Kanał : Underground

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Andrzej Wajda.

Il y a dans l’être

quelque chose de particulièrement tentant pour l’homme

et ce quelque chose est justement

LE CACA.

Antonin Artaud, Pour en finir avec le jugement de dieu

Ah but remember that the city is a funny place

Something like a circus or a sewer

Lou Reed, Coney Island Baby

L’œuvre s’ouvre via un travelling invraisemblable et virtuose, rien du reste ne démentira cette maestria du mouvement et du maniement de la caméra, scène d’introduction et dite d’exposition qui programme et formule en voix off un déterminisme tout sauf magnanime, de « tragédie » indeed nazie. Dans un film « horrifique », surtout tendance slasher, ma sœur, ça succombe en série ; dans un film « pornographique », ça baise en sus aussi ; dans ce « film de guerre » durant la moitié de sa durée déroulé sous terre, ça s’épuise, ça agonise, au creux d’un huis clos de tunnels-tombeaux non dénués d’un sens de l’ironie sans merci assez polonais, allez, cf. les fausses évasions à profusion, vestibule Vistule, hécatombe hilare, exécution conclusion. À sa manière mortifère, austère, singulière, Kanał (1957) dialogue à distance avec Le Troisième Homme (Reed, 1949), Les Égouts du paradis (Giovanni, 1979), C.H.U.D. (Cheek, 1984) et The Descent (Marshall, 2005), car Ariane au prénom un brin faustien, au sein d’un dédale très utérin, « Marguerite » tel un ange de résistance, double sens, fleur de valeur poussée sur le pavé puis sur le fumier d’une Varsovie asservie. On entend du Dante (idoine), on aperçoit une pietà (de soldat), en avance sur Michel-Ange (Kontchalovski, 2019). On y (res)sent énormément les excréments, l’opus en illustration de l’illustre expression « être dans la merde », au propre, au figuré, n’en déplaise à Barthes Roland se désolant des mots inodores, dommage pour Sade, mon trésor. Puisqu’il congédie le moindre suspense, tous et toutes vont périr, voici leur mémorable martyre, Kanał carbure à l’usure, à la déconfiture, à l’extermination d’une « insurrection » de saison, requiem musiqué par une bande-son délestée de délicatesse, par quelques notes d’un ocarina sympa, de « rat » cinglé, presque à Nicholson (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Forman, 1975) piqué, auparavant par Chopin et fissa La cumparsita, solo de piano en présage express d’un certain Pianiste (2002) du compatriote Polanski.


En surface, en reflet, le désir persiste, un sosie du spécialiste classé X Peter North (Tadeusz Janczar) s’y colle, sa bouche ne décolle de la peau de la pseudo-Béatrice dantesque précitée qu’elle affole – hélas le bombardement résonne, le plafond déconne, il faut illico filer s’enterrer « pour de faux », « pour de vrai ». Même en mono, en postsynchro, en studio, l’item se démène, nous emmène, nous malmène, au moyen de son réalisme mâtiné d’expressionnisme. Documenté, à succès, d’accord d’abord à l’étranger, à Cannes récompensé, désormais restauré, Kanał demeure donc un mélodrame démuni de larmes, un ouvrage vivant et d’antan, décidé à céder à autrui la « brosse à reluire » de l’héroïsme nationaliste, y compris à proximité de l’appétit communiste. Une jeunette allongée, amputée, pratique la litote. Une virginale et svelte « estafette » passe la nuit au lit, en masculine compagnie, tant mieux, tant pis. Le musicien au téléphone n’entend plus rien, ni sa femme, ni sa fille, ligne indocile, existences exilées. Une amoureuse malheureuse, flanquée d’un (mari) infidèle, se fout en l’air au milieu de l’air délétère. Tout ceci se dissout parmi l’absence, la pestilence, l’errance, la malchance. La capitale de la Pologne, vue d’en haut, en avion, en hélico, ressemble, en ruines, à celle de la Germanie, déjà décrépite et dépeinte par le lucide Rossellini (Allemagne année zéro, 1948). Le joujou relou bien nommé « Goliath » écrase les David d’occase, gare les gars à la troisième grenade. In fine, l’officier enfiévré, esseulé, redescend aux abysses, au domaine d’Hadès, à l’obscurité désespérée, meurtrier emmuré, par un pragmatique mensonge enragé. Ainsi s’apprécie et se revisite en soirée le choral et radical Kanał, odyssée de damnés immortalisés avec (leur) (in)humanité par un artiste trentenaire prometteur plutôt que vainqueur, mon cœur. « Porcherie » de Hitchcock (L’Ombre d’un doute, 1943) & Pasolini (Porcile, 1969) ou cloaque de Reed & King (Ça), « l’ordure » pascalienne, dehors, dedans, produit du présent puant, mon enfant…

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