L’Anglais : Blessures et Rires de John Hurt
Police de la pensée en Espagne dans le film-réalité de nos années.
Le fils du vicaire ne semble avoir
jamais connu la jeunesse – et cependant ce gamin-là, interdit par son père de
cinéma, dut la rencontrer, la conserver en lui tout au long de ces longues
années, qu’il honora, « acteur à louer », selon ses propres dires modestes,
de plus d’une centaine de films, sans compter ses nombreuses apparitions à la
TV ou le prêt (rémunéré) de sa voix pour des jeux vidéo. Soixante ans de
carrière permettent certes cela, avant qu’un cancer du pancréas ne vous emporte
en compagnie de notre Emmanuelle Riva. Sur la scène shakespearienne du monde,
chacun tire sa révérence, en fin, milieu ou début d’année, ouais. Hurt, se
foutant carrément des blessures classées narcissiques causées par son métier
d’exhibitionniste, joua souvent des seconds rôles bien plus intéressants que
les premiers, réussissant cet exploit d’acquérir la gloire et l’immortalité
provisoire de la cinéphilie via un
masque monstrueux (signé Christopher Tucker) arboré dans l’Angleterre
victorienne cauchemardée par David Lynch (et Mel Brooks) en 1980. Christ éléphantesque
déformé, raffiné, maltraité au-delà de la compréhension de ses exploiteurs ou
bienfaiteurs (pas si éloignés que cela les uns des autres), l’acteur parvint à
se réinventer, à se métamorphoser, à donner au spectateur l’impression de voir
son âme (métonymie du regard) derrière les prothèses de foire (de freak), prodige de tératologie humaine,
trop humaine, accompli ensuite par Jeff Goldblum mouché par Cronenberg (Brooks,
bis). Mais la trajectoire de John
Hurt, homme blessé par l’on ne sait quel drame intime, capable aussi de
rayonnants sourires enracinés dans une mélancolie très cinégénique, ne se
résume ni se réduit évidemment à ce rôle-acmé, paradoxe du comédien au carré,
pour ainsi dire (et lien avec la tragédie antique, quand les masques codifiés,
stylisés, antagonistes, vous mettaient à nu, protagoniste dialoguant avec le
destin nietzschéen dans un lyrisme collectif).
Alan Parker en prison (toilettes à la
turque, tant pis pour Mozart ou Moroder), Ridley Scott dans l’espace (personne
ne vous entend être éventré), Cimino au paradis (en enfer financier, plutôt),
Michael Caton-Jones (scandale sexuel britannique et diplomatique, oh my God), Jarmusch (dead man left alive only en noir et
blanc), Guillermo del Toro (les cornes coupées du Diable, à défaut de son
échine), Iain Softley (porte refermée des secrets), James McTeigue (anarchiste
londonien), Tom Tykwer (narrateur d’une histoire de parfum meurtrier), Lars von
Trier (caméra portée mélancolique, eschatologique) et Bong Joon-ho (train
presque transsibérien) surent lui offrir des habits (d’empereur ou de clochard)
portés avec un talent flagrant, une délicatesse et une justesse de chaque plan,
intonation, mouvement (comme une immobilité foudroyée). N’omettons pas des incursions
dans l’univers de Harry Potter, un Demy flûtiste, un Skolimovski sorcier, un
Bakshi relisant Tolkien (chaudron magique idem),
un Raoul Ruiz menteur, un van Sant entre filles, le contact de Zemeckis, les
singes de Laguionie, le capitaine de Madden, les boîtes de Jane Birkin, les
crimes oxfordiens de la Iglesia, le crâne de cristal de Spielberg (ou Indy) et
même un aria (Pagliacci à la sauce Virgin), un Hercule (Brett Ratner, peut
toujours mieux faire), un Tarzan (vraisemblablement navrant) et, Seigneur, un
vrai Christ pour l’ami Mel (Brooks, ter).
Cela fait beaucoup, peut-être un peu trop, car Hurt, transformiste éclectique,
tourna disons pour tous, européens, hollywoodiens, amateurs, auteurs. Dans ce
maquis tout sauf médiocre, les chercheurs confirmeront sans doute qu’un acteur
s’avère parfois supérieur à sa filmographie.
Et de tous les films de Sir John, je voudrais surtout retenir un
trio admirable, ironique, tragique (on y revient encore) et prophétique : The
Hit de Stephen Frears (tueur en sueur), Osterman week-end de Sam
Peckinpah (maître des marionnettes pour notre fin de siècle), 1984
(vaut mieux que le Brésil à la Gilliam de 1985). Des blessures, des impostures,
des rires sardoniques ou totalitaristes, un visage d’enfant vieilli, comme si
le gosse (solitaire, épris de faucon) de Loach se pressentait à nous finalement
grandi : il reste de nombreux avatars de Hurt à (re)découvrir, mais ces
trois-là, croyez-moi, resteront longtemps dans ma mémoire d’être humain, pas
d’animal – so long, John.
« Je suis ouvert à tous les genres cinématographiques, tout m’intéresse. Je suis essentiellement un acteur à louer. » John Hurt
RépondreSupprimerhttps://www.gettyimages.fr/detail/photo-d%27actualit%C3%A9/john-hurt-and-his-partner-marie-lise-volpeliere-photo-dactualit%C3%A9/888826472
Trois vies et une seule mort, de R. Ruiz.
https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/trois-vies-et-une-seule-mort-de-raul-ruiz-CNT000001eavVU.html
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/12/the-elephant-man-le-grand-sommeil.html
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=zSuk_KAuRWs
https://www.youtube.com/watch?v=u-F98knpuRQ