Doodlebug : L’Homme qui rétrécit


Aplatis-moi si tu peux, pourtant prends garde au regard dans ton dos, mon beau…


En 1997, Christopher Nolan, âgé de vingt-sept ans, diplômé de UCL casé dans le « film industriel », portraiture un type au bord de la rupture. En bon étudiant en littérature (anglaise), il se souvient de La Métamorphose de Kafka et de William Wilson d’Edgar Allan Poe. En bon cinéaste futur, il soigne ses cadres, son rythme, son argument inquiétant et marrant, au coup de théâtre doublé d’un coup de talon. Cerné par un noir et blanc de petit appartement, dû à ses soins d’artiste polyvalent (written, directed, shot, edited by Mister Nolan, précise le générique lapidaire), le mec en marcel, en sueur, possède une grâce de danseur, et il se débat avec lui-même, comme le « raseur » de Scorsese trente ans plus tôt (« Tout s’harmonise » affirme le Stephen King de 22/11/63). Chez Chris, ou son vrai-faux alter ego, pas de miroir méta, pas de rage martiale mais bel et bien une autre forme de guerre, largement avant l’enlisement de Dunkerque. En matière de mobilier domestique, on remarque un bureau, au niveau des accessoires, une pendule indique neuf heures quarante (du soir, sans doute, en dépit de la lumière derrière le store vénitien malsain). Le téléphone, la conne qui y jacte en écho, termineront leur participation à l’intérieur d’un bocal rempli d’eau, gag d’aliénation, de sécession, moyen de dire non à l’intrusion du monde extérieur, aussi aboli que selon Marty. Au sein du huis clos doté de cadrages au cordeau, le quidam tendu livre son combat pieds nus, à l’instar de Bruce Willis dans le premier Piège de cristal, dépouillement de primitivisme à la fois pratique (courir mieux, plus vite, se faire discret) et dramatique (la plante à nu représente une possible cible).

Que traque l’individu anonyme ? Ma foi, Nolan ne le montre pas, il introduit d’abord une sorte de chose rampante et rapide (peut-être la chauve-souris de Bruce Wayne), dissimulée sous un chiffon sombre. Sur la bande-son, le fidèle David Julyan, pas encore descendu parmi les cavités utérines de The Descent, compose un accompagnement planant, un brin anxiogène. Via Doodlebug – notez l’évocatrice polysémie du terme : fourmilion, griffonnage, bombe volante, véhicule réduit, baguette de sourcier, cinq significations valables, applicables à l’opuscule – le réalisateur British, pas vraiment riche, relit le mythe de David & Goliath, oppose un homoncule à un géant – lui-même (un seul acteur interprète le trio des the men). Le prédateur, on le précisait supra, finira par devenir sa proie au carré (ou au cube), coda ironique et drolatique pratiquant dès cet instant les emboîtements d’espace-temps et les mises en abyme malignes de Memento puis Inception. A contrario de ses ultérieurs travaux, légèrement atteints d’éléphantiasis cinématographique, en particulier la trilogie Batman, chevalier noir de polar psy foutrement surfait (une pensée pour la mémorable mort de son adversaire, « notre » Marion Cotillard, sommet d’hilarité involontaire et paraphe du vide de l’ensemble), ce (réellement) court métrage n’excède pas les trois minutes – la juste temporalité pour une plaisanterie métaphysique appréciable dans sa modestie jolie. 
    

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