Baron vampire : Propriété interdite
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Mario
Bava.
Cela commence comme une estivale
escapade touristique en Autriche, le pays d’Adolf Hitler, Michael Haneke et
Ulrich Seidl (le toponyme de l’intitulé italien situe à tort le récit en Bavière,
la patrie du roi fada et de sa Sissi/Romy), sur de l’easy listening sympathique
(soupçon de bossa) composé par Stelvio Cipriani (remplacé par Les Baxter dans
la version remontée distribuée aux USA par AIP ; notons itou un pastiche
de Bach sur un plan d’orgue, une pincée de rock
estampillé progressif). Un type aux pattes et brushing très seventies (Antonio
Cantafora, pas encore chez Fellini ni Skolimowski) prend l’avion, comme les
passagers putréfiés de l’ultime vol dans la coda de Lisa et le Diable, par
ailleurs préfiguration de Destination finale. Il rentre au
pays après ses (brillantes) études universitaires, il veut enquêter sur ses
ancêtres, notamment le fameux « baron sanguinaire » haï au présent par
la population, sinon la populace, aristocrate autocrate un peu porté sur la
pendaison, tel autrefois un certain voïvode roumain paraît-il épris d’empalement
d’Ottomans, vilain garnement (Bram Stoker imprimera sa légende guère fordienne
dans Dracula).
Le mec s’appelle Peter Kleist, il porte donc le nom de l’auteur de La
Marquise d’O chère à Rohmer. Sur place, au château familial fissa
transformé en attraction hôtelière pour étrangers argentés, il rencontre une
étudiante un brin âgée (Elke Sommer, trentenaire, porte des mini-jupes et une
perruque), spécialiste du passé (architectural), un professeur (son oncle) s’occupant
de PES (l’incontournable Massimo Girotti, alors issu du Médée de Pasolini) et sa progéniture
aussi rousse que les sorcières de naguère incinérées sur le bûcher machiste (on
reverra Nicoletta Elmi chez Lado, Paul Morrissey, Argento ou Bava junior).
Aussitôt arrivé, la gravure de mode facétieuse
ne trouve rien de mieux à accomplir qu’une petite invocation maison du cruel
aïeul, malédiction parcheminée à la main (« On dirait un dessin
hippie » s’exclame Elke/Eva en pointant le pentagramme original).
Évidemment, tout part vite en vrille, et le scénario se résume dès lors à un
catalogue de morts violentes mais pas « graphiques », surtout pour
l’époque dite libertaire, au cinéma et au-delà. Tandis que Linda Lovelace nous
révèle l’affolante profondeur de sa gorge, Mario Bava signe un film pudique et
(presque) anachronique, en compagnie du producteur Alfredo Leone, bientôt
boucher (ou plutôt épicier) de La Maison de l’exorcisme,
mésaventures de la Lisa supra
tripatouillées pour thésauriser sur le dos de L’Exorciste. Bien
conscient des changements de temps et de mœurs, il remet l’imagerie gothique,
en partie popularisée par ses soins (cf. Le Masque du démon) à sa place, au
musée (d’Europe de l’Est), annonçant le premier Hostel d’Eli Roth, son diptyque
de tortures tarifées à lire en état des lieux marxiste, marrant et métaphorisé
du capitalisme mondialisé, poussé à l’excès. Si La Baie sanglante (à sa
manière également une parabole sur la propriété, sur la rapacité, en outre une
relecture des comptabilités mortelles de Six femmes pour l’assassin et L’Île
de l'épouvante) trucidait une nichée de jeunots dans une promiscuité
propice à la bagatelle (et à des atrocités freudiennes, pensons au pal fatal
transperçant un couple au lit), ce qui pouvait le faire passer pour une œuvre à
la fois pédophobe et séminale (sillage du slasher,
de son mécanisme d’extermination absurde), Baron vampire frise la gérontophilie
et ressuscite un univers pour le moins inanimé. Les bourreaux, désormais,
depuis une trentaine d’années, on les dénombre en effet à Nuremberg (le titre
en VO, emphatique, explicite le contenu : Gli orrori del castello di
Norimberga), mais en tant qu’accusés de procès historique à propos de « banalité
du mal » et de chronologie de « catastrophe » (pas seulement
antisémite).
Comment, en 1972, penser une seule
seconde parvenir à effrayer quiconque, à part deux ou trois adolescents
indulgents, avec un huis clos d’outre-tombe, quand le monde réel déborde de
monstruosités avérées, en Italie terroriste, au Vietnam napalmé, en Californie
éventrée (Sharon Tate, no comment), au Texas traumatisant (Massacre
à la tronçonneuse sort en 1974) ? Bava, pas plus imbécile qu’un
autre, et certainement moins que beaucoup (de ses confrères, dans le « genre »
ou non), choisit la voie de l’humour social, de la dimension méta, de la
psychologie sexuée (pas sexuelle). Baron vampire, à l’instar de Amityville
(1979), peut ainsi se lire en drolatique mélodrame immobilier, en démonstration
d’une « horreur économique » à peine rimbaldienne (et de SM en mode Le Corps et le Fouet, olé). Joseph Cotten, qui
semble s’amuser à chacune de ses scènes, invalide en fauteuil in fine dressé sur ses deux pieds à la
Peter Sellers dans Docteur Folamour, défend ses biens, sa propriété, son
territoire, y compris durant une vente aux enchères, contre une tendance à
instrumentaliser la mémoire (des pierres, tombales ou pas) en « patrimoine »,
en capital mythique (la France, parc à thème culturel). Un distributeur de
Coca-Cola dans le décor vouté, expressionniste ? Vous n’y pensez
pas ! Seuls régneront le rouge du sang, le rouge du rang (de sang supposé bleu).
Von Kleist, noble à particule, ignoble à testicules, s’en va zigouiller tous
ces bons républicains voulant faire de son repaire un Disneyland réinventé par
Tim Burton. Homme sans visage, à l’autoportrait volontiers tailladé, le baron
porte les traits élégants et affables du comédien wellesien et hitchcockien,
morceau d’histoire cinéphile à lui tout seul, maintenant chômeur de panouilles transalpines
(la même année à l’affiche de L’Argent de la vieille de Comencini).
La vie imite l’art, confirme Wilde.
Bava (co-scénariste) ne se contente
pas de ça, de sa leçon d’économie appliquée, de la défense du pré carré
carrément raffiné (ah, ce cercueil muni de dents, objet charmant). Il rajoute
une réflexion sur la peur et les moyens de la provoquer, peu importe le dessein
véritable. Notre baron, maître de la lumière et du son, maître des marionnettes
proprettes, miroite le réalisateur, qui, le temps de sa première apparition
(invisible), rend hommage au Robert Wise de La Maison du diable
(escalier en colimaçon, pendaison express
et surtout tension sonore). Oui, mes amis, les cris (enregistrés) proviennent
dorénavant d’un haut-parleur, accompagnent la visite de la chambre des tortures
vintage, soulignent l’artifice de
l’ensemble. Baron vampire, divertissement plaisant
superbement éclairé, photographié, cadré ou recadré en zooms et panoramiques viscontiens (+ flous de liaison), représente
une sorte d’écrin malin et serein pour un imaginaire mis à nu, mis en bière. Ceci pourrait s’avérer mortifère ou nostalgique, ceci possède sa propre vitalité, en
sus d’adresser un clin d’œil à la veine brechtienne de l’auteur (revoyez
l’onirique La Femme qui en savait trop, pareillement débuté dans les airs,
ou l’épilogue ironique des Trois Visages de la peur, joyeuse
mise en abyme du processus filmique). Mario Bava croyait-il au
surnaturel ? Franchement, on se contrefout de le savoir, d’y croire à
notre tour, puisque Baron vampire ne se situe pas dans ce
champ-là, ne vise jamais vers l’épiphanie du fantastique, uniquement sa
formulation audiovisuelle sous la forme d’un jeu sérieux, d’un jeu du chat et
de la souris peuplé de brouillard bidouillé (à la Whitechapel), d’ombres denses,
de couleurs claires, de cris réussis (Elke Sommer hurle avec ferveur, même
doublée dans la langue de Dante par Vittoria Febbi).
On s’en souvient ou pas, La
Vierge de Nuremberg (1963) de Margheriti reposait sur un postulat davantage
déceptif, rabaissait l’inexplicable shakespearien (et poétique) à une vulgaire
machination financière (toujours rendre son épouse cinglée afin de mieux la
déposséder, de sa raison et de ses possessions) ; Bava conserve une part
de doute, n’occulte pas totalement l’occulte. Il le réintègre dans sa modernité
muséale via une féminité diffractée,
en trinité. L’étudiante, la voyante (et médium, intense et théâtrale Rada
Rassimov, aperçue chez Leone, Ferreri ou Argento), l’enfant : les trois
pointes du triangle (pubien) tracent un espace d’irrationalité
traditionnellement (et scolairement) opposé (même s’il dialogue avec elle) à la
raison masculine. Le professeur finit pas se laisser convaincre, Peter Kleist
avant lui, cependant tout se fonde sur un (mauvais) sort de succube (assassiné),
une sensibilité exacerbée de blonde et le sourire de sale gosse d’une gamine à
vélo et à pomme (dans Opération peur roulait un ballon repris
par Federico pour son adaptation de Poe, je le jure sur la tête décapitée de
Toby Dammit, allez vite voir ou revoir Histoires extraordinaires). Quelque
chose (se) passe entre elles, et ici réside le vrai mystère du film, qui, en
bonne orthodoxie sudiste, catholique, italienne, portraiture par procuration les
délicieux dangers du « deuxième sexe ». Elke, à Nuremberg et pourtant
pas si vierge, quoique, se trouve au milieu, entre les ères, entre les âges,
elle termine le voyage immobile (définition d’un film) au bord de l’hystérie,
prophétie de Marilyn Burns dans la camionnette de Hooper. La future victime de Lisa
et le Diable, escortée-soutenue par deux hommes amochés, avatar du père
et petit ami rapide, s’extraie enfin du mausolée médiéval, délestée de son
amulette salvatrice (la police, comme souvent, conjugue impuissance et
incrédulité).
Sur la tour, une silhouette apparaît
puis disparaît, sur la bande-son, la malédiction-répétition de la muse sombre
et ventriloque (son modèle vengeur surgit en salamandre dans un feu de
surimpression) se répand et promet un châtiment d’éternité au châtelain taquin,
finalement terrassé (voire démembré) par ses serfs modernes. La demeure
sadienne, rassurante dans son itération, consensuelle dans ses exécutions,
rétive au gore et au réalisme, se
referme d’elle-même, mimant la plaisanterie inaugurale du Fritz bientôt
licencié, pointé (par la paroi piquante, pas au Pôle emploi local). En réalité, le « musée
des horreurs » encore vivace dans les années 60 (en noir et blanc distant)
constituait une (délectable) antiquité dès son avènement, Le Masque du démon contemporain
de Psychose,
acte de naissance valable (bien que discutable) de la trivialité massacrante et
massacrée, état des lieux discret d’une crise économique (le pauvre Norman ne
croise plus grand monde dans son motel
à cause de l’autoroute) et psychanalytique (nos mères, d’amour et de
cimetière). Le monde (au vingtième siècle, pour les siècles des siècles, amen) devenu un film d’horreur (il
suffit d’un corps pour expérimenter la terreur, tu le sais parfaitement, cher lecteur
de malheur), le cinéma classé horrifique devra se mettre au documentaire, se
radicaliser, donner dans l’explicite et l’autarcique : Shock,
de Mario & Lamberto Bava (héritage familial d’une activité collaboratrice)
prendra acte des temps nouveaux, des nouvelles normes de réalisation et de (dé)figuration
– une autre histoire (enfantine, maternelle, incestueuse), à écrire peut-être
un autre jour, mon amour (de Miss
Sommer)...
Commentaires
Enregistrer un commentaire