La Gifle
À la tablée bourgeoise, tabou du papotage à propos de politique et de
religion.
Pas celle, pourtant, de Lino Ventura, infligée à
sa fille de cinéma nommée Isabelle Adjani (Claude Pinoteau, 1974), non, plutôt celle
d’un jeune Breton, assénée assez mollement mardi, au sortir de la mairie, à un
ancien Premier ministre récent, en déplacement électoral à Lamballe. Alors en
compagnie du responsable des armées, l’intéressé, peu de temps avant (et
ailleurs) « enfariné » (sans gluten),
accessoirement adepte hargneux de la virilité constitutionnelle du 49.3 – vive
la République, vive la France, vive la démocratie ainsi réduite au silence –, l’esquiva,
ne tendit pas l’autre joue, porta plainte, obtint du gogo, plaqué fissa au sol
devant la caméra de campagne (l’aréopage de « visages pâles » dut probablement
réjouir celui qui, naguère, en réclamait davantage dans le champ à une brocante
d’Évry), un réclamé euro dit symbolique de « dommages et intérêts ».
De son côté, « l’agresseur régionaliste », au casier judiciaire vierge,
même s’il fit l’objet d’un « rappel à la loi pour usage de
stupéfiants » en 2014, décida, piégé par l’image, de plaider coupable selon
le cadre d’une « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité »,
puis accepta une peine de trois mois de prison avec sursis, assortie de cent
cinq heures de « travail d’intérêt général », condamnation aimablement
proposée par le parquet, suite à sa garde à vue du mercredi après-midi. Cinéphile
ou non, on ne peut qu’admirer l’extrême diligence de la justice dans cette
affaire, l’immédiate dignité d’un professionnel du serrage de pognes, la magnanimité
d’un naturalisé aimant à dispenser des leçons de « francité », de
laïcité, le « courage » (dixit
lui-même), d’un « auteur » préoccupé par le Pouvoir (2010) et L’Exigence
(2016), se permettant de déclarer à RTL en 2015 que « la France, ça n’est
pas Michel Houellebecq ».
La France de Manuel Valls, en vérité,
qu’il se la garde, qu’il finisse vite de convoiter un pays épuisé avec sa
clique d’adversaires supposée située à gauche, qu’il se fasse couper l’herbe
(le cannabis, possiblement à
légaliser) sous le pied comme un con, par exemple par l’inénarrable
« mutant » (sobriquet du romancier insoumis) Emmanuel Macron. L’individu
peut continuer à jouer les victimes autant qu’il lui plaira, à se gargariser
avec ses imprécations démocratiques ou « féministes » (hijab mon
amour), à condamner la « violence » d’un soufflet pas vraiment volé,
finalement foutrement inoffensif, anecdote pour cour de récré ou épisode
drolatique dans la longue perte du respect envers des instances désormais
irrespectueuses et irrespectables, mélasse méprisable de minables puissants et
méprisants. La vraie violence, il ne la connaît assurément pas, il ne
l’affrontera nullement, incapable de se lever tôt le matin pour aller gagner un
pain amer, apparemment peu préoccupé par les faillites publiques et
personnelles quotidiennes, le chômage « structurel » (malgré les
embellies des statistiques versatiles, catins à maquiller suivant sa volonté
démagogique, peu importe le parti politique au sommet étatiste), la
désespérance et le manque de confiance (en elle-même, dans les capacités de
décision, de direction, de modification de la Cité) d’une large part de la
population paupérisée, précarisée. En visite autrefois à Marseille, il
entendait mater les « caïds de cité », avatar aseptisé, délocalisé,
du « Nous allons terroriser les terroristes » de feu Charles Pasqua, barbouze
hélas corse du SAC, jadis déguisé en impitoyable ministre de l’Intérieur. Le
terrorisme, aujourd’hui et ici, se porte très bien, à l’instar d’une
criminalité médiatisée jusqu’à l’étranger, notamment en Chine.
Au cinéma, on gifle rarement
« pour de vrai », à part si l’on s’appelle Gérard Depardieu, dirigé
par Maurice Pialat dans le commissariat de Police (1985), la pauvre Sophie
Marceau, improbable « beurette » suspecte, parfois « tête à
claques » nationale, s’en souvient sûrement. Dans la « vraie
vie », ce cauchemar journalier, les coups (de poing, pied, couteau) au
visage, au ventre, à l’esprit, au cœur, ne se comptent plus, reconfigurent le
réel et défigurent l’horizon. Mille et une atrocités, médiatisées ou pas,
évidentes, secrètes, spectaculairement ou insidieusement abjectes, nous
contraignent à courber le cou, à nous écraser, à ramper devant l’employeur, le
supérieur, le mari (la mariée), le maire, le président titillé par la normalité
(de Julie Gayet ?), le requin de la télé-réalité étasunienne devenu, surprise, roi de
la jungle globalisée. Partout règne
l’horreur, flanquée par la laideur, l’imbécillité, le cynisme, l’hypocrisie, la
bien-pensance, la paresse, l’absence d’imagination créatrice et active, dans
les films et surtout au-delà. Giù la testa, sucker ! nous
avertissait Sergio Leone, la dynamite filmique faisant sauter les ultimes
illusions de ses Sancho Panza et Don Quichotte un chouïa homos (Il
était une fois la révolution, 1971). Baisser la tête (et perdre la face,
à la Georges Franju) ou donner un Coup de tête (Jean-Jacques Annaud,
1979) aux élus indignes, aux fringants représentants, aux usurpateurs emplis
d’immunité, à tous ceux qui passent leur journée à pérorer, à se déplacer, à
légiférer, à cadrer le film-réalité de notre agonie ? Que les héritiers de
Vichy se gardent d’aller aussitôt nous dénoncer auprès des cybers gendarmes,
que les « grenouilles de bénitier » numériques, VRP de l’humanisme,
de l’humanitaire, de l’humanité, rempochent leur missel de morale, de solidarité,
de déontologie d’écriture.
N’appelons pas au meurtre, n’incitons
pas à la haine (citoyenne), mais refusons de pleurer, de nous indigner, de nous
esclaffer face à ce sketch d’amateurs
(ah, François Bayrou, via sa brève
beigne au voleur en fleur, méritait presque un César, cérémonie incestueuse bientôt
présidée par Roman Polanski ou pire), à l’enregistrement audiovisuel d’un petit
taquet dont l’écho largement disproportionné se voit annihilé par la suave
sauvagerie de nos vies (le pronom possessif ne se veut point œcuménique,
unanimiste au double sens, il désigne une vaste entité planétaire, de laquelle
bien évidemment retrancher la poignée de privilégiés, de dirigeants dirigistes
et dirigés, placée à mille coudées au-dessus du quidam du drame). Jamais « symbolique », toujours
ressentie au sein de chacune des fibres de l’être, de la moindre circonvolution
cérébrale, la violence réelle et plurielle ne saurait se comparer avec cela,
s’assimiler à ceci. Les censeurs, souvent au prétexte de protéger une jeunesse
déjà bien informée des anatomies féminines « défoncées » en ligne,
confondent volontiers, sinon volontairement, la brutalité concrète et sa
représentation normée, transposée, « sublimée » par une esthétique enfin
guérie du freudisme. En 1972, durant Guet-apens (signé Sam Peckinpah,
l’un des cinéastes préférés de Pauline Kael, cf. sa critique apologétique des Chiens
de paille, jugé fasciste, of
course), Steve McQueen file une sacrée tarte à Ali McGraw, couple à l’écran
et en dehors. Cet « amour vache », à la « main leste »,
l’électorat hexagonal (absorbons les « abstentionnistes ») le
ressent-il pour ses politiques ? Frapper autrui, tels les protagonistes de
Faces
(John Cassavetes, 1968), équivaudrait à lui conférer une existence, à enfin dialoguer,
de façon disons physique ?
Histoire de la (nous) réveiller,
allons baffer, peut-être simplement en pensée, ceux qui bafouent la res publica,
c’est-à-dire, crois-le ou pas, toi et moi.
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