Prince des ténèbres : Antichrist
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de John
Carpenter.
A priori inspiré par un mauvais rêve de la
regrettée Debra Hill, naguère partenaire personnelle et professionnelle du
réalisateur, ici aussi portraiturée suivant votre serviteur ; en partie
porté par Lisa Blount, actrice douée, productrice de court oscarisé, décédée à
la cinquantaine dans des circonstances indéterminées, Prince des ténèbres (1987)
se situe ainsi sous le signe d’une Eurydice disons dédoublée, elle-même au
récit a fortiori reflétée, puisque deux femmes franchissent en sacrifice la
surface de la glace, plongent en paire parmi l’antimatière. Le huis clos
eschatologique carbure à la physique quantique et manie le mythe, antique ou
christique. Carpenter installe une stase, conduit au climax, achève via une
ouverture. Prince des ténèbres se préoccupe donc de communication, de
contamination, d’incarnation, de « substance » et de « malveolence »,
dixit le curé culpabilisé à occulte
clergé, comme la clique de Vampires (1998), au cours d’un
discours mis en scène telle la Cène. En ceci, il poursuit le sillage d’outrage
ou d’hommage de The Thing (1982) et Starman (1984). Quant à la
présence/absence de l’Adversaire de Dieu vert et vénéneux, elle annonce celle,
humaine, trop humaine, guère nietzschéenne, des Aventures d’un homme invisible
(1992). Notre cinéaste du vide en widescreen,
d’une hantise à la fois anamorphique et protéiforme, se confronte à la
(dé/pré)figuration, se soucie d’une « émission » aux limites de la
moralisation, imposée à répétition, paraît répondre à Vidéodrome (Cronenberg, 1983), autre quête suspecte, spéculaire et spectaculaire. L’avertissement vient du
futur, Catherine bras en croix devient Cassandre, voire l’inverse, la crypte ecclésiastique
et fatidique dispose de projecteurs, n’accueille aucune caméra, l’objectif de
cinéma suffira, le film toujours au présent, davantage encore lorsqu’il évoque et
traduit un protohistorique passé, affirmant le déroulement inclément d’une
prophétie impie, au nom du (démon) père et du fils remplis à ras bord de malice
éjaculatrice, escortée à l’extérieur par de sinistres prémices cosmiques et les
suppôts mutiques d’un siège à la Assaut (1976) en sus économique, ces
SDF-ci, conduits par l’évocateur Alice Cooper, au passage à manager co-producteur, en présage perplexe de ceux de Invasion
Los
Angeles (1988).
L’équipe cosmopolite, team très américaine, étudiants adultes
piégés en plein tumulte, doit décoder un signal infernal, tandis que le Nada de
l’opus supra le coupera, idem de
se suicider décidera, altruisme mâtiné d’individualisme à la sauce US,
dessillement en direct des masses manipulées, exploitées, à l’insu de leur
plein gré. Marx conseillait la hache communiste contre les célèbres « eaux
glacées du calcul égoïste » ; Donald Pleasence se saisit de la sienne,
en effet providentielle, massacre sans merci le miroir mouroir, tant pis pour
sa prisonnière en suspens superbe et poignant. Mais Brian survit et s’éveille,
« dream within a dream » à la Poe, à la Fog (1980) et en Orphée
onirique, peut-être déjà possédé, en tout cas contusionné, se dirige en
direction de l’identité troublante et troublée de son image mirage, tend sa
main gauche, côté connoté, on le sait, surtout si gaucher, reprise du geste similaire
précédent, qu’accomplit une Kelly méconnaissable car écorchée, plus ne
s’appartenant, vers le verre doux-amer, presque caresse funeste. Derrière
demeurent le mystère d’une âme amoureuse, audacieuse et dans sa nuit infinie l’énigme
d’une entité sur le point d’enfin se manifester. Film féminin, Prince
des ténèbres de Orphée (Cocteau, 1950), La
Jetée
(Marker, 1962), La Maison du diable (Wise, 1963), Shock Corridor (Fuller, 1963), 2001,
l’Odyssée de l’espace (Kubrick, 1968), Lisa
et
le Diable (Bava, 1973) et La Sentinelle des maudits (Winner, 1977)
se souvient, réveille le « dormeur » messianique de Dune,
le roman de Herbert ou l’adaptation de Lynch (1984) et revisite les divinités « indicibles »
et revanchardes de Lovecraft, associe l’anachronisme des « équations
différentielles » à la damnation drolatique de Tom & Jerry.
Cadré au cordeau, assorti d’une
sombre tapisserie sonore tissée en tandem
par Carpenter & Howarth, il bénéficie en sus du beau boulot du dirlo photo Gary
Kibbe et du chef déco Daniel Lomino, d’un casting
choral impeccable. Muni d’une dimension méta, cf. le magasin spécialisé à
proximité du lieu des sourdes hostilités, le patronyme de la paroisse, Saint
Godard, je me marre, il fait en résumé du Diable une femme, non par misogynie,
le reste de la filmographie fourmille de filles fortes, en particulier La
Nuit des masques (1978), Fog, Ghosts of Mars (2001) ou The
Ward
(2011), plutôt par mélancolie, romantisme de l’inaccessible, mains tendues de
la fin et des débuts en correspondance avec Michel-Ange, mon mauvais ange, a contrario
de l’aristo L’Antéchrist (De Martino, 1974) et de sa réceptrice punie de ses vices, zeste d’inceste, selon une possession de saison. Doté d’un
générique dilaté à la Leone (Il était une fois dans l’Ouest,
1968), incluant un coffret à clef en écho à La Barbe bleue,
un bestiaire d’expert, « chat de Schrödinger », ou d’enfer, pigeon crucifié, grouillement à la Amityville : La Maison du diable (Rosenberg, 1979), son
assassinat de sceptique exécuté illico
en mode giallo et molto Argento (Suspiria, 1977 ou Phenomena,
1985), avec un « I Live! » en série, à la Shining (Kubrick, 1982),
à la They
Live
(aka Invasion Los
Angeles),
son action au steadicam, ses miroirs
à traverser, paroi à percer, placard assailli au faux airs de confessionnal,
accouchement inversé, intériorisé, femmes fréquentables ou effroyables, son émouvante
déclaration à contretemps, dis-moi que tu m’aimes, voilà l’important, ses
décapitations pas à la con, Prince des ténèbres affiche une foi
constante et captivante dans les puissances immanentes et transcendantes du
cinéma, sa capacité à sonder, à donner à ressentir, soupir de plaisir près du
pire, beauté attristée d’une face fracassée, le solidaire et l’imaginaire, l’avers
et l’envers, l’instant et le néant, les fantasmes et les fantômes, mécanique
magique de pratique quantique, lucide et ludique, sincère et cynique, à l’instar
de Snake Plissken (New York
1997,
1981 + Los Angeles 2013, 1996), oui ou non sise sous le
sceau du fier Lucifer, par Planck et consorts relooké, olé.
À l’image du métrage drolatique et mélodramatique, au happy ending ambigu, indeed réversible, Carpenter encaissa un échec critique et public, espérons-le apaisé par sa scripte Sandy King, épousée trois années après, démenti de la nervalienne « vraie vie » adressé à l’amour évidemment maudit de la matricielle mythologie…
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