Michel-Ange : Le Pic de Dante

 

Chapelle à la truelle ? Façade affable… 

Décevant et cependant séduisant, Michel-Ange (Kontchalovski, 2019) évacue donc la question de la création, se concentre sur le contexte. « Ça vient tout seul » explique l’artiste laconique, n’en déplaise aux adeptes de la genèse. La statue du pape au genou joli, poli, se voit ainsi expédiée, achevée via une ellipse ensuite reprise durant le déplacement du « monstre » en marbre, un temps retenu, au plan suivant à moitié descendu. Ceci s’assortit de deux ralentis, un sur la paume d’extase et d’agonie d’une femme « foutue », c’est-à-dire baisée à la Baudelaire, sur le visage de diable davantage que d’ange de l’anti-héros à la noce, en train d’assister à des noces. S’il décrit les délices et les douleurs d’un créateur à la Andreï Roublev (Tarkovski, 1969, co-écrit en tandem par le doublé d’Andreï), coda en clin d’œil des œuvres dévoilées, inversées, à la couleur le noir et blanc substitué ; s’il humanise un mythe presque à la Pialat (Van Gogh, 1991) ; s’il accompagne un exploit risqué, insensé, bien calculé, mal exécuté, le forgeron félon en fait fissa les frais, à réjouir le rugueux Herzog (Fitzcarraldo, 1982), Michel-Ange évoque aussi Le Nom de la rose (Annaud, 1996), en omet néanmoins la fameuse scène (hétéro)sexuelle, le peintre et sculpteur plumé par sa famille plutôt attiré par les hommes, on le sait, le cinéaste peu coutumier des ébats exposés, simulés, malgré la scène assez superbe d’onanisme féminin sise au sein des Nuits blanches du facteur (2014), (re)lisez-moi ou pas. Avec ses quatre villes valeureuses et viles, Florence, Rome, Vatican inclus, Carrare et Urbino, leur saleté, leur trivialité, leur solidarité, en reflet de celles de leurs habitants, avec ses puissants aux pieds pourrissants, gangrenés à la Goya, ses popes ad hoc à la Bacon, son antagonisme de clanisme, les Della Rovere versus les Médicis, avec ses apprentis propices à susciter l’estime, à provoquer la paranoïa, tu voulais m’empoisonner, toi ?, ce Michel-Ange-là revisite la Renaissance, la replonge dans la fange, adoube les Borgia, carbure aux excrétions du corps, excréments et crachats en veux-tu en voilà.

Point de complaisance puisque dialogue à distance, dialectique du contraste, entre l’idéalisme et le capitalisme, les chairs malsaines et les chers mécènes, la multitude et la finitude. Au bout de son parcours commencé à pied, à ressasser, à insulter, à saluer la fielleuse Firenze, rêve éveillé ou cruauté de couple avérée, merci au possible « assassin syrien », vive la vengeance de créance, Michel-Ange se retrouve esseulé, assis au côté de l’admiré Dante, dont il sait par cœur du fameux Enfer l’admirable malheur. De la langue vulgaire revendiquée, magnifiée, à la vulgarité d’une période remplie de compromis, d’opportunisme, de « pression », Inquisition à la con et contrats croisés, simultanés, impossibles à honorer, à compléter, même à se dépouiller en richissime mendiant, perché sur son échafaudage, par conséquent de perspective privé, au propre et au figuré, le vrai-faux biopic pose une problématique poétique et politique : comment (sur)vivre de manière morale au milieu de démons, ceux d’autrui, les siens a fortiori ? En damné à la Dostoïevski, en coupable de pureté épris, d’où le sous-titre explicite, Il pecatto, Dio mio, notre démiurge très tourmenté, hallucinant, halluciné, résume in extremis, à l’adresse de Dante, du spectateur, le drame « divin » de sa vie, du mélodrame historique l’argument guère rassis : il cherchait Dieu, ne dénicha que « l’Homme », ses opus n’incitent à la piété, invitent à s’astiquer, jeu de main, jeu de vénéré vilain. Co-produit par la Russie et l’Italie, co-écrit par l’Elena Kiseleva des Nuits supra, cadré au cordeau, Stanley Kubrick, sors de ton tombeau, filmé au format « carré », parsemé de rarissimes panoramiques et travellings, interprété par une troupe irréprochable, longuement documenté, muni de méticulosité, Michel-Ange impose une picturalité jamais académique, car animée par les émotions et les tensions d’une âme émouvante, en mouvement.

Dans ce récit réaliste d’arrogance, d’hubris, de rivalités, de lucidités, l’éclectique et cosmopolite Kontchalovski filme une Maria aux airs de madone endormie, filme sa femme déguisée en « dame à l’hermine », filme une autobiographie fantasmée, au formalisme critique qui plut pourtant au magnanime Poutine. Quelque part au croisement d’insanité, de sincérité, de pourrissement, d’émerveillement, de Obsession (De Palma, 1976) et du Syndrome de Stendhal (Argento, 1996), Il pecatto reprend suivant son style suave et austère la folie fraternelle de la femme flic traumatisée, homicide, la  morale douce-amère de la restauratrice d’église, elle-même trompeuse, incestueuse, malheureuse et in fine, à 360 degrés, radieuse : la beauté se doit d’être regardée, sauvegardée, quitte à y risquer sa raison, épuiser ses saisons, peu concerné par le renom, tout passionné de perfection.  

Commentaires

  1. Mazeppa extrait https://www.youtube.com/watch?v=5jXkDoZgFKM&list=PLZGX5qaof0d3_h02nqFYF9ppCelSRuytr
    EMIL VON SAUER - Liszt "MAZEPPA" (1925) Transcendental Etude no.4 (piano roll)
    https://www.youtube.com/watch?v=qHjU0aj7J_k
    "PIETÀ" - Méditation (Parties 1 et 2 sur 3)
    https://www.youtube.com/watch?v=DRhp-k_qe4w&t=4s

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=cBP1mkyunKY
      https://www.youtube.com/watch?v=ojNIzmwIIW0
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/02/horse-girl-elle-sappelait-sarah.html
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/05/pieta-lady-vengeance.html

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    2. L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête. Blaise Pascal
      Conchita Wurst - Heroes. https://www.youtube.com/watch?v=KvxvMcGa1uA

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    3. https://www.youtube.com/watch?v=lXgkuM2NhYI
      https://www.youtube.com/watch?v=oOecJyh1eBM

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    4. Et ceci c'est pas du cinéma, quoique
      « pour la guerre hors limites, la distinction entre champ de bataille et non-champ de bataille n’existe pas. Les espaces naturels que sont la terre, la mer, l’air et l’espace sont des champs de bataille ; les espaces sociaux que sont les domaines militaire, politique, économique, culturel et psychologique sont des champs de bataille ; et l’espace technique qui relie ces deux grands espaces est plus encore le champ de bataille où l’affrontement entre les forces antagoniques est le plus acharné. La guerre peut être militaire, paramilitaire ou non militaire ; elle peut recourir à la violence et peut être aussi non-violente ; elle peut être un affrontement entre militaires professionnels ainsi qu’un affrontement entre les forces émergentes principalement constituées de civils ou de spécialistes. Ces caractéristiques marquent la ligne de partage entre la guerre hors limites et la guerre traditionnelle, et elles tracent la ligne de départ des nouvelles formes de guerre ».
      « en outre, il est urgent que nous élargissions notre champ de vision concernant les forces mobilisables, en particulier les forces non militaires. A part diriger l’attention comme par le passé sur les forces conventionnelles, nous devrions porter une attention spéciale à l’emploi des ‘ressources stratégiques’ intangibles comme les facteurs géographiques, le rôle historique, les traditions culturelles, le sentiment d’identité ethnique ainsi que le contrôle et l’utilisation de l’influence des organisations internationales »
      https://www.ege.fr/infoguerre/2004/01/la-guerre-hors-limites

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