fu, Drôles de dames (le « pilote »), Magnum, Deux Flics à Miami et Arabesque, séduit d’abord par sa perspective peu politiquement correcte – oui, les sorcières existent, les sorciers aussi (Christopher Lee livre un « immortel » caméo en professeur d’université en effet « possédé » par son sujet), tant pis pour la psychanalyse appliquée à la sociologie, pour le féminisme énamouré de « domination masculine » (Patricia Jessel, assez impériale, incarne un succube à l’identité malicieusement et phonétiquement réversible, Elizabeth Selwyn/Mrs. Newless). Après une ouverture crescendo réussie, renversant Le Grand Inquisiteur (en couleurs, à la violence explicite) à venir, malédiction de saison sur le bûcher aux cadres étudiés, déséquilibrés, aux trognes recherchées, avec laquelle rimera la coda en cortège de combustions spontanées, via une croix salvatrice, purificatrice, tendue à bout de bras par un fiancé falot mais au final héroïque, amoché par un accident provoqué (transparence de l’enfumée), y compris un couteau dans le dos, on pense s’orienter vers un récit de libération, la fille juvénile quittant une zone d’influence à la fois sentimentale et fraternelle (le frérot Richard, en cartésien bon teint, ne jure que par la science et congédie la magie assimilée à l’hystérie, amen).



Au volant de sa voiture à la Christine, au milieu d’un brouillard à la Fog, la voici qui arrive dans le jovial village de Whitewood, Massachusetts, siège de la leçon d’histoire (un salut à Salem) liminaire (et universitaire, s’amuse le policier impuissant). La jeunesse des sixties, avant de swinguer (danse ou échangisme) à Londres, se préoccupe par conséquent de pouvoirs supposés occultes, surtout ceux du « deuxième sexe », et bouquine un traité de démonologie au lit, au son d’un jazz blanc (hello Ellroy) aux allures de chorégraphie pour zombies au coin du feu, malheureux. Dans la chambre, une trouvaille (freudienne, sonore) à la Evil Dead, trappe d’escalier rempli de toiles d’araignée conduisant aux catacombes immondes (et utérines, bien avant Inseminoid ou The Descent), où célébrer sur la virginité (à la « treizième heure », mon cœur), entre adeptes psalmodiant, une messe noire d’éventration (aimable raccord de lames sur un gâteau d’anniversaire immaculé, bon appétit les amis). Au bout d’une quinzaine de jours, les mâles se démènent enfin, en vain, partent à la poursuite d’une morte, épaulés par une antiquaire progéniture de révérend, diantre, de surcroît aveugle (au cinéma, notamment chez Lang & Powell, les non-voyants voient mieux que leurs camarades de jeu macabre à deux yeux, cf. M le maudit et Le Voyeur). Il s’avérera que Lee/Driscoll, accessoirement bourreau d’oiseaux, jouait itou les entremetteurs-pourvoyeurs d’étudiantes un peu trop savantes, curieuses (de tourisme désormais estampillé sombre), soucieuses d’aller sur place recueillir des informations à la source, de s’imprégner du génie (maléfique) des lieux. Tandis que Lila Crane & Sam Loomis découvraient in fine, dans la maison de Norman Bates, une momie maternelle, notre duo de survivants, in extremis réchappés d’un holocauste en replay, avise le visage brûlé de l’aubergiste sentant le soufre, d’abord dissimulé par un capuchon en reprise du générique…



Tout ceci dure 77 minutes (et pas 666), se base sur un scénario un brin lovecraftien (persistance de nuisances ancestrales, pourtant point de divinités indicibles ici) de Georges Baxt (Le Cirque des horreurs ou La Tour du diable, ce dernier abordé par votre angélique serviteur) retravaillé par Milton Subotsky (futur tandem avec Max J. Rosenberg en fondateurs de la firme Amicus, vraie-fausse rivale de la Hammer, mes sœurs), se voit superbement éclairé par l’inspiré DP Desmond Dickinson (le Hamlet de Laurence Olivier et La Tour du diable, bis), correctement accompagné par les compositions « religieuses » de Douglas Gamley. Prévu pour la petite lucarne (avec Boris Karloff), financé par une équipe de foot, tourné à Shepperton (accent américain de rigueur), tombé dans le domaine public, visible aujourd’hui en ligne (en VO, tant pis pour les cinéphiles rétifs à l’English, ils devraient pouvoir suivre quand même, apprécier une qualité d’image souvent excellente), The City of the Dead ne connut pas le succès, inspira Iron Maiden & Rob Zombie ; il mérite en outre, largement, sa redécouverte, sa résurrection, son appréciation (Sir Christopher le prisait à raison). Certes, nul ne confondra le métrage maîtrisé de Moxey, à la fois pauvre (en moyens) et riche (en évocation), avec le racé La Féline ou le redoutable Rendez-vous avec la peur (Tourneur en mode Lewton), le polanskien La Septième Victime (Mark Robson, monteur de Cat People et The Magnificent Ambersons), le cauchemardesque Carnival of Souls (Herk Harvey pour l’éternité). Bien sûr, Venetia (joli prénom, sexy corset) Stevenson (orthographié Stephenson), fille de son papa Robert (Jane Eyre avec Orson Welles, Mary Poppins avec Julie Andrews, Un amour de Coccinelle avec une Volkswagen, étonnante ou navrante évolution de carrière), ne saurait rivaliser avec Janet Leigh ni Lea Massari (autre fameuse disparue, tendance auteuriste, je renvoie vers L’avventura).



Et alors ? Le premier dispose d’assez de sincérité, la seconde, de candeur, pour nous faire croire à leur histoire dans la brièveté de sa durée. La Cité des morts charme par son climat (insidieux), par sa rigueur (formelle et narrative), par sa brume (pragmatique), par sa ville (entrevue), par sa nature d’art poétique, au double sens de l’expression. Avec rien ou presque, on peut créer l’inquiétude ; avec deux ou trois figurants en soutanes guère catholiques (en sus d’un auto-stoppeur de malheur, Valentine Dyall aux faux airs de Joseph Cotten, retrouvé ensuite dans La Maison du diable de Robert Wise), on peut susciter un sentiment de violence, de profanation (Ann Beach, muette Lottie, me fait penser à Emily Watson, la sainte sacrifiée, sinon SM, de Breaking the Waves). Film anglais (ce cinéma qui n’existait pas hors Hitchcock, ineptie de facho par saint François Truffaut), donc film de classes (aristocratie luciférienne contre populace lyncheuse ou bourgeoisie hédoniste), La Cité des morts émeut encore, envoûte par sa saveur de fatum, de folie bien vivante, bien insoupçonnable, à l’œuvre dans une société rationnelle, confortable, bienséante, inconsciente (avec opposition classique entre la ville des lumières, majuscule optionnelle, et la ruralité des ténèbres, des péchés, des atrocités autarciques). S’agit-il d’un grand film ? Non et néanmoins ne le regrettons pas, puisqu’il surclasse certaines gloires indues + la plupart des rebuts du « genre » et au-delà, tout ce cinéma pérenne puant l’épate, la paresse, la posture (l’imposture), le fric, le cynisme, le bruit et le vide. Laissez-vous prendre à l’enchantement troublant et « prophétique » (une pensée pour la réellement regrettée Sharon Tate, assassinée enceinte par les suppôts narcissiques du sinistre Manson) de ce modeste diamant (noir, en noir et blanc, évidemment), impossible à réduire à du drive-in décérébré ou à de l’horrifique cheap et anecdotique.



Sérieux, parfois audacieux, toujours attachant et surprenant, y compris au sein de son canevas conventionnel, The City of the Dead vous dépaysera, vous saisira, vous convaincra que des hommes et a fortiori des femmes peuvent commettre l’irréparable (disons sur une table d’autopsie troglodyte), au nom d’un démon ironiquement et explicitement absent. Le Diable, camarade, croyant ou athée, on le croise au quotidien, chaque fois que l’on se croise au miroir – moralité adulte, désenchantée, d’un opus fantastique et sarcastique, au happy ending doux-amer, au cadavre métonymique (d’une hantise scopique). Sous la bande excitante, classée en « série B » (quand en finira-t-on avec ces classifications à la con ?), s’ouvre ainsi un abîme naturel, universel, intemporel et actuel, depuis lequel le Malin serein s’attarde, nous regarde, nous attend, pétri d’une infinie patience d’ange déchu. Au fond (de la déréliction), ne cherche pas de quelle « nécropole » ils parlent : tu y naquis, tu y vis, tu y survis, tu y périras, voilà.

Commentaires

  1. Coucou,
    J’ai regardé le film et je trouve que celui-ci contient de bonnes scènes angoissantes ! Les décors gothiques sont plutôt pas mal ! Ce long-métrage m’a donné la chair de poule.

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    1. Bonsoir, au pays des merveilles ou pas ;
      Oui-da, une découverte évocatrice, à l'absence évidente de budget compensée par un climat létal, une économie (de moyens) appréciable dans sa capacité de radicalité. Il faut ainsi écumer les listes en ligne, afin d'y dégoter pareils diamants de ténèbres...

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