La Planète des vampires : Le Cauchemar de Darwin


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Mario Bava.


Richesse de l’arte povera au cinéma : avec une maquette en plastique, un lexique ésotérique, des murs de faux métal, des costumes de motards, du brouillard, des éclairages verts, rouges, violets, des rochers en carton-pâte, des maquillages de barbaque, Bava réussit son space opera aux allures de cimetière sous acide. La Planète des vampires (Terrore nello spazio affirme l’intitulé original, moins précis, plus pascalien), surtout dans sa version restaurée, supervisée par le fiston Lamberto, présentée par un certain Nicolas Winding Refn, s’avère un survival sidéral assez sidérant, une guerre des espèces placée sous le signe du darwinisme, de la sélection naturelle interplanétaire. Pas de « monstres » ici, comme le dit l’indigène invisible, à peine matérialisé par des boules lumineuses, feux follets aussi colorés que les bulbes-moteurs des vaisseaux échoués, rien qu’un peuple en train d’agoniser car leur soleil se meurt, car les hôtes se font rares, malgré le signal émis depuis des années, peu à peu affaibli. Dépourvu de sadisme, le piège humanitaire, piquant la curiosité des visiteurs, vise à les réinventer en véhicules, en corps d’appoint, empruntés. Cela ne marcha pas avec les géants réduits à l’état de squelettes ? Recommençons maintenant, durant 85 minutes, décimons consciemment l’équipage dédoublé aux membres rendus cinglés par la schizophrénie intempestive. Bava, encore plus matérialiste dans le registre de la SF dépressive que celui de l’épouvante dite gothique, adresse une prière au « dieu de la matière » lors de funérailles à la Nosferatu (ralenti évocateur sur les non-morts ranimés sous une bâche à la Laura Palmer).



Il ne se soucie pas de transcendance et pas une seconde d’espérance – le spectateur sait, dès l’atterrissage, que nul ne reviendra vivant du voyage-tournage en studio, molto claustro. Cette structure basée sur la destruction, sur l’élimination méthodique, mécanique, de silhouettes en cuir, redoutant le pire, emportées par un ennemi ne cherchant que sa propre persistance, on les retrouvera ensuite dans d’autres titres, avec l’acmé de La Baie sanglante, similaire exercice de survie en milieu hostile, circulaire, clos à la manière d’un tombeau. Le métrage de Mario, cadré au cordeau, superbement éclairé, bien interprété (ah, ces improbables perruques féminines furieusement sixties !), ne se contente pas de relire L’Invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel, d’annoncer le Alien de Ridley Scott, de rimer avec les passagers exilés de Inseminoid (coda presque à l’identique), il retravaille en outre, pays de culture catholique oblige, disons, la figure fratricide d’Abel & Caïn, bibliques et liminaires assassins. Le commandant Mark devra tuer son frangin, avant de se faire vampiriser par l’entité (pas celle de L’Emprise, quoique). L’épilogue, ironique et tragique, repose sur une double révélation : non, il ne s’agissait pas de navigateurs terriens ; oui, les rescapés, contaminés, presque enlacés, projettent de débarquer sur la planète bleue, à l’écart des météorites transformant l’astronef en passoire. Auparavant, les humanoïdes voulaient se sacrifier pour le salut de leur « race », imposer leur « loi » de ce côté-là de l’univers, enterrer les cadavres en mode philosophique, voire fataliste (la mort fait partie de la vie, ne pleure pas, chérie). Qui, des deux camps, abrite le plus de morts-vivants ? Où commence l’humain, où finit le zombie ? Et l’identité se dissout-elle dans l’atmosphère funèbre de la diégèse, réside-t-elle au-delà de la chair, pure enveloppe interchangeable ?



Questions en vérité vertigineuses, que les images vaporeuses caressent avec une rigueur d’artiste mathématique plutôt qu’onirique, quand bien même La Planète des vampires s’apparente à un trip de terminus, à un cauchemar acidulé sans issue, sans possibilité de réveil (gare à ne pas t’endormir, sous peine de mourir, en continuant cependant à respirer). Accompagné par une armée de co-scénaristes et un compositeur parfait pour le film (Gino Marinuzzi, Jr. tresse une tapisserie électronique rétive au lyrisme, au bord de l’atonalité), Mario Bava paraphe la dimension funeste de l’exploration stellaire, portraiture avec cynisme la faillite de l’humanisme (aide ton prochain, crétin, il te remerciera via une lobotomie). Si la SF étasunienne des années 50 voyait rouge, irrigué par le contexte anti-communiste, celle de la décennie suivante, spécialement en Italie, prépare le terrain pour les hécatombes terroristes des années 70, transposées-métaphorisées dans les imageries du giallo et du poliziottesco. Il s’agirait de délivrer une œuvre de « contrebandier » (pour parler à la façon de Scorsese), de filmer à contre-courant de l’hédonisme consumériste de l’époque. En 1962 sortait Le Fanfaron de Dino Risi et les deux films, à trois ans d’écart, partagent le même pessimisme, bien qu’il s’exprime par des moyens différents, en couleurs, en noir et blanc, dans le jeu (sérieux) de massacre ou la mélancolie joviale. Jamais cheap, régressif, infantile, La Planète des vampires fait de la politique poétique, ou l’inverse, nous démontre que la découverte équivaut à la tombe, que l’étranger, désormais à demeure, à l’intérieur de notre nef de nerfs, d’organes, d’os, de sang, nous menace sciemment et vaillamment. Ceci le métamorphose-t-il en tract raciste ?



Bien sûr que non, et sa xénophobie, motif habituel du supposé genre, manifestation des craintes du bipède enclin à liquider ses compères pour des raisons de religions, de couleurs de peaux, d’idéaux pas beaux, le rattache à la paranoïa parasitaire du The Thing de Carpenter : tu ne peux plus faire confiance à personne, et a fortiori à toi-même. Dans ce Bava, la caméra se déplace en travellings panoramiques, utilise la profondeur de champ à bon escient, pour capturer des couloirs utérins, associe des niveaux de plans hétérogènes (tout « l’extérieur » autour du pied, de la porte du navire, métonymie dictée par l’économie) afin de créer un espace-temps d’enfermement, d’ériger une parabole de nécropole. Les marais méphitiques, infernaux, font penser aux catacombes hallucinées de Hercule contre les vampires ; les zooms, réduits au maximum, nous rapprochent et nous éloignent d’un visage, d’un geyser. La beauté de l’ensemble, son charme de débrouillardise transalpine, paupérisée, d’un cinéma qui compense son manque de monnaie par des idées, par de la tension, par de l’inspiration, tout concourt à hisser Terrore nello spazio largement au-dessus de son budget, de son argument, de son temps. Le film de Mario Bava possède ainsi une saveur méta, puisqu’il décrit un processus de ravissement, d’appropriation, d’inhumation en reflet de la praxis cinématographique. Il se conclut logiquement et symboliquement par un couple de spectateurs regardant des stock-shots de la Grosse Pomme, il nous renvoie à notre position inconfortable et délicieuse de consciences à coloniser, à envahir, durant une séance sépulcrale (notamment en salle) assimilable aux pompes funèbres. Contempler la (notre) mort, encore et encore, sur Terre ou à des années-lumière, le maestro Mario nous y invite avec son style magique, ludique, sarcastique, avec sa cruauté généralisée, congénitale.

Continuons pourtant la lutte (des classes, guère finale), continuons à croire au cinéma, à l’écrire, à le maudire, quitte à rêver en plein jour ou en soirée aux mille monstruosités de l’Histoire passée, récente, ou des horreurs indicibles, irreprésentables, de la protohistoire selon Lovecraft (contempteur de cosmopolitisme notoire). Dans l’espace, personne ne vous entend crier ? Dans le cyberespace, tout le monde (francophone) peut s’apercevoir du bien que je pense des braves abysses du caro Mario Bava. 

Commentaires

  1. Le film ne parle pas vraiment de vampires. C’est assez dommage ! L’histoire est centrée sur des créatures bizarres. La bande musicale est efficace et installe une ambiance angoissante. D’ailleurs, les effets spéciaux sont plutôt pas mal !

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    1. Il existe mille formes de vampirisme, à l'image de l'amour, lui-même une forme à la fois de ravissement et d'anéantissement ; le cinéma de Mario Bava toujours nous vampera...

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